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Mon ami, dis-je au Vieillard, je m'apperçois que vous vous jouez de mon ignorace. Je vois clair comme le jour que ce que vous me débitezlà n'eft q qu'un tas de fophifmes abfurdes par lefquels vous prétendez m'embarraffer. Vous avez parfaitement réuffi; car je ne fuis point en état vous répondre: tout ce que j'ai à vous dire eft, que je crois que la croyance en la révélation est néceffaire pour être fauvé, ainfi que la pratique de tout ce qu'elle prefcrit. Si je n'ai point préfentement affez de lumieres, affez de force pour me conformer exactement à ce dernier point, j'efpere que Dieu m'en accordera fuffifamment par la fuite.

Je loue votre zele reprit le Vieillard; j'aime à voir les gens dans la difpofition de faire le bien : mais votre zele n'eft point auffi éclairé que je le defirerois; & fi vous voulez revenir demain ma ti, je vous ferai part des raifons qui m'ont décidé à prendre les fentiments où je fuis; & peutêtre ferez-vous content. L'envie que j'avois de recouvrer la tranquillité que j'avois perdue, l'efpérance que ce que me diroit ce Vieillard pourroit y contribuer, me déterminerent à accepter la propofition, & je lui promis bien de ne pas manquer d'entrer chez lui le lendemain de bome heure

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CHAPITRE XXX VI

Suite du Difcours du Vieillard.

LE lendemain je retournai chez mon voifin.

Après avoir parlé quelque temps de chofes indifférentes, il revint fur la matiere dont il m'avoit parlé la veille, & me dit :

"Je vous ai conté que les malheurs de ma vie m'avoient fait prendre la réfolution de renoncer autant quil me feroit poffible, à tout ce qui pou voit m'attacher à la fociété, foit par état ou par opinion. Il me fut très-aisé de remplir le premier point: quant au fecond,, j'y rencontrai de plus grandes difficultés: il ne s'agiffoit pas moins que d'acquérir affez de connoiffances, affez de force fur moi-même pour me défaire de mes préjugés, fur-tout de ceux qui regardoient la Religion où j'ai été élevé.

Je commençai d'abord par examiner les points, les plus épineux de cette Religion, tels que la doctrine du péché originel, de la préfence réelle, de la tranfubftantiation, &c. Je lus & relus la Bible entière, airfi que les plus fameux Auteurs qui traitent de es matieres ; & je rejettai généralement tout ce qui s'appelle myftere, tout ce qui répugne à ladroite raifon & à l'équité,

Voici comme je raifonnai fur chacun ces dogmes. Alas le Vieillard les prit l'un apre l'au tre, expofa les autorités fur lesquelles on lis ap-. puie, & difcata ces autorités avec la plus grande exactitude. Jene rapporterai point toutes les hy-. fi, cela pothefes, tous les raifonnements qu'il fi

feroit trop long. D'ailleurs, beaucoup de mès Lecteurs pourroient êttre effrayés de la hardieffe de fes fentiments. Je le fus moi-même au point que lorfqu'étant rentré dans ma chambre je me mis à y réfléchir, je ne fus que penfer de ce Vieillard. Cet homme, dis-je en moi-même, m'a témoigné d'abord la meilleure volonté du monde à m'apprendre à gagner du pain: voilà qui eft bien du côté du corps; mais il me paroît qu'il voudroit me plonger dans le trouble & l'embarras du côté de l'efprit. Ce qu'il vient de me débiter n'eft qu'uil tas de paradoxes révoltants, qui certainement n'attireroient point de louanges à leur auteur, s'i s'avifoit de les répandre dans le Public; & fi c'eft fa vraie manière de penfer, il n'eft rien moins qu'auffi tranquille dans fon intérieur qu'il le paroft au-dehors. Je me fuis laiffé aller, je ne fais par quelle foibleffe, aux illufions de la philofophie du Compere, & je fais combien de fois la voix de la religion s'eft fair entendre au fond de mon ame, & y porta les remords & l'effroi. Le Compere même, tout infatué qu'il étoit de ses principes, ne fut point exempt d'entendre cette voix. S'il vivoit encore, & qu'il voulût dire la vérité, il ne me démentiroit pas. Que l'on dife, fi l'on vent, que les préjugés de l'enfance ne s'effacent ja-. mais, que ce font des tyrans qui nous font fentir Leur pouvoir jufqu'à la mort; il ne me femblera pas moins qu'il n'y a que la vérité qui réclame fes droits avec autant de force & de conftance que je l'ai éprouvé. En un mot, j'ai fenti qu'un homme qui avoit une fois été chrétien, ne pouvoit impu nément cefler de l'être. Je veux donc le redevenir en dépit de tout: non pas toutefois de la maniere dont tels ou tels le font ; mais d'une maniere rai fonnable, & telle qu'il plaira à Dieu de me la mon

trer; & quoi que le Vieillard me dife, je fais à quoi m'en tenir l'expérience du paffé eft le bouclier dont je veux couvrir dorénavant ma foible raifon des attaques de l'erreur. Il m'a promis de me montrer le moyen de gagner du pain ; qu'il me tienue parole, & je ne lui demande pas autre chofe.

Il me la tint effectivement, & je me mis à travailler avec lui Je le laiffai penfer à fa fantaifie, & je penfai à la mienne. Mais cette nouvelle affociation ne dura gueres : j'avois à peine été trois mvis avec lui qu'il mourut. Heureufement pour moi que je favois mon métier, & que fes pratiques me de meurerent.

Il ne manquoit donc rien à mon bonheur:je travaillois une partie de la journée, & je donnois le refte à la lecture, à la méditation ou aux réfléxions. La promenade des champs étoit ordinairement deftinée à ce dernier genre. Un jour que je me promenois le long de la Tamife, je me mis à repaffer dans ma tête les différents événements de ma vie. Lorfque j'en fus au naufrage où j'avois perdu mes anciens amis, je ne pus m'empêcher de m'attendrir fur leur fort. » Mon cher Compere, m'écriai-je tout haut, vous n'avez jamais connu de vrai bonheur! Hélas! fi vous viviez encore, & que je puffe vous faire part du mien, je le ferais de tout mon cœur; mais vous «

J'en étois là lorfque j'entendis quelque bruit derriere moi je me retournai... Ciel! que vis-je?.... Je vis le Révérendiffime Pere Jean de Domfront, qui rioit de toutes fes forces de m'entendre parler feul.

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CHAPITRE XXXVII.

Récit des aventures de Pere Jean après le naufrage, &c.

J'eus à peine reconnu le Révérend que je me

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jettai à fon cou, & je l'embraffai plus de cent fois. Quoi c'eft vous, m'écriai-je ! par quel bonheur.... ah! mon cher Pere Jean! feroit-il poffible?.... où eft mon Compere?.... où eft Vitulos?..... où eft Diego? Ils font tous les trois ici, me répondit-il. Menez-moi au plus vite où ils font, repris-je : quoi! vous vivez encore!,... Ah, mon cher Pere Jean! contezmoi, je vous prie, par quel hafard vous êtes échappé de ce naufrage effroyable, d'où je ne me fuis tiré que par une efpece de miracle.

Tu fauras, répondit Pere Jean, que lorfque le vaifleau fut en danger de fe brifer, je montai deux futailles fur le pont, je les bouchai bien, je coulai à l'entour quelques cordes à nœuds; je dis au Compere & à Vitulos que fi nous venions à faire naufrage, de faifir chacun une de ces cordes avec moi, & de nous abandonner à tout ce qu'il plairoit à dame Fortune faire de nous. Pour toi, la frayeur t'avoit mis dans un état à n'entendre aucune raifon; Diego étoit étendu fur le plancher, fans mouvement, fans connoiffance, & dans le même cas où tu le vis après le coup de tonnerre de -Senlis. C'est pourquoi nous vous laiffàmes là l'un & l'autre, nous nous tinmes près de nos futailles, & lorfque le vaiffeau fe brifa, nous nous trouvâ mes en état de pouvoir nous foutenir fur l'eau juf

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