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"veté & de la fuperftition, & en partie des haines particulieres, de l'envie & de la malignité » des Eccléfiaftiques, mirent la derniere main à » l'intolérance en matiere de Religion. Il eft vrai » qu'elle étoit déjà née (1), cette intolérance; mais elle n'avoit pas encore exercé fa tyrannie avec "toute la cruauté dont elle a été accompagnée depuis le malheureux fiécle où l'on fe divifa » pour des opinions, defquelles il auroit été aift » de convenir, fi l'efprit du Chriftianifme avoit pré» fidé dans les Affemblées des Eccléfiaftiques. Depuis » ce temps-là on ne vit en Orient que profcrip»tions, que maffacres, que fureurs. Je paffe fous » filence, dit un Evêque du V. fiécle, perfecuté » pour le Neftorianifme, les chaines, les cachots » les confifcations, les notes d'infamie, ces maf» facres dignes de compaffion, dont l'énormité eft »telle, que ceux-mêmes qui ont le malheur d'en étre » les témoins ont peine à les croire véritables (2). » Cela alla toujours depuis en augmentant. L'Em"pereur Juftinien ne voulut pas avoir moins de zele que les Prélats du V. & du VI. fiécle. It » ne croyoit pas, dit Procope (3), commettre un » homicide, quand ceux qu'il condamnoit à mort

Amfterdam en 1707. page 8. 9. Voyez, pour le V. fiecle, les paffages D'ISIDORE DE DAMIETTE, cités dans les Epit. Eccl. & Crit. de M. LE CLERC, page 167, & fuivant. 4Edit.

(1) Voyez AMM MARCELL. Lib. XXII. Cap. V. page 327. Edit.GRONOV.

(2) ETHERIUS, Tyanorum Epifcp. inter Opera Théodoreti, Tome V. page 688 & 689.

(3) PROCOPE, Anecd. Cap. XIII.

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»faifoient profeffion d'une autre Religion que la enne. L'Univers vit commettre dans ces mal» heureux fiécles des cruautés effroyables. On » foutenoit des fiéges dans les Monafteres; on fe battoit dans les Conciles, on entroit à main ar»mée dans les Eglifes (1), on traitoit avec la der»niere cruauté tous ceux que l'on foupçonnoit » de favorifer des opinions, qui souvent n'étoient entendues de perfonne, non pas même de ceux qui »les defendoient avec le plus d'entétement & d'opi

» n'âtreté.

Après le VI. fiécle, les Papes, les Evêques & tous les Eccléfiaftiques en général devinrent encore pires que ceux qui les avoient précédés ; l'ignorance, l'impofture, la fuperftition, le fanatifme, les perfécutions, les cruautés de toute efpece, augmenterent de fiécle en fiécle, & l'Enfer infecta l'Eglife de tant d'abominations (2), que les cheveux me dreffent d'horreur quand j'y penfe.

(1) EUTICHII Annales, page 155..

(2) Voyez les Mém. Annal. & autres Monum. de l'Hift. Eccl. Ils font remplis de faits qui confirment ce que le Médecin avance ici. S. Bernard même, tout Abbé qu'il étoit, ne peut s'empêcher de découvrir l'infamie des Ecel. de fon temps. Curritur paffim ad jacros ordines dit-il, & reverenda ipfis quoque fpiritibus angelicis minifteria homines apprehendunt fine reverentia,fine confideratione, in quibus peffima fortè appareat intra parietes abominatio, fi, juxta Ezechielts prophetiam, parietem fodiamus, ut in domo Dei videamus horrendum. Si quidem poft fornicationes, poft adulteria, pofi inceftus, ne ip. fæ quidem, apud aliquos: ignominia paffiones, & turpitu dinis opera defunt. Utinam non fierent, quæ ufque adeo non conveniunt. Utinam nec Apoftolum hoc fcribere,

Le Médecin alloit continuer, mais je lui témoignai tant d'inquiétudes qu'il prit le parti de fe taire. Il ajouta feulement que j'effe à me tranquillifer, qu'il fe faifoit fort de me tirer d'embarras.

Après qu'il m'eut fait prendre quelque rafraîchiffement, il me rafa la barbe, il me coupa les cheveux en rond, & me fit une couronne de Prêtre; puis il me donna un habit & un manteau noirs; fa domeftique me fit un petit colet; & il me dit que c'étoit dans cet équipage qu'il vouloit. que je partiffe le lendemain matin à l'ouverture des portes de la ville.

L'heure de mon départ étant arrivée, il me donna cinquante Piaftres, & me pria de lui écrire lorfque je ferois en lieu de fûreté. Je le remerciai mille fois des bontés qu'il avoit pour moi, nous nous dîmes adieu, & je partis.

(Rom. I. 28.) nec nos dicere oporteret, ut nec dicentibus erederetur, quod humanum aliquando oecupaverit animum tam abominanda cupido. Numquid non olim Civitates illæ fpurcitiæ hujus matres divino prædemnata judicio, & incendio funt deleta! numquid non ipfam, utpote confciam tantæ confufionis tellurem abfumfit ignis, fulphur, & fpiritus procellarum? quis reædificavit urbes flagitii? quis turpitu dinis mania dilatavit? quis extendit propagines virulentas? *vælva! Inimicushominum fulphure i illius incendii reliquias infelices circumquaque difperfit; execrabili illo cinere Ecelefiæ corpus afperfit: & ipforum quoque Miniftrorum ejus nonnullos, fanie fætidiffima, fpurciffimaque refperfit. Ingrediuntur cum hac macula Templum Dei viventis, inhabitant cum hac macula, Templum fan&um Domini polluentes, judicium multiplex accepturi, quod & tam graviffimas confcientias gerunt,& nihilominus fe ingerunt in fanctuarium Deż. Sermo ad Cler. de Contemt. Mundi, five de Perf. fuftinenda. cap. XXXIX.

CHAPITRE XXXIII.

Suite de mes Aventures.

EPANT forti de la Ville, je rencontrai un Mu

letier qui avoit amené deux Officiers d'Antiquera à Grenade. Je fis marché avec cet homme, je montai fur une de fes mules, & en quatre jours il me tranfporta à Cadix.

Au moment que j'entrai dans cette ville, j'appris qu'il y avoit un vaiffeau qui alloit mettre à la voile pour Londres. A cette nouvelle je cherchai le Capitaine, & je reconnus le galant homme qui m'avoit fauvé la vie après mon naufrage, & qui m'avoit fi généreufement traité à Gibraltar. Je n'eus point le loifir de lui faire grand compliment, je lui dis feulement que puifqu'il avoit eu la bonté de me fauver la vie une fois, il falloit qu'il me la fauvât une feconde; en un mot que l'Inquifition étoit à ma pourfuite. Cet honnête homme ne perdit point de temps à me demander quel étoit le fujet de mon démêlé avec l'Inquifition; il chercha les moyens de me déguifer, il me fit paffer à fon bord, deux heures après il leva l'ancre & partit.

Lorfque nous fumes en pleine mer, je contai à mon Libérateur ce qui m'étoit arrivé à Grenade. Ce récit le toucha; mais celui de ce que j'avois vu dans le fouterrain lui fit dreffer les che

Veux.

Lorfque j'eus fini ce récit; je lui dis que mon premier deffein étoit de me retirer en France; mais que mes dernieres aventures m'avoient

fait concevoir une telle averfion pour les pays où le Catholicisme étoit la Religion dominante, que j'avois juré de n'y remettre jamais le pied.

Le Capitaine approuva ma réfolution, & me demanda en même- témps dans quel pays j'avois deffein de me fixer dorénavant? Dans votre pays, lui répondis-je dans ce pays opulent & heureux, où l'on dit que la liberté régne autant qu'il eft poffible qu'elle régne parmi une Nation policée; dans ce pays où tout particulier pofféde paisiblement ce qu'il a; où un homme raifonnable peut dire ce qu'il penfe; où un chacun peut aller au ciel par le chemin qu'il lui plaît.

L'opulence & la liberté ne font point fi grandes dans mon pays que vous le croyez, reprit le Capitaine. Une Nation qui a plus de douze cens millions d'écus de dette (1); qui fe plaint fans ceffe que fes reffources font épuifées ; à qui l'étendue de fes domaines coûte des fommes immenfes, en la dépeuplant tous les jours; chez qui les Artifans s'attroupent trois ou quatre fois l'an, en criant du travail, ou du pain! une telle Nation n'eft point riche.

Une Nation qui s'écrafe elle-même par fes propres forces; que des divifions inteftines déchirent continuellement; chez qui les fuffrages des citoyens font à l'enchere; chez qui l'on ne voit que des édits réforme ou d'amélioriffement, & tout allerde mal en pis; une telle Nation n'eft point heureufe.

Une Nation chez qui une vérité très-indifférente dans un temps, devient dans un autre la cau

(1) C'eft-à-dire plus de 150 Millions de Livres fterlings.

fo

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