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vouloit me donner vingt-quatre heures pour penfer là-deffus, je lui démontrerois peut-être qué Lon défi n'eft point fi fondé qu'il le croit.

Le Compere m'accorda par pitié les vingt-quatre heures que je lui demandois; & perfonne au monde ne fut plus étonné que Pere Jean & Vitulos, lorfqu'ils me virent accepter ce défi.

J

CHAPITRE XLI.

Continuation du méme fujet..

'EMPLOY AI ces vingt-quatre heures à éclaircir l'idée qui m'étoit venue fur le fujet de notre difpute; & lorfque le moment de la conférence fut arrivé, je parlai en ces termes :

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Il me femble mes chers amis, que fi l'on venoit à bout de définir la nature de la liberté de Dieu, ainfi que la nature de la liberté de l'homl'on pourroit rendre raifon de l'origine du mal qui exifte dans l'Univers, tant dans le phyfique que dans le moral.

me,

C'eft ce que je vais effayer de faire.

La liberté de Dieu ne peut confifter dans ce que les Théologiens appellent Indifférence de contradiction, c'eft-à-dire, dans le pouvoir d'agir ou de ne pas agir, une telle liberté fuppoferoit en Dieu, ou de l'ignorance, ou de l'irréfolution, ou le pouvoir de choifir deux moyens différents dans l'exécution d'une chofe, ou celui de fe déterminer in ́ différemment pour l'une ou l'autre de deux chofes oppofées. La liberté de Dieu confifte donc en ce qu'il fait ce qu'il lui plaît: or il n'y a jamais. dans ce qu'il fait, que le meilleur qui lui plaît.

Que l'on ne dife pas que fi Dieu fe détermine néceffairement il n'eft pas libre; car je demanderois fi un Etre infiniment puiffant n'eft pas infiniment indépendant. Que l'on ne dife pas non plus. qu'un Être infiniment puiffant a la liberté de choifir plufieurs moyens dans l'exercice de fa puiffan

ce, ou de faire une chofe, ou de ne la faire pas; car je repliquerois qu'un Etre infiniment bon, infiniment fage, fe détermine néceffairement pour le meilleur moyen dans l'exécution de ce qu'il doit faire ; & que lorfqu'une chofe n'exifte point, il fe détermine néceffairement à produire cette chofe, s'il eft meilleur qu'elle exifte; ou à la laiffer dans le néant, s'il eft meilleur qu'elle n'exifte

pas,

Pourfuivons.

Lorfque l'Univers étoit encore dans le néant, - l'Univers n'avoit rien en foi qui déterminât Dieu d'une maniere abfolue à lui donner l'existence. It faut donc confidérer le pouvoir dont il s'agit ici,du côté de l'agent, & non du côté de l'objet.

Dieu a réfolu de toute éternité de créer le monde tel qu'il eft; les Decrets de Dieu font invariables; donc Dieu n'avoit pas le pouvoir de ne pas créer le monde ; & cependant on ne peut nier qu'il ne fût parfaitement libre en le créant : par conféquent l'Indifférence de contradiction n'est point de l'effence de la liberté.

Que l'on ne dife pas que Dieu ayant été libre de faire ou de ne pas faire ce Décret, il s'enfuit qu'il pouvoit fort bien fe difpenfer de créer le Monde, qui eft l'effet de ce Décret. Car fi l'on ne peut fuppofer un inftant qui ait précédé ce Décret on ne peut fuppofer un inftant où Dieu ait eu le Pouvoir en queftion, l'existence de ce Décret anéantiffant néceffairement ce Pouvoir dans un Etre immuable or la luppofition d'un inftant détruiroit l'éternité du Décret, l'immutabilité de Dieu & par conféquent Dieu lui-même..

Faifant abftraction du Décret par lequel Dieu s'eft déterminé à créer le monde, ce pouvoir de le créer ou de ne le pas créer n'a pu fe trouver en

lui. Un tel pouvoir confidéré du côté de l'agent eft toujours l'effet de fon ignorance; imperfection qui ne peut fe trouver que dans la créature. Si Jean a le pouvoir de faire ou de ne pas faire telle action, c'eft qu'il ignore ce qui lui eft plus avantageux dans cette occafion, d'agir ou de ne pas agir. Que l'ignorance de Jean fe diffipe, le parti qu'il découvrira être le plus à fon avantage fera celui qu'il fuivra infailliblement, fans conferver le moindre pouvoir réel pour fon oppofé. Combien à plus forte raifon Dieu, dont les connoiffances font fans bornes, fuivra-t-il toujours infailliblement dans fes productions la régle que lui prefcrivent fes perfections infinies.

La liberte de Dieu cefferoit d'être infiniment parfaite, fi, pour agir, il devoit examiner les objets de fon action, choifir celui qui lui plaît le plus, fans qu'aucun motif le déterminât néceffairement à ce choix, & fi après avoir choifi, il lui reftoit encore le moindre pouvoir de changer de réfolution. Car, fans parler de l'incompatibilité d'une telle liberté en lui, avec fes Décrets éternels & fon immutabilité, cet examen fuppoferoit en Dieu un défaut de connoiffance fuffifante; ce choix, fans aucun motif déterminant, feroit plutôt l'effet d'un deftin aveugle que d'un Etre infiniment fage; & ce pouvoir de révoquer fon choix, ou feroit chimérique, ou, s'il étoit réel, marqueroit que l'Intelligence infiniment parfaite pourroit rejetter un bon projet, pour en fuivre un qui ne le feroit pas..

Il réfulte de ce que je viens de dire que Dieu, en vertu d'un Décret auffi éternel que lui, ne pouvoit ne pas créer le monde, ni ne pas le créer tel qu'il eft: il réfulte encore que le monde tel qu'il eft, eft le meilleur des mondes poffibles, parce qu'il eft l'effet d'une caufe infiniment parfaite. Le mat

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qui exifte dans le monde eft donc l'effet des limi tes naturelles de la Création: & cet effet étoit néceffaire, parce que l'Univers ne pouvoit être auffi bon que la caufe: il ne pouvoit être auffi parfait que l'Etre exiftant par foi (1).

Si ce que tu dis eft vrai, interrompit Pere Jean, voilà l'origine du mal, tant phyfique que moral, toute trouvée ; mais il s'enfuivroit que ce mal feroir néceffaire; & que les hommes ne feroient injuftes & méchan's, que parce que leur injuftice & leur méchanceté feroient des effets des limites naturelles de la Création.

Si le Révérendissime fe donne la peine d'écouter un moment, repris-je, il verra que quoiqu'il fût de la nature de l'homme d'être imparfait, il eft de fa nature auffi d'être meilleur qu'il n'eft. La nature de l'homme eft comprise dans les limites de la Création: il eft vrai; mais l'homme ne laiffè pas pour cela d'être libre dans ce qu'il fait. Ce n'eft donc pas justement à caufe de l'effet de ces limi

(1) Si du plan général du monde, qui eft très-bien ordonné & très-utile, il en réfulte quelques inconvénients, c'eft qu'ils fe font rencontrés à la fuite de: l'ouvrage, fans qu'ils ayent été dans le deffein primirif & dans le but de la Providence. Par exemple, quand la Nature a formé le corps humain, l'excellence & l'utilité de l'ouvrage demandoit que la tête fût compofée d'un tiffu d'offements miñces & déliés; mais par-là il en réfultoit l'incommodité de ne pouvoir réfifter aux coups. Il en eft de même de la vertu : l'action directe de la nature y tend & la fait naître, mais par une efpece de concomitance, elle a produit par contre-coup les

vices.

CHRYSIP. de Provident, in Aulugel. Lib V. Chap.

III.

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