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çois. Le Compere promit non-feulement toutes ces chofes, mais il demanda en outre s'il ne feroit pas plus sûr pour lui de mourir dans l'habit de cet Ordre. Le Récollet répondit que oui; mais comme il ne lui étoit point poffible de lui fournir cet habit dans le moment, il ajouta que fon capuchon fuffiroit. En conféquence il encapuchonna le Compere, & lui ceignit le cordon féraphique autour des reins. Le Compere ainfi accoutré, commença à envifager la mort avec courage & réfignation. Mes chers amis, nous dit-il, je fens en ce moment une fatisfaction que je n'avois point encore éprouvée. Joignez vos prieres aux miennes, pour demander à Dieu que les marques vénérables dont je fuis revêtu foient les inftruments de mon triomphe fur Satan, & les preuves les plus complettes de mon humilité.

Comme Diego étoit forti auffi-tôt qu'il eût introduit le Récollet, il rentra en ce moment avec un Carme qu'il avoit été chercher; & un Jacobin qu'il avoit vraisemblablement été prier de venir auffi, arriva prefqu'en même temps.

Lorique ces nouveaux venus virent le Récollet, & qu'ils fe virent l'un & l'autre, ils demanderent à l'Espagnol s'il fe moquoit d'eux; mais le Récollet leur demanda à fon tour fi ce n'étoit pas plutôt de lui qu'ils fe moquoient: de forte que de propos à autres les Moines s'échaufferent, & fe mirent à faire un carillon fi épouvantable, que la maifon en trembla. Bref, ils alloient en venir aux mains lo. fqu Pere Jean rentra.

Le Révérend ne fut d'abord s'il rêvoit ou s'il veilloit. La vue de ces trois Moines en difpute, celle du Compere en capuchon, le firent reculer d'étonnement mais ayant repris fes efprits, il faifit un manche à balai, tomba fur cette Mona

caille, & les alloit affommer tous, fi Vitulos & moi n'y euffions mis le holà. Les trois Religieux prirent d'abord le Révérend pour le diable. Le Carme effrayé, fe fauva fous le lit; le Jacobin fe mit à crier miféricorde, & lé Récollet l'exorcifa. D'un autre côté Diego étoit tombé évanoui, le Compere fe démenoit fur fon lit, un chien que nous avions aboyoit à tout rompre, & le chat épouvanté étoit grimpé aux vîtres, où il poufloit des miaulements effroyables.

Lorique la colere de Pere Jean fut un peu appaifée, il fit fortir le Carme de fon réduit, & il ordonna aux trois Moines de s'embraffer. - Or cà, Caffards, de par tous les Diables, dit-il, qui faites le métier de reconcilier les pécheurs avec Dieu, reconciliez-vous tout-à-l'heure les uns avec les autres, ou je vous arrache la freffure.-Hélas! Monfieur, dit le Jacobin, ne favez-vous pas que nous ne nous reconcilions jamais avec perfonne? Ces bons Peres ont la gloire de leur Ordre à foutenir, & moi j'ai celle du mien. Defreffurez-nous fi vous le voulez, vous ne nous ferez faire aucune baffeffe. -Sors donc d'ici, race de vipere, reprit Pere Jean, & va vuider ton différend dans la rue avec ces deux coquins-là. Et mon capuchon, dit le Récollet? Sors d'ici au plutôt, ou je t'anéantis. — En même temps le Révérend fauta à fon fabre qui étoit pendu contre la muraille, & les trois Moines faillirent à fe caffer le cou, en dégringolant les efcaliers.

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Lorfque cette Monacaille fut difparue, je dis à Pere Jean: Votre Révérence vient de faire encore un bel exploit. Voici bien une autre affaire que votre querelle de Londres. Là vous n'aviez affaire qu'à un Lord; ici ce fera au Corps entier des Eccléfiaftiques. Eh! que me peut-il arriver de pis

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qu'à Londres, répondit le Révérend? Le Lordy a voulu me faire affaffiner, & la Juftice me faire pendre. Je fuis fi accoutumé à vivre parmi les dangers, que je n'en crains plus aucun. - Vous auriez du au moins avoir quelqu'égard pour l'état de votre neveu. Et cette race infernale en avoitelle elle-même des égards pour mon neveu? Si je n'étois venu mettre ces originaux à la raifon, le charivari qu'ils faifoient auroit duré jufqu'au foir. Au refte, peu importe que la mort de mon neveu foit avancée ou reculée de quelques moments, puifqu'il faut qu'il parte.

Or çà, notre ami, continua le Révérend, en s'adreffant au Compere, te voilà pas mal accoûtré avec ton capuchon? Je me fuis toujours bien douté que tu ferois quelques folies à l'heure de la mort; mais je ne croyois pas que ç'auroit été celle de mourir encapuchonné. Tu t'es fait gloire toute ta vie d'être le martyr de la plus fublime. Philofophie, & tu finis par être celui de la plus vile fuperftition; fin vraiment glorieufe, & digne de ceux qui, comme toi, n'ont jamais raifonné qu'au hafard & fans principes ; mais plutôt par envie de faire du bruit, que par celle d'inftruire les hommes. Vas, je te renie pour mon neveu ? & je ne veux plus te voir. Il y a des fottifes qui font dignes de pitié, mais les tiennes font dignes de mépris. Adieu.- En finiffant ces mots, le Révérend prit fon havrefac & fut fe loger à deux ou trois maifons au - deffus de celle où nous étions; & quelques inftances que Vitulos & moi lui fîmes, nous ne pûmes le retenir.

CHAPITRE L V. ·

Mort du Compere Mathieu.

LE Compere ne prêta gueres d'attention, ni à

ce que fon cher oncle lui dit, ni à fon départ. La fcene qui venoit de fe paffer lui avoit caufé une émotion fi confidérable, qu'il avoit perdu les trois quarts du bon fens qui lui reftoit. Enfin il entra dans une feconde léthargie, que nous crûmes être la derniere: mais au bout de deux heures il reprit fes fens, & redemanda fon Récollet. On lui dit qu'il reviendroit plus tard: mais comme cela ne le contentoit pas, je pris le parti d'aller prier notre hôte le Sculpteur d aller chercher quelque Eccléfiaftique.

Le Sculpteur revint un moment après, avec un Prêtre féculier. Celui-ci étoit un vénérable vieillard, qui faifoit tout uniment fon mét er, qui n'avoit peut-être point parlé deux fois en fa vie de la Conftitution, & qui n'avoit jamais lu les Nouvelles Ecclefiaftiques. Il aborda le Compere d'un air ouvert & affable; & après quelques propos, il le pria de permettre qu'on lui ôtat fon capuchon, parce que cela devoit le gêner: ce que le Compere permit.

Lorfque ce Prêtre eut appris que le malade s'é toit confeffé, il lui dit: mon cher enfant, il me paroît que vous êtes dans un âge à avoir éprouvé de combien de miferes cette vie eft remplie, & à favoir que la mort d'un vrai Chrétien eft la fin de fes miferes. Envifagez donc votre dernier moment comme un port affuré, où vous ferez à l'abri de

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toutes les tempêtes. Mettez votre confiance en Fa miféricorde du Pere commun de tous les hommes. Si vous aviez négligé de marcher dans les voies de la juftice, repentez-vous de tout votre cœur, & demandez-lui pardon de vos égarements. Si vous n'avez pas eu toute la foi que notre Religion augufle exige, ayez mainterant cette foi ferme & fincere, & croyez tout ce qu'elle preferit. Les difputes & les déréglements qui déshonorent le Sanctuaire, l'exemple des efprits forts du fiecle, la corruption de notre nature Vous auront peut

être fait fecouer le joug de la Religion de vos peres; ils vous auront conduit à cette efpece d'incrédulité qui cft malheureusement fi commune aujourd'hui. Rentrez donc dans cette Religion; croyez que Dieu a envoyé fon divin Fils fur la terre pour éclairer les hommes, & pour les tirer de l'efclavage où la chûte de leur premier pere. les avoit plongés: croyez que ce Fils de Dieu eft Dieu lui-même: croyez, en un mot, tous les dogmes & les myfteres que l'Evangile contient, & que l'on vous a vraifemblablement enfeignés dans votre jeuneffe. Ces myfteres auguftes, quelqu'impénétrables qu'ils foient,n'en font pas moins dignes de notre foi & de notre vénération. Si vous jetez les yeux fur l'hiftoire de l'Eglife, vous verrez qu'on ne les a jamais attaqués fans motif d'intérêt, de vengeance ou d'ambition. Si les mêmes paffions ont régné quelquefois chez ceux qui étoient faits pour être les défenfeurs de la pureté de la Religion, il y a de l'extravagance à s'en prendre à elle. Nous ne devons point juger de Evangile par les hommes qui le prêchent fans. le pratiquer: nous devons juger 1 Evangile par L'Evangile même, & par les difcours de ceux qui,. en le prêchant, fe conforment à ce qu'il preferit.

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