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CHAPITRE XLVII.

Suite de cette Aventure.

Le lendemain de certe aventure, Pere Jean s'ar

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ma d'un gourdin plombé qu'il cacha fous fon habit, fe prépara à tout événement, & fortit à fon ordinaire; mais il ne vit aucune apparence que le Lord fongeât à lui tenir parole. Le lendemain il fortit derechef, & il ne vit rien. Le troisieme jour il fortit encore: pour cette fois, un matelot ivre, ou faifant femblant de l'être, lui chercha querelle près de Billingsgate (1). Pere Jean ne fit point femblant d'entendre le matelot, & voulut paffer outre: mais un autre fe joignit au premier, & l'éclabouffa depuis la tête jufqu'aux pieds. Pour le coup le Révérent perdit patience : il appliqua un fi furieux foufflet fur la face de ce dernier, qu'il l'envoya culbuter à plus de quinze pas. Alors un gras & puiffant coquin qui fe trouvoit là, irrité de l'affront que le Peuple Anglais venoit de recevoir d'un étranger, mit habit, chemife & perruque bas, défia le Révérendiffime de fe battre contre lui, & lui donna en même temps un coup de poing. fur l'eftomac: mais ce dernier lui en rendit un autre fi terrible, qu'il lui enfonça trois côtes du côté gauche, & le jeta par terré fans mouvement & fans connoillance.

Cet exploit attira à Pere Jean l'applaudiffement

(1) Endroit fitué fur la Tamife, un peu au-deffous du Pont de Londres.

des paffants: aucuns dirent qu'il étoit impoffible que cet homme ne fût pas Anglais; que s'il ne l'étoit point, il méritoit non-feulement de l'être, mais encore de recevoir des lettres de bourgeoifie de Londres. Mais les camarades de ceux que Pere Jean. avoit jetés par terre, s'armerent de tout ce qu'ils purent trouver, & l'affaillirent de toutes parts. Alors le Reverendiffime tira fon gourdin, tomba fur cette troupe d'affaffins, & en jeta une demidouzaine fur le carreau. Cela ne fit qu'irriter cette multitude: mais le Redoutable entra dans une telle colere, qu'à chaque coup qu'il portoit il jetoit bas fon homme. Son combat de Petersbourg, & la défaite des Sauvages, n'étoient que jeu en com→→ paraifon de ceci. Un coup de pierre qu'il reçut à la mâchoire le rendit furieux ; il pouffa un cri terrible: il faifit une folive qu'il rencontra par hafard, & tomba de plus belle fur fes ennemis. C'étoit fait de cette canaille entiere, fi elle ne fe fût diffipée; mais en moins de trois minutes tout étoit difparu, & Pere Jean fe trouvoit maître du· champ de bataille.

Ceux qui avoient été fpectateurs de l'action,firent retentir l'air d'acclamatious à l'honneur du vainqueur, en difant qu'il méritoit qu'on lui érigeât une ftatue à Westminster. D'autres crioient qu'il falloit lui faire fon procès, & l'envoyer à Tyburn. Peu s'en fallut que les deux partis n'en vinffent aux mains pour foutenir leur opinion: mais les premiers l'emporterent; ils entourerent Pere Jean, le ramenerent au logis au bruit de leurs acclamations réitérées, & s'oppoferent à la garde qui vouloit l'arrêter, ou plutôt fe faire affommer; car le Révérend étoit dans une telle fureur, qu'il fe feroit plutôt laiffé hacher en piéces que de fe rendre.

Lorfqu'il fut arrivé au logis, & qu'un de ceux qui étoient montés avec lui nous eût fait le détail de cette aventure, Vitulos & moi craignant de mauvaifes fuites, lui confeillâmes de fortir par une porte de derriere qui donnoit dans une autre rue, & de fe retirer chez un Traiteur français de notre connoiffance. Le Révérend regarda d'abord cette démarche comme une lâcheté; mais à la fin il entendit raison & difparut. Il fit fagement; car peu de temps après fon départ il arriva un détachement de cinquante Grenadiers pour le prendre.

L'Officier qui étoit à la tête de ces cinquante hommes, nous demanda où étoit celui qu'il cherchoit. Vitulos lui répondit que nous n'en favions rien, & qu'il ne croyoit pas qu'il fût dans la maifon; qu'en tout cas il en pouvoit faire la perquifition. Le Compere lui dit qu'il feroit beancoup mieux de courir après ceux qui attaquent les gens dans la rue, par ordre d'un lâche, que de venir chercher un homme qui n'avoit fait qu'ufer du droit que la nature a donné à un chacun de fe défendre. L'Officier demanda au Còmpere de quelle autorité il lui tenoit ce propos. Celui-ci lui répondit, que c'étoit de l'autorité que chacun avoit de prendre le parti de l'innocent contre le coupable. L'Officier ne prit point la peine de répliquer; il continua à faire fouiller par-tout; & voyant que le Révérend étoit éclipfé, il fe retira.

Cette affaire avoit effectivement été fufcitée par le Lord. Nous apprîmes au moment que la garde venoit de fortir de chez nous, qu'il s'étoit trouvé parmi les fpectateurs de l'action; ma s que pour faire voir qu'il n'y avoit aucune part, il avoit applaudi avec les autres à la vigoureuse défenfe de Pere Jean.

Je trouvai ce procédé indigne d'un honnête

homme, & particuliérement d'un Seigneur d'une naiffance auffi illuftre que celle du Lord: mais la Noble e anglaife, qui fe diftingue fi glorieufement par la grandeur d'ame, la bravoure & la générofité, n'eft pas plus à l'abri que celle des autres pays, de voir parmi elle quelque membre qui la déshonore.

Cette derniere nouvelle nous fit prendre le parti de faire dire à Pere Jean de fortir le foir de la maison où il étoit, & de fe réfugier à Oxford ou à Canterbury jufqu'à nouvelle ordre; mais le Révérend méprila cet avis, & s'obftina à demeurer à Londres. Auffi mal lui en prit-il; car deux jours après on le furprit dans fon lit, & on le conduifit en prifon.

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CHAPITRE XLVIII.

Suite de cette Aventure.

A Peine Pere Jean fut-il en prifon, que l'on commença fon procès avec toute l'ardeur imaginable. On l'accufoit d'avoir tué fept perfonnes & d'en avoir eftropié quinze autres. Le Révérend fe défendit avec tout le courage & la présence d'efprit dont il étoit capable. Il dit que Lord Foolishfon étant venu l'infulter dans fon logis, il lui avoit répondu avec vigueur; que pour cela ce Seigneur l'avoit menacé de le faire jeter dans la Tamife, & qu'il ne doutoit point que la querelle qu'on lui avoit cherchée ne vint de fa part. Il nous nomma comme témoins de cette menace. On nous cita: nous comparûmes; nous dépofâmes la vérité; mais rien de tout cela ne prouva que l'infulte des deux matelots & ce qui s'enfuivit fuffent l'effet de la menace du Lord. Par malheur l'un de ces matelots étoit mort, & l'autre étoit difparu: tous ceux qui étoient bleffés dépoferent qu'ils s'étoient trouvés par hafard dans la mêlée, & fous les coups de Pere Jean, qui frappoit à tort & à travers, fans égard & fans diftinction. Le Révérend Pere n'avoit donc aucun témoignage favorable pour lui: au contraire, le Lord pouvoit prouver qu'il s'étoit trouvé là, & qu'il avoit été le premier à louer & exalter le courage de Pere Jean. Mais, à dire la vérité, l'on ne fe donna point la peine de faire de grandes recherches. Le Révérendiffime étoit un étranger fans appui, fans connoiffances; il avoit tué fept Anglois, il en avoit eftropić deux fois

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