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la fuperftition d'un peuple enfeveli dans les plus épaifles ténèbres de l'ignorance; mais ce qui vient de fe paffer devant mes yeux n'a d'autre motif qu'une fureur diaboblique, n'a d'autre objet que la fatisfaction exécrable d'affouvir fa rage de meurtre & de fang.... Quoi! les Prêtres d'un Dicu de véri té, d'un Dieu de paix & de miféricorde, non contents de repaître de menfonges & d'impoftures l'efprit d'un peuple auquel ils doivent leur aifance & leur opulence; non contents de leurs querelles inteftines & de la haine implacable qu'ils portent audehors à tous ceux qui ne penfent pas comme eux ou qui les ont offenfés; ces Prêtres méchants & cruels fe font érigés des tribunaux où ils jugent fans raison, fans pitié & fans miféricorde, tous ceux dont ils ont juré la perte ; & defcendant de ces tribunaux odieux ils montent à l'autel, où les mains enfanglantées du meurtre de leurs freres, ils ofent offrir des facrifices à l'Eternel !..... Grand Dieu ! fi tu as des raifons pour permettre de tels forfaits, accorde - moi du moins de n'en point être la victime.

J'

CHAPITRE X X X I I.

Suite de mes Aventures.

Eus à peine fini ces réflexions que je regrimpai au plus vite dans la cheminée, & j'entrai dans le grenier que j'avois découvert, Comme il éto t foir, je paffai par une lucarne, je courus de toit en toit, & je ne m'arrêtai que là où l'interruption de ces toits m'empêcha d'aller plus loin. Alors ję ne fus que devenir: je n'ofois defcendre dans aucune maifon, de crainte d'être vendu. L'Inquifition eft fi cruelle, que fi elle venoit à favoir qu'un Espagnol eût ofé favorifer l'évafion d'un de fes prifonniers, un tel homme feroit sûr d'être brûlé vif pour prix de fa charité. Cependant je franchis le pas: je me mis à defcendre dans une de ces maifons, réfolu d'affommer de mon ancre, que je tenois toujours, le premier qui s'oppoferoit à mon évafion.

Je fus à peine au fecond étage, qu'une fervante qui faifoit un lit dans une chambre, m'apperçut fur l'efcalier. A mon accoutrement, qui étoit une robe de toile noire, à ma barbe longue, à mon visage exténué, à mes yeux étincelants de crainte, de colere, & de défefpoir, cette fille me prit pour le diable: elle pouffa un cri épouvantable, & tomba à la renverfe. Ce cri fit monter le maître de la maison, qui faillit de s'évanouir à fon tour lorfqu'il me vit: mais je le raffurai; je m'approchai de lui, & je le reconnus pour le Méde cin françois qui m'avoit guéri du coup de foleil. Cet honnête homme m'ayant reconnu à fon

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tour, me fauta au cou, m'embraffa & m'arrofa de fes larmes. Etant defcendus dans fon cabinet, je lui contai généralement tout ce qui m'étoit arrivé depuis que je l'avois quitté. Il me plaignit de cœur ; mais il me blâma fort de l'imprudence que j'avois eue de parler aux Dominicains avec auffi peu de retenue que j'avois fait la veille de mon emprifonnement. Comment, me dit-il, un homme de votre âge a ignoré jufqu'à ce ce jour à quel danger l'on s'expofe dans ce pays, lorfqu'on s'avife de blâmer la conduite & la façon de penfer des Eccléfiaftiques? Soyez plus prudent à l'avenir vis-à-vis de ces gens-là, non-feulement en Espamais encore dans tous les pays où vous pour

gne,

rez vous trouver.

Je favois, lui répondis-je, que les Eccléfiaftiques font très-dangereux en ce pays; mais je ne les croyois pas tels que je les connois aujourd'hui: pour ailleurs, ils font beaucoup moins à craindre: ils piaillent, ils tempêtent, ils tourmentent les gens, mais ils ne les metent point à la torture; ils ne les brûlent pas.

S'ils ne les brûlent pas, ce n'eft pas leur faute, reprit le Médecin : qu'on leur donne carte blan che, l'on verra beau jeu: qu'on leur permette demain d'établir l'inquifition par-tout où elle n'eft pas, dans deux mois les bûchers feront allumés aux quatre coins de l'Europe. Le germe de la cruauté & de la fureur n'en exifte pas moins dans leur ame, quoiqu'il n'y paroiffe pas; il ne leur manque qu'une entiere liberté pour que ce germe fe développe, pour qu'il prenne un accroiffement fubit & prodigieux, pour qu'il devienne capable d'embrafer tout l'univers.

Non contents du mal que certains d'entre eux ont fait fur la terre, ils ont craint que la pofté

rité facerdotale ne dégénérât; ils lui ont tranfmis leurs fureurs avec leurs écrits. Entr'autres, un Nicolas Eymeric (1) a eu l'audace déteftable d'avancer dans fon Directorium Inquifitorum, que nonfeulement les hommes privés, mais que les Princes & les Rois peuvent être jugés fecrettement par l'Inquifition, fans être entendus, & enfuite être mis à mort par le fer ou par le poifon. Un autre fcélérat nomme Penna, a orné ce Livre exécrable de Commentaires non moins horribles, & les éditions d'un tel Livre fe font multipliées à la face de l'Europe.

Votre Dominicain a vraisemblablement prétendu relever les faftes de la Prêtraille des premiers fiécles, en étalant les proueffes de S. Cyrille; mais il a paffé le plus beau de l'hiftoire. Je ne parle point des brouilleries du Pape Vidor avec faint Irénée & autres, pour la célébration de la Pâque (2), ni de celles du Pape Etienne avec faint Cyprien (3); ni de la mort de Prifcillien & de fes Sectateurs, caufée par des Evéques Espagnols (4); ni des violences de Théophile d'Alexandrie, de l'orgueil des Prêtres des Gaules (5), &c. cela nous

(1) Ce Nicolas Eymeric étoit un Dominicain natif de Gironne. Il fut Inquifiteur général fous le Pape Innocent VI; puis Chapelain de Grégoire XI. & Juge des caufes d'héréfies. Son Diredorium Inquifitorum fut imprimé fucceffivement à Barcelonne, à Rome, à Venife, &c. les Editions les plus complettes font celles où fe trouvent les Commentaires.

(2) EUSEB, Hift. Eccl. Lib. V. Cap. 23 & feqq.

(3) Vie de S. Cyprien par LE CLERC, Biblioth. Univeri. Tome XII. p. 351 & fuiv.

(4) SULP. SEVER, Hift. Sac. Lib. II.

(5) ID. Dialog. 1, Cap. XXI.

meneroit trop loin; il me fuffit de vous rapporter quelques paffages qui pourront fervir de pendant à ce que le bon Pere vous a débité.

» L'an 305, dit M. Fleuri, (1) il s'affembla onze » ou douze Evêques à Cirthe,où ils fe reprocherent » des crimes énormes. La plupart avoient livré »les Ecritures aux Payens pour éviter la perfé>cution, pendant qu'un grand nombre de fim"ples fideles l'avoient foufferte conftamment : » d'autres les avoient eux-mêmes jetées au feu. Un Purpurius de Limate ayant été accufé d'a» voir fait mourir les deux enfans de fa Sœur, » au lieu de s'excufer, il dit hardiment : pour mɔi » j'ai tué & je tue ceux qui font contre moi. Ne m'o»bligez pas d'en dire davantage; vous favez que »je ne me foucie de perfonne. Dès qu'il y eut des »Empereurs Chrétiens, les plaifirs commence

rent à s'introduire dans l'Eglife, & l'on ne » voyoit parmi les Eccléfiaftiques qu'inimitié & »que divifion; & parce que les Evêques étoient "riches & confidérés, on fe fervoit de toutes for"tes de voies pour parvenir à l'Epifcopat; & » quand on y étoit parvenu, l'on prenoit une au"torité tyrannique. Ces défordres augmenterent » toujours, jufqu'à ce qu'ils vinffent au comble où on les a vu, comme le favant Archevêque Irlandois Ufferius le montre par un grand nombre de paffages d'Auteurs célebres, qui nous » ont laiffé des peintures affreufes de la corruption de leur's fiécles.

"Les Sectes des Neftoriens & Eutychiens, dit » un autre Auteur (2), nées en partie de l'oifi

(1) Hift. Eccl.

(2) Differtations Hiftoriques, &c. imprimées à

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