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qui voudront venir sur ce terrain, sont sûrs de la trouver: c'est là que sans intrigues, sans ambition, elle tiendra d'une main ferme le drapeau blanc à la tribune, et soutiendra une opinion qu'on cherche à décourager. La lassitude des royalistes serait le plus grand malheur qui pût arriver à la royauté; pour ne pas sentir cette lassitude, il faut avoir une dose peu commune de longanimité.

La politique adoptée, en donnant naissance aux minorités royalistes des deux Chambres, a fait un mal incalculable. Ce sont des minorités contre nature: on ne s'accoutume point à voir dans l'opposition les plus fideles soutiens du trône. De tous les devoirs que les royalistes aient eu à remplir jusqu'ici, le plus douloureux peut-être est d'être obligé de voter contre des projets qu'on leur présente comme émanés de la volonté du Roi.

L'opposition naturelle aujourd'hui serait une opposition démocratique combattue par une forte majorité royaliste. Avec cette opposition, le ministere et l'Etat marcheraient sans craintes et sans entraves; mais quatre-vingts membres dans la Chambre des Députés, soixante au moins dans la Chambre des Pairs, presque tous connus par leurs sacrifices et pour leur attachement à la monarchie, plusieurs au service particulier du monarque et nobles compagnons de ses exils, forment des minorités trop extraordinaires, pour ne pas annoncer un vice radical dans l'administration.

Vous avez beau dire que ce sont des hommes honnêtes, mais égarés; une erreur peut appartenir à un homme, à quelques hommes, elle n'est pas le partage d'un nombre considérable de sujets loyaux, dévoués, sinceres, religieux. Qui peut donc les

On a le bonheur de se renconter ici avec un orateur de la Chambre des Députés, M. Benoist, qui a très-bien exprimé et développé cette idée.

pousser à une opposition si pénible pour eux? L'ambition? Mais dans ces nobles vieillards de la Chambre des Pairs, fatigués des traverses d'une longue vie, on n'a jamais remarqué que l'ambition de s'attacher aux pas d'un monarque malheureux, de lui aider à soutenir sa couronne, lorsqu'elle pesait sur sa tête royale. Courtisans des temps de son adversité, ils ne veulent point être ses ministres au jour de sa fortune. Ils ont un plus beau titre à garder, un titre que la fidélité leur donne, qu'aucune puissance ne peut leur ravir: ils sont les amis du Roi.

On ne voit dans l'ancienne minorité de la Chambre des Députés, que des citoyens modestes, fidelement attachés ou noblement revenus au trône. Qui les console dans leurs pénibles travaux? Ont-ils comme en Angleterre des journaux qui les défendent, des fortunes, une existence, qui les dédommagent de la perte de la faveur? Les rencontre-t-on chez les ministres? Intriguentils dans les antichambres? Ils vivent entre eux dans la simplicité de leurs mœurs, sans prétention, sans autre but que celui de faire triompher la monarchie légitime, sacrifiant en silence jusqu'aux intérêts de leur famille enveloppée dans leur disgrâce, et n'opposant aux calomnies que le témoignage de leur conscience. Ils ne tirent aucun parti de leur renommée; ils la quittent pour ainsi dire avec leur habit, et ne la reprennent qu'à la tribune; ces hommes de bien si redoutables aux ministres, si estimés dans toute la France, sont à peine aperçus dans Paris.

Une opposition pareille a nécessairement une influence considérable sur l'opinion. Par quelle fatalité a-t-on fait deux choses de la royauté et des royalistes! Les gens simples ne comprennent rien à cette distinction bizarre; ils ne savent où est la vérité, de quel côté il faut qu'ils se rangent:

ainsi se trouve rompu ce faisceau de volontés sur lequel la France doit s'appuyer, et dont elle doit tirer sa défense et sa force.

On entend une clameur: Les royalistes voter avec les indépendants! Les royalistes inscrits avec eux pour parler contre la même loi! Quel malheureux esprit de parti!

Mais qui donc éleve cette clameur! Qui donc est si jaloux de l'honneur des royalistes? Seraitçe par hasard leurs ennemis? Ils ont donc une idée bien haute de notre vertu! Depuis deux ans on ca lomnie les royalistes de la maniere la plus honteuse: on essaie d'armer contre eux l'opinion publique;" tous les journaux, même les journaux étrangers à la solde française, les déchirent; on voudrait les perdre dans toute l'Europe; et quand l'histoire fouillera les archives, aujourd'hui fermées à ses recherches, elle y découvrira peut-être des documents qui prouveront à quel point la haine à poursuivi la fidélité. On a tout fait souffrir aux royalistes; et parce qu'on s'est mis dans une position périlleuse, on trouvera mauvais que les royalistes ne s'empressent pas de tendre la main à leurs imprudents persécuteurs? C'est la patrie, dit-on, qu'il s'agit de sauver! Et qu'est ce qui a compromis la patrie? N'est-ce pas une politique étroite et passionnée qui a produit les divisions existantes aujourd'hui? Si on ne change pas de systême, le plus grand malheur ne serait-il pas de maintenir au pouvoir ceux qui nous perdent par ce systême? Leur retraite, dans ce cas, n'est-elle pas la premiere condition du salut de la France?

L'ancienne minorité de la Chambre des Députés voter avec la nouvelle ! Et pourquoi ceux qui se scandalisent de cette coïncidence de votes, sontils plus scrupuleux pour les royalistes que pour eux-mêmes? Ne voterent-ils pas pour la loi des élections avec ces mêmes hommes dont la faveur

est passée aujourd'hui ? On eut besoin des indépendants pour faire un 5 Septembre contre les royalistes; voudrait-on aujourd'hui employer les royalistes pour faire un autre 5 Septembre contre les indépendants ?

Les royalistes défendirent l'année derniere la liberté de la presse: fallait-il qu'ils changeassent d'avis cette année, parce qu'une autre minorité partage leur opinion? Et que deviendraient leurs discours de l'autre session? S'ils pouvaient changer si subitement de doctrine sans raison palpable et motivée, ne seraient-ils pas et ne mériteraient-ils pas d'être la fable de l'Europe et de la France? On disait que les royalistes étaient implacables; et on va trouver mauvais à présent qu'ils ne se précipitent pas sur des hommes qui sont d'accord avec eux dans une discussion capitale!

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avan

Grâces à Dieu, la querelle des hommes tire à sa fin entre tout ce qui ne veut pas le despotisme ministériel: les bons esprits sentent la nécessité de se fixer dans des principes qui n'aient pas la mobilité des passions. Tout ministere qui ne sera pas franc dans l'exercice de la constitution, qui n'embrassera pas le gouvernement représentatif avec toutes ses libertés, toutes ses conséquences, tous ses inconvénients comme tous ses tages, tombera écrasé sous le poids de ce gouvernement. Bonne foi et talent, voilà ce qu'il faut maintenant pour nous conduire: et la bonne foi et le talent ne sont point le partage exclusif d'une classe d'hommes. Les royalistes ne repoussent que la lâcheté et le crime, ils ne sont point ennemis des opinions. Quant à l'auteur de cet écrit, il pense qu'on peut rencontrer des amis sinceres de la monarchie constitutionnelle jusque dans les rangs des anciens partisans de la république (lorsqu'ils n'ont pas commis de crimes), parmi ces hommes dont les premieres erreurs ont eu un fond de no

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blesse; il croit encore que les enfants de nos vic toires récentes sont désormais disposés à se joindre aux vieux soldats de notre antique gloire; aimer l'honneur, c'est déjà aimer le Roi. Mais défionsnous de ces suppôts de la tyrannie, prêts à servir comme à trahir tous les maîtres, qui, toujours attendant l'événement, en ont toujours profité, esclaves que rien ne peut rendre libres, et dont la Charte n'a fait que des affranchis.

Que faut-il conclure de la rencontre des deux minorités dans les principes communs de liberté et de justice? Que cette réunion est la plus sévere critique du systême que l'on suit, et l'accusation la plus grave que l'on puisse former contre ce systême.

Enfin on s'écrie que c'est par esprit de parti que les royalistes combattent pour la Charte, pour la liberté de la presse; qu'au fond, ils n'aiment pas ces libertés. Cet argument est usé: la persé vérance des royalistes dans leurs opinions détruit, à cet égard, toutes les insinuations de la calomnie; mais, pour trancher la question d'une façon péremptoire, qu'il me soit permis de citer un exemple.

Dans un Rapport sur l'état de la France, fait au Roi dans son conseil, à Gand, je m'exprimais de la sorte:

"Sire, vous vous apprêtiez à couronner les institutions dont vous aviez posé la base, en attendant dans votre sagesse l'accomplissement de vos projets.

Vous aviez déterminé une époque pour le commencement de la pairie héréditaire; le ministere eût acquis plus d'unité; les ministres seraient devenus membres des deux Chambres, selon l'esprit même de la Charte; une loi eût été proposée afin qu'on pût être élu membre de la Chambre des Députés avant quarante ans, et que les citoyens eussent une

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