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destinées à purger le reste des péchés de cette vie; et c'est pour fléchir la colère de Dieu sur lui que nous devons soigneusement nous employer. La prière et les sacrifices sont un souverain remède à ses peines. Mais j'ai appris d'un saint homme dans notre affliction qu'une des plus solides et plus utiles charités envers les morts est de faire les choses qu'ils nous ordonneraient s'ils étaient encore au monde, et de pratiquer les saints avis qu'ils nous ont donnés, et de nous mettre pour eux en l'état auquel ils nous souhaitent à présent. Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous en quelque sorte, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous; et comme les hérésiarques sont punis en l'autre vie des péchés auxquels ils ont engagé leurs sectateurs, dans lesquels leur venin vit encore, ainsi les morts sont récompensés, outre leur propre mérite, pour ceux auxquels ils ont donné suite par leurs conseils et par leur exemple.

Faisons-le donc revivre devant Dieu en nous de tout notre pouvoir; et consolons-nous en l'union de nos cœurs, dans laquelle il me semble qu'il vit encore, et que notre réunion nous rend en quelque sorte sa présence, comme JésusCHRIST se rend présent en l'assemblée de ses Fidèles.

Je prie Dieu de former et maintenir en nous ces sentiments, et de continuer ceux qu'il me semble qu'il me donne, d'avoir pour vous et pour ma sœur plus de tendresse que jamais; car il me semble que l'amour que nous avions pour mon père ne doit pas être perdu, et que nous en devous faire une réfusion sur nous-mêmes, et que nous devons

« A présent. Conseil vraiment saint en effet, et qui même au point de vue humain, paraltra aussi touchant que sage.

« Punis en l'autre vio. » Il est triste de lire cette condamnation froide et dure au milieu des consolations d'un frère à sa sœur.

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principalement hériter de l'affection qu'il nous portait, pour nous aimer encore plus cordialement s'il est possible.

Je prie Dieu de nous fortifier dans ces résolutions, et sur cette espérance je vous conjure d'agréer que je vous donne un avis que vous prendriez bien sans moi; mais je ne laisserai pas de le faire. C'est qu'après avoir trouvé des sujets de consolation pour sa personne, nous n'en venions point à manquer pour la nôtre, par les prévoyances2 des besoins et des utilités que nous aurions de sa présence.

C'est moi qui y suis le plus intéressé. Si je l'eusse perdu il y a six ans', je me serais perdu, et quoique je croie en avoir à présent une nécessité moins absolue, je sais qu'il m'aurait été encore nécessaire dix ans, et utile toute ma vie. Mais nous devons espérer que Dieu l'ayant ordonné en tel temps, en tel lieu, en telle manière, sans doute c'est le plus expédient pour sa gloire et pour notre salut.

Quelque étrange que cela paraisse, je crois qu'on en doit estimer de la sorte en tous les événements, et que, quelque sinistres qu'ils nous paraissent, nous devons espérer que Dieu en tirera la source de notre joie si nous lui en remettons la conduite. Nous connaissons des personnes de condition qui ont appréhendé des morts domestiques que Dieu a peut-être détournées à leur prière, qui ont été cause ou occasion de tant de misères, qu'il serait à souhaiter qu'ils n'eussent pas été exaucés.

L'homme est assurément trop infirme pour pouvoir juger

« Nous n'en venions point à manquer. C'est-à-dire nous ne venions point à en manquer.

2. Par les prévoyances. » En prévoyant trop les occasions particulières que nous pourrons avoir de sentir qu'il nous manque, et en nous affligeant de cette pensée.

Six ans. Cette lettre est de 1651. Six ans plus tôt, c'est-à-dire en 1645, l'accident qui amena chez Étienne Pascal les deux saints gentilshommes par qui se communiqua à toute la famille l'impression de la grâce n'était pas arrivé. Voir la Vie de Pascal.

sainement de la suite des choses futures. Espérons donc en Die, et ne nous fatiguons pas par des prévoyances indiscrètes et téméraires. Remettons-nous à Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant

on nous.

1

Saint Augustin nous apprend qu'il y a dans chaque homme un serpent, une Ève et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature, l'Ève est l'appétit concupiscible, et l'Adam est la raison. La nature nous tente continuellement, l'appétit concupiscible désire souvent; mais le péché n'est pas achevé, si la raison ne consent. Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l'empêcher; mais prions Dicu que sa grâce fortifie tellement notre Adam qu'il demeure victorieux ; et que Jésus-Christ en soit vainqueur, et qu'il règne éternellement en nous. Amen.

1 << Nous apprend. Dans ses livres de Genesi contra Manicheas. II. 20.

8

Bu soit vainqueur. Du serpent et de l'Eve

PRIERE

POUR DEMANDER A DIEU LE BON USAGE DES MALADIES'.

I. Seigneur, dont l'esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux que non-seulement les prospérités, mais les disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont des effets de votre miséricorde, faites-moi la grâce de n'agir pas en païen dans l'état où votre justice m'a réduit: que comme un vrai chrétien je vous reconnaisse pour mon père et pour mon Dieu, en quelque état que je me trouve, puisque le changement de ma condition n'en apporte pas à la vôtre; que vous êtes toujours le même, quoique je sois sujet au changement, et que vous n'êtes pas moins Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que quand vous consolez et que vous usez d'indulgence.

II. Vous m'aviez donné la santé pour vous servir, et j'en ai fait un usage tout profane. Vous m'envoyez maintenant la maladie pour me corriger; ne permettez pas que j'en use pour vous irriter par mon impatience. J'ai mal usé de ma santé, et vous m'en avez justement puni. Ne souffrez pas que j'use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est telle qu'elle me rend vos faveurs per

Des maladies. » On lit dans l'avertissement de l'édition de . R.: L'on a aussi jugé à propos d'ajouter à la fin de ces Pensées une prière que M. Pascal composa étant encore jeune, dans une maladie qu'il eut, » et qui a déjà été imprimée deux ou trois fois sur des copies assez peu > correctes, parce que ces impressions ont été faites sans la participation » de ceux qui donnent à présent ce recueil au public. » Cette prière a été composée vers 4648: Pascal avait alors 24 ans. Voir sa Vie. L'ardeur et ie bouillonnement de la jeunesse se sentent en effet jusque dans cette profession de détachement austere.

nicieuses, faites, 6 mon Dieu! que votre grâce toute-puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j'ai eu le cœur plein de l'affection du monde pendant qu'il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit par zèle de charité, pour ne jouir que de vous seul.

III. O Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions à la fin de ma vie et à la fin du monde! O Dieu, qui ne laissez subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exercer vos élus, ou pour punir les pécheurs! O Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans l'usage délicieux et criminel du monde! O Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui à l'heure de la mort détachez notre Ame de tout ce qu'elle aimait au monde! O Dieu, qui m'arracherez, à ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attaché, et où j'ai mis mon cœur! O Dieu, qui devez consumer au dernier jour le ciel et la terre et toutes les créatures qu'ils contiennent, pour montrer à tous les hommes que rien ne subsiste que vous, et qu'ainsi rien n'est digne d'amour que vous, puisque rien n'est durable que vous! O Dieu, qui devez détruire toutes ces vaines idoles et tous ces funestes objets de nos passions! Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu prévenir en ma faveur ce jour épouvantable, en détruisant à mon égard toutes choses, dans l'affaiblissement où vous m'avez réduit. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu me réduire dans l'incapacité de jouir des

« Les pécheurs.

du mystère de la grâce,

Ainsi la fin de toutes choses est l'accomplissement accordée aux élus, refusée aux réprouvés.

2 « O Dieu qui devez. Comme cette invocation coup sur coup répétée met bien l'homme qui prie en la présence même de Dieu!

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