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CHAPITRE XLII.

Suite de mon Difcours au Compere.

J'Ar dit que l'homme avoit naturellement la fa

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culté de diftinguer & d'affoiblir à temps les raifons qui peuvent le porter au mal. Cela étant, qui peut douter que la bonne éducation ne pefectionne cette faculté, & que la mauvaife ne la détériore?" Bonne éducation corrige le tempérament,les préjugés, & éclaircit l'entendement. La bonne édu cation eft un furcroît de moyens donné aux hom mes pour faire le bien. Dieu ne nous demande rien au-delà de la fomme & de la valeur de ces moyens; mais il en exige abfolument l'emploi. Nous ferons jugés fur ce que nous aurons fair & dû faire, & non pas fur ce que nous n'aurons pu faire.

Puifque la bonne éducation éclaircit l'entendement, qu'elle corrige les mauvaises affections, & qu'il y a différents dégrés de bonne éducation, il est avantageux aux hommes de connoître le plus parfait de ces dégrés, & par conféquent de le chercher. Comme toutes les loix humaines, tous les fyftêmes de Morale que nous avons, que nous formons, contiennent une infinité d'imperfections, voyons fi les Livres faints ne font point la fource où l'on puiffe puifer le meilleur genre d'éducation.

Aucune Hiftoire, aucun fyftême de morale ne nous donne une idée plus parfaite plus fublime de la Divinité, que l'Ecriture. Tout ce qu'elle contient nous peint la puiffance, la majefté, l'intel

ligence, la bonté, la juftice de l'Etre Suprême fon amour pour les créatures, la dignité, la grandeur & la perfection de fes ouvrages. Elle nous donne une idée claire & diftin&e de nos devoirs, & des regles que nous avons à fuivre pour les remplir. Elle fait plus, elle nous fournit tous les motifs & les moyens poffibles pour nous porter au bien. C'est une fource de lumieres, de fecours & de confolations. Tous les vices y font peints dans leur laideur, toutes les vertus dans leur beauté. Rien ne peut mieux faire le bonheur d'un homme de bien que la foi en ce qu'elle annonce, que la pratique de ce qu'elle prefcrit. Eh! qui peut faire fupporter les infirmités, les infortunes avec plus de courage & de réfignation, que la croyance enun Dieu rémunérateur, que la perfpective confolante d'un bonheur infini? Quel motif plus preffant pour nous porter à la perfection, que la certitude de plaire à ce Dieu jufte & bon, fi nous faifons le bien, & celle d'une punition certaine, fi nous faifons le mal? Punition jufte, & dont nous ne devons pas nous plaindre, parce qu'elle eft une fuite naturelle du crime, & que le crime eft une action à laquelle nous nous déterminons volontairement (1). Les Livres faints contiennent donc le meilleur genre d'éducation.

(1) que l'on ne dife pas que la certitude des peines & des récompenfes après cette vie n'eft point démontrée; car l'on pourroit répondre qu'elle l'eft même mathématiquement; & que quand elle ne le feroit pas, il fuffit que ces peines & ces récompenfes foient poffibles, pour qu'elles deviennent un des plus puiffants motifs de nos déterminations au Bien.

Quùm ergo hæc fit conditio futurorum, dit ARNOBE

Si ces Livres font dans une efpece d'aviliffement aux yeux des Philofophes du fiecle, ou plutôt, fi la Religion Chrétienne eft décriée, eft attaquée

ut teneri & comprehendi nullius poffint anticipationis adtaču, nonne purior ratio eft ex duobus incertis, & in ambigua expectatione pendentibus, id potius credere, quod aliquas fpes ferat, quam omnino quod nullas ? In illo enim periculi nihil eft, fi quod dicitur imminere, caffum fiat & vacuum in hoc damnum eft maximum, id eft falutis amiffio, fi quunt tempus advenerit, aperiatur non fuiffe mendacium. Adverf. Gentes, Lib II. pag. 44, Edit. Lugd. Bat. 1651.

"L'avenir étant de telle nature, qu'on ne fçauroit en percer l'obscurité, ni s'en faifir, pour ainfi dire, par aucune connoiffance anticipée, le bon fens le plus pur ne veut-il pas que de deux chofes également incertaines, on croit plutôt celle qui fait efpérer quelque bien, que celle qui n'en fait efpérer aucun ? En effet, quand même le mal dont on nous menace fe trouveroit fans effet, on ne rifque rien au lieu que l'on s'expofe à un très-grand danger, c'eft-à-dire, au hafard de fe perdre, fi dans le temps marqué on vient à être convaincu par une trifte expérience, qu'on n'avoit pas 'voulu nous alarmer fins fujet «.

C'eft fur ce raifonnement d'Arnobe que M. Pafchal a fondé le fameux argument qui fe trouve au Liv. VII. de fes Penfees, & dont voici la fubftance dans ce paffage de Locke.

Les récompenfes & les peines d'une autre vie, que Dieu a établies pour donner plus de force à fes Loix font d'une affez grande importance pour déterminer notre choix, contre tous les biens ou tous les maux de cette vie, lors même qu'on ne confidere le bonheur ou le malheur à venir que comme poffible; de quoi perfonne ne peut douter. Quiconque, dis-je, conviendra qu'un bonheur excellent & infini eft une fuite poffib'e dela bonne vie qu'on aura menée fur la terre, & un état oppofé

de

de toutes parts, ce n'eft point que cette Religion foit en elle-même ridicule & nuifible, ce n'eft point qu'elle ne foit utile & refpe&able; mais c'est

la récompenfe poffible d'une conduite déréglée; un tel homme doit néceffairement avouer qu'il juge très mal, s'il ne conclut pas de-là qu'une bonne vie jointe à l'efpérance d'une éternelle félicité qui peut arriver, eft préfé rable à une mauvaise vie,accompagnée de la crainte d'une mifere affreuse, dans laquelle il eft fort poffible que le Méchant fetrouve un jour enveloppé, ou pour le moins, de l'épouvantable & incertaine efpérance d'être annihilé. Tout cela eft de la derniere évidence, fuppofé même que les gens de bien n'euffent que des maux à effuyer dans ce monde, & que les méchans y jouiffent d'une per pétuelle félicité; ce qui pour l'ordinaire prend un tour fi oppofé, que les méchans n'ont pas grand fujet de fe glorifier de la différence de leur état, par rapport même aux biens dont ils jouiffent actuellement : ou plutôt qu'à bien confidérer toutes chofes, ils font, à mon avis, les plus mal partagés, même dans cette vie. Mais lorfqu'on met en balance un bonheur infini avec une infinie mifere, fi le pis qui puiffe arriver à l'homme de bien, fuppofé qu'il fe trompe, eft le plus grand avantage que le méchant puiffe obtenir, au cas qu'il vienne à rencontrer jufte; qui eft l'homme qui veut en courir le hasard, s'il n'a tout-à-fait perdu l'efprit ? Qui pourroit, dis-je, être affez fou pour réfoudre en foi-même de s'expofer à un danger poffible d'être infiniment malheureux, en forte qu'il n'y ait rien à gagner pour lui que le pur - néant, s'il vient à échapper à ce danger? L'homme de bien, au contraire, hafarde le néant contre un bonheur infini dont il doit jouir au cas que le fuccès fuive fon attente. Si fon espérance fe trouve bien fondée, il est éternellement heureux; & s'il fe trompe, il n'eft pas malheureux; il ne fent rien. D'un autre côté, fi le méchant a raison, il n'est pas heureux; & s'il fe trompe, il eft infiniment miférable. N'eft-ce pas un des plus Tome III

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que la plupart de ceux qui la profeffent ont de tout temps été fourbes; cruels & fanguinaires; c'eft qu'ils ont altéré la pureté de la Religion, & l'ont déshonorée.

Si les Chrétiens avoient connu véritablement l'efprit de cette Religion augufte, chacun d'eux fe feroit plus appliqué à pratiquer ce que l'Ecriture enfeigne, qu'à y chercher ce qu'elle ne contient pas, qu'à expliquer ce qu'il ne comprenoit pas, qu'à forcer les autres à recevoir fes vifions.

L'ambition du Chrétien fe feroit bornée à la charité envers fes femblables, qui n'étoient pas Chrétiens. Il auroit dit à un Payen: Mon Frere, il eft poffible que tu fois heureux; mais il eft certain que tu ne peux atteindre à un bonheur parfait qu'en embraffantle Chriftianifme; il aurait établi fes preuves fur les Faits, & ces Faits n'auroient confifté que dans la vie pure & exemplaire des Chrétiens. Si le Payen avoit témoigné quel que envie de pofféder un tel bonheur, il lui auroit alors fait connoître qu'il n'y a qu'un Dieu; que ce Dieu eft juf

vifibles déréglements d'efprit où les hommes puiffent tomber, que de ne pas voir du premier coup d'œil quel parti doit être préféré dans cette rencontre ? LockE, Efai Philofop. Chap. XXI. §. 70. de la feconde Edit. de M. de Cofte.

*

Si non content de ce paffage, le Lecteur defire en voir d'autres fur ce point, il pourra confulter la Pneumatologie de LE CLERC, Chap. IX. §. II. & fuiv.— LA BRUYERE, Caracteres & Maurs de ce Siecle, là où il traite des efprits forts. L'ébauche de la Religion naturelle par WOLLASTON, fur la fin de l'Ouvrage -BAYLE, Art. Pafcal. R. I. item GROTIUS, de Jire Belli & Pacis, Lib. H. Cap. XXIV. §. 5. PUFFENFORF, de Jure Nat, & Gent, Lib. I. Cap. III. §. 7.

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