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VARIÉTÉS LITTÉRAIRES ET POLITIQUES.

No. 504.-Le 30 Mars, 1818.

ÉTAT DE LA FRANCE.

Paris ce 22 Mars, 1818.

(La Lettre suivante n'est pas une de celles avec lesquelles la Police de Paris égare régulierement l'Opinion publique en Angleterre par le canal de trois Papiers qu'elle a à sa disposition.)

On vient ici, pour nous marquer de plus en plus le respect que l'on porte à la liberté de la presse, de saisir le No, XI de la Correspondance Politique, &c., de M. FIVÉE. Après l'avoir lu avec le peu d'attention dont je suis capable, il m'a été impossible de découvrir la plus petite matiere à procès. Il n'y a certainement pas de quoi fouetter un chat. Mais il n'est pas surprenant que notre police qui doit avoir les yeux bien plus perçants que moi, y trouve de quoi faire pendre un homme. Il est bien vrai que l'auteur prend la liberté de se moquer un peu de ces souverains qui ont la bonhommie de croire que le peuple les aime: mais où en sommes-nous donc, si, dans un état qui jouit de l'inappréciable bonheur d'être régi par une charte constitutionnelle, chef-d'œuvre, comme l'on sait, de la plus haute sagesse, il n'est pas même permis de dire des vérités aussi triviales. Aussi la police n'aVOL. LVI. 4 C

t-elle osé faire qu'une espece de saisie pour la forme, et la prohibition n'en a fait augmenter le prix que de la modique somme de 20 sous par exemplaire. Ceci est une nouvelle démonstration à ajouter à mille autres, si besoin était, du systême de violence, de faiblesse et d'imbécillité sous lequel nous sommes condamnés à gémir. Fiévée, loin d'en être effrayé, est charmé de ce petit événement qui va accroître sa célébrité. Il espere surtout qu'on le mettra en jugement, il plaidera lui-mêmesa cause, et on ne conçoit pas qu'il puisse la perdre, à moins que nos magistrats n'aient pas ce degré d'indépendance qu'on serait surpris de ne pas trouver chez des laquais. Vous sentez que cette espece de marche dans laquelle persévere notre gouvernement, n'est pas celle qui doit le conduire à la considération; aussi tombe-t-il davantage de jour en jour dans le mépris public. Tout ce qui sort de ses mains ou de son cerveau porte un chet d'astuce, de petitesse et de niaiserie, qui le dévoue non-seulement à l'opprobre, mais, ce qui est pis parmi nous, au ridicule. Tout le monde commence à se sentir humilié d'un systême fondé par la bêtise et dirigé par l'incapacité, et on sent que, s'il durait encore quelque temps, nous tomberions dans un véritable état de dégradation nationale. Comment nous tirerons-nous de ce bourbier ? je n'en sais rien.

Au surplus tout le monde voit ici que nous cheminons vers la république, Les ministres en conviennent, et soit perfidie, soit bêtise, ils favorisent cette déplorable route. Quant au maître, il est aveugle comme tous les Quinze-Vingts ensemble. Pendant toutes les discussions sur le recrutement, il a cabalé pour la loi, de même qu'il cabalait en faveur de la loi sur les élections. C'est de Cazes qui le pousse à sa perte. Afin d'enlever trois voix aux royalistes, il s'est promené tous les jours; tandis que cette loi était débattue à la Chambre des

Pairs; quoique pendant ce temps il y eût tous les jours des ouragans affreux entremêlés de pluie, de neige et de glace; mais cela empêchait MM. d'Havré, d'Aumont et d'Avaray, trois bons ultras, de venir à la Chambre, et par ce motif, le maître s'inquiétait peu que tout ce qui galopait à sa suite eût les bras où les jambes cassées. De plus, le jour du vote sur la loi, il a signifié à M. de Duras d'aller en Touraine, ainsi de son fait voilà quatre voix qu'on enleva ce jour-là aux Royalistes !

L'affaire de Lyon devient grave. Vous savez que Marmont s'y est conduit d'une maniere affreuse, et que de plus il a fait injurier toutes les autorités par son chef-d'état-major Fabvier. Le mémoire que cet officier, prête-nom du maréchal, a publié, n'est qu'un tissu de mensonges, auxquels MM. de Chabrol et Canuel ont déjà répondu, en attendant les réponses que préparent le maire et le prévôt. Cette affaire, je l'espere, deviendra très-sérieuse. Les ministres en ont peur, et font tout ce qu'ils peuvent pour l'assoupir; mais je doute qu'ils y parviennent, On assure que, malgré leur insolence et leur audace apparente, ils ont beaucoup d'inquiétude.

La loi du recrutement, loin d'être populaire, déplaît à tout le monde, excepté aux officiers qui veulent avoir des soldats: mais quant à ceux qui doivent l'être, ainsi qu'aux vétérans, elle ne leur plaît en aucune façon, de sorte qu'ils ne partiront pas; ceux-ci n'ont plus envie de faire la guerre, et les autres étaient si las de la conscription, qu'ils la voient rétablir avec beaucoup de peine, et il ne leur plaira pas du tout que le Roi ait manqué à la parole qu'il avait fait donner, et qu'il avait lui-même consignée textuellement dans sa charte. Au surplus, le ministere est plus déconsidéré que jamais. Tout marche dans la voie du Jacobinisme, et nous conduit à un nouveau 20 Mars, dont le Roi ne se doutera que le 30, comme en 1815.

CORRESPONDANCE

Politique et Administrative, par J. Fiévée.

AVERTISSEMENT.

Je ne sais dans quelle intention on a répandu le bruit que cette onzieme Partie de la Correspondance politique et administrative serait la derniere qui paraîtrait pendant la présente Session. Il me semble que les choses ne vont pas si vite dans les deux Chambres qu'on n'ait du temps devant soi pour en parler et pour en écrire. Si même on ne parlait et ou n'écrivait que de ce qui occupe les Chambres, les conversations auraient peu d'activité, et les livres se succéderaient moins rapidement; mais le domaine de l'opinion publique s'agrandit de tout ce que les pouvoirs de la société négligent de traiter. Cette onzieme Partie trouvant toutes les discussions publiques au même point où elles étaient lorsque la dixieme a été publiée, il est certain que la douzieme Partie paraitra dans les premiers jours d'Avril. Sera-ce la derniere pendant cette Session? je l'espere; mais qui peut avoir une volonté arrêtée un mois d'avance?

TABLE.

SITUATION de la France à l'égard des étrangers.-
CHAPITRE Ier. Extraits du Courier Anglais, du 28
Janvier 1818.

CHAPITRE II. De l'amour des peuples et des senti-
ments en politique.

CHAPITRE III. Dangers de la France communs à
P'Europe.

CHAPITRE IV. Du Prisonnier de Sainte-Hélene
CHAPITRE V. De la République.

CHAPITRE VI. Le But et les Moyens.

Affaire de Lyon.

Un mot à l'occasion du Concordat.

Correspondance, &c.

CHAPITRE I.-Extrait du Courier de Londres, du 28 Janvier 1818.

Après avoir exposé la situation intérieure de la France, dans la neuvieme partie de ma Correspondance, j'éprouvais un grand désir de faire quelques réflexions sur la position de notre patrie à l'égard des étrangers; mais je m'arrêtai par la crainte de n'avoir que des conjectures à mettre à la place des faits, qui seuls font autorité en politique. Nos journaux sont sous une direction si molle, qu'elle se borne à retrancher ce qui lui déplaît ou ce qui l'alarme; si, par hasard, la police produit quelques articles, ce n'est qu'en faveur des projets du ministere; la France est toujours oubliée. C'est cependant la France qu'il serait important de faire connaître à l'Europe; c'est l'Europe qu'il serait du plus grand intérêt de faire connaître à la France puisque dans les discussions publiques qui commencent à s'établir en Angleterre sur le séjour plus ou moins prolongé des troupes alliées sur nos frontieres, c'est la situation de notre patrie qu'on jugera, et non la situation du ministere. Si la grande négociation qui va s'ouvrir pour ou contre notre indépendance territoriale, n'amenait pas un résultat heureux pour nous, comment la France pourrait-elle juger des torts ou du mérite des ministres, dès qu'on s'obstine à la tenir dans l'ignorance la plus profonde des intérêts et des passions qui agitent l'Europe? Notre esprit public, à l'égard des étrangers, n'est et ne peut être que le résultat de préventions nées d'un état de choses qui n'existe plus; il est possible qu'en ne nous fondant que sur des souvenirs, nous regardions comme amis ceux qui veulent nous perdre, comme ennemis ceux pour lesquels l'existence de la France est uu besoin. La maniere dont la politique est conduite dans l'intérieur peut-elle nous rassurer sur les idées qu'on propage au-dehors? Depuis que l'Europe nous a refoulés sur nous-mêmes, quels moyens avons-nous de connaître comment l'Europe nous juge, et de préjuger ses projets à notre égard? La direction de nos journaux étant entierement négative, il en résulte que nous offrons le singulier spectacle d'une nation libre qui ne sait rien de ses rela

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