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l'ai dit, que rendre l'agonie d'un mourant plus douloureufe. Il y a de l'inhumanité à faire fouffrir un homme, pour fe procurer la finguliere fatisfaction de le voir expirer. Qui én a vu un, en a vu mille. Vouloir en voir davantage eft une curiofité barbare, qui reffemble à celle de ceux qui ne peuvent être affez près de l'échaffaut toutes les fois qu'on roue quelque malheureux.

Tome III.

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CHAPITRE LI I I.

Suite de la Maladie du Compere.

P ERE-JEAN parloit encore, lorfque le Compere fortit de fa léthargie. Comme cet état l'avoit fatigué extraordinairement, on lui donna à boire, & le Révérend jugea à propos de ne lui dire mot. Mais le Compere rompit lui-même ce filence: il demanda à fon oncle s'il ne croyoit pas qu'il pût en échapper. Celui-ci lui répondit que non, & qu'il devoit s'attendre à partir de ce monde avant vingt-quatre heures.

Eft-il poffible, s'écria le Compere, que perfonne ne puiffe me fauver la vie, ou du moins me la prolonger quelques jours? Ah! mon cher oncle, que vais-je devenir? Je fuis un homme perdu. Je fors d'un affoupiffement funefte, pendant lequel mon efprit s'eft représenté des chofes horribles. J'ai vu l'enfer ouvert, & les fupplices effroyables que l'on y fait fouffrir à ceux qui, comme moi, n'ont fuivi dans leur vie que ce que la perverfité de leur ame leur infpiroit. Qu'il va m'en coûter pour la vaine fatisfaction que j'ai eue de me fingularifer par mes opinions criminelles! Je vous ai trompés, mes amis, & je me fuis trompé moi-même. - Mon cher maître, dit l'Espagnol, s'il étoit permis à votre ferviteur Diego de la Plata de vous donner quelques petits confeils, je vous dirois que ces lamentations que vous faites font excellentes ; mais qu'il conviendroit plutôt que vous employaffiez cet intervalle de connoiffance que le Ciel vous envoie, pour

examiner votre confcience & vous confefler enfuite. Je connois le P. Anfelme, Récollet, qui a affifté Louis-Dominique Cartouche à la mort; il a reçu de Rome le pouvoir d'abíoudre tous les cas, réfervés; je vais le chercher. - Hélas! mon cher Diego, dit le Compere, crois-tu qu'il y ait encore du pardon pour moi? - Oui dà, mon doux maître, reprit l'Espagnol; il y en a bien eu pour Saint Longin, qui avoit percé le côté de NotreSeigneur.- Va donc, dit le Compere, cours, & reviens au plus vite avec cet homme de Dieu..... -Ventre-bleu, s'écria Pere Jean, fi quelque Frocard a l'audace d'entrer ici, je l'étripe, & je le pends à la cheminée comme une andouille. Tout beau, mon cher confrere, dit Vitulos; fi vous aimez votre neveu, laiffez-lui la fatisfaction de mourir comme il veut. Les mourants font comme les enfants; ils ont des fantaifies, il faut s'y prêter. Que ce foit un Moine ou un autre qui affifte le Compere en ce moment, peu importe moyennant qu'il fe tranquill fe, & quil avale la pilule fans faire la grimace. Je ne fuis point de ce fentiment-là, dis-je à mon tour; ce moment eft trop précieux pour abandonner un homme à lu même, ou entre les mains de quelque Béat, qui eft plus capable de lui faire tourner la tête, que de lui procurer des fecours folides & néceffaires. Il ne s'agit point ici de remplir de fadaifes & de puérilité la cervelle d'un malade; il s'agit de lui donner une idée fublime & majeftueufe de l'Auteur de la nature, une idée nette & diftincte de la Religion, & d'affermir fa foi fur tous les dogmes qu'elle prefcrit: il s'agit enfuite de lui rappeller fes fautes, de lui inculquer un repentir fincere, un ferme propos de s'amender, s'il retourne en fanté, ainfi qu'une confiance folide en

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la miféricorde de celui qu'il a offenfé. Je me charge de m'acquitter, autant qu'il me fera poffible, de toutes ces chofes envers le Compere, & je le prie de m'écouter..... J'allois continuer ; mais le Compere me témoigna que je lui ferois plaifir de me taire, & pria derechef l'Espagnol d'aller lui chercher un confeffeur.

Pere Jean voyant cela, dit à fon neveu de mourir de la façon qu'il l'entendroit, & fortit.

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CHAPITRE LIV.

Suite de cet Evénement.

IEGO partit donc, ainfi qu'il en avoit été requis, & ne tarda gueres à amener fon Pere Anfelme.

Lorfque ce Religieux fut entré, il nous fit tous fortir de la chambre, & fe mit en devoir de confeffer le Compere. Comme il n'y avoit qu'une cloifon entre cette chambre & le cabinet où nous nous étions retirés, & qu'ils parloient affez haut l'un & l'autre, nous entendîmes tout ce qu'ils dirent. Le Compere, baigné de larmes, fe confeffa d'abord de tout ce que le Récollet voulut. Alors celui-ci lui fit une remontrance pathétique, qu'il accompagna de peintures fi ridicules de l'enfer, d'un tableau fi dégoûtant du paradis, que je faillis plufieurs fois d'aller prendre le Moine par le collet, & de le jeter en bas de l'escalier.

Enfin le Récollet finit par dire au malade qu'il n'y avoit point de pardon pour lui, s'il ne donnoit un tiers de fon bien aux pauvres, un tiers aux ames du purgatoire, & le refte à l'Eglife; ce que le Compere promit de faire. Mais comme l'effet valoit mieux que la promeffe, le Religieux infifta, & le malade nous fit appeller pour lui remettre fa part de la bourfe commune; mais on lui répondit que Pere Jean avoit la clef de la caffette. En attendant qu'il fût de retour, Pere Anfelme ordonna au Compere de jeûner au pain & à l'eau pendant fix ans, s'il revenoit de fa maladie, & d'entrer au bout de ce temps-là dans le Tiers-Ordre de S. Fran

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