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Héros de la pensée,» tel est le beau titre qu'a mérité Descartes pour avoir affranchi l'intelligence humaine des entraves qui, depuis des siècles, réprimaient son élan. Jusqu'à lui, en effet, la philosophie et la science reposaient tout entières sur les enseignements d'Aristote; le philosophe grec, partout révéré comme un oracle, exerçait sur les esprits une si tyrannique autorité que bien peu étaient assez hardis pour discuter la moindre de ses assertions ou s'écarter en quoi que ce soit du chemin qu'il traça. Contre sa puissance Descartes se rebella. Certain qu'aucune réforme de la philosophie n'était possible si l'on n'abandonnait la méthode aristotélicienne,1 il démontra et prouva qu'un homme habile à manier la logique suivant cette méthode peut également établir le vrai comme faux et le faux comme vrai. Ayant ainsi abattu l'idole, il érigea en sa place la raison, fondement de toute science et de toute philosophie.

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Sa vie. Ce méditatif eut une vie assez mouvementée. Né en 1596 au petit bourg de La Haye, entre Tours et Poitiers, d'une famille d'épée, il absorba très jeune toute la science des livres, prit le temps de se livrer aux plaisirs mondains, s'engagea comme volontaire dans l'armée hollandaise, puis dans l'armée autrichienne et, après cinq ans de pérégrinations militaires à travers l'Europe, reprit sa liberté et se mit à voyager pour son plaisir et son instruction. Entre temps, il se liait avec tous les savants connus et découvrait le fondement d'une science admirable: l'application 1 Aristotélicienne, fondée sur l'enseignement d'Aristote.

de l'algèbre simplifiée aux problèmes de la géométrie, et la méthode générale qui tend à faire de la science une mathématique universelle.

Revenu à Paris pour s'enfermer dans la retraite et «étudier en lui-même,» selon son expression, après avoir «étudié dans le grand livre du monde,» il n'y put trouver la solitude qu'il voulait pour ses travaux et se retira en Hollande (1629). Là, il multiplia recherches et découvertes scientifiques, donna, en 1637, son Discours de la Méthode, suivi, quelques années plus tard, des Méditations, puis du Traité des Passions. Il vit son influence s'étendre au loin, sa philosophie enseignée dans les universités. Mais les persécutions des envieux lui firent payer sa gloire. Dégoûté de la Hollande, il se laissa attirer en Suède par la reine Christine;1 le dur climat du nord lui fut fatal: quelques mois après son arrivée, en février 1650, il mourut d'une maladie de poitrine.

Le Discours de la Méthode. - C'est dans le Discours de la Méthode qu'est le fondement de toute la philosophie moderne. Posant en principe que

"Toutes les sciences réunies ne sont rien autre chose que l'intelligence humaine, qui reste toujours une, toujours la même, si variés que soient les sujets auxquels elle s'applique, et qui n'en reçoit pas plus de changements que n'en apporte au soleil la variété des objets qu'il éclaire,"

Descartes eut assez de foi en cette «lumière naturelle » — intelligence ou raison pour vouloir fonder sur elle, sur

son unité, l'unité de la science.

Le "doute méthodique."— Après avoir expliqué par quelles opérations en quelque sorte mathématiques l'esprit doit conduire son raisonnement pour arriver à coup sûr à la vérité,

1 Fille de Gustave-Adolphe, régna de 1632 à 1654, abdiqua et alla vivre à Rome; mourut en 1689. 2 Intuition, déduction, analyse, synthèse, etc.

Descartes, appliquant lui-même sa «méthode» aux objets du savoir humain, ruine, par une critique rigoureuse, toutes les connaissances jusque-là acquises - sans en excepter celles qui nous viennent par les sens, car les sens nous trompent quelquefois, sans en excepter même l'existence de Dieu, car il n'en trouve aucune preuve qui résiste à l'analyse, et la première des règles est «de ne rien accepter pour vrai «qu'on ne le connaisse évidemment être tel. » C'est le doute méthodique, qui ne laisse rien debout.

Existence des êtres pensants. — Or, de ce doute même se dégage une première vérité; car douter, c'est penser, et se sentir pensant, c'est se sentir existant: «Je pense, donc je suis.» Cogito, ergo sum. - Et voilà établie la certitude à laquelle toutes les autres devront se rattacher pour être légitimes.

La pensée exprime donc toute ma nature, elle est mon essence même. Tout ce qui convient à la pensée (doute, sentiment, imagination, volonté, etc.) me convient; mais tout ce qui lui répugne me répugne par là même: et ainsi je ne suis ni étendue ni rien de ce qui renferme en sa notion ou sa définition l'étendue, parce que la pensée et l'étendue se repoussent mutuellement. Rien donc ne me donne une garantie quelconque de l'existence des corps ni de mon propre corps, car j'ai peut-être tiré leur idée de mon fonds. - Ainsi la pensée, isolée en elle-même, se remet à douter— de tout ce qui n'est pas elle.

Existence de Dieu. Mais douter est une imperfection, puisque je vois que c'est une plus grande perfection de connaître que de douter; et ainsi je me rends compte, non seulement que je ne suis pas un être «tout parfait,» mais que « j'ai l'idée «d'un tel être ou de la toute perfection, sans laquelle j'igno<rerais mon imperfection même.» Or, il est de toute évidence

qu'il n'y a pas d'effet sans cause, ni d'effet supérieur à sa cause, et, par conséquent, que toute idée «requiert une cause << au moins égale en richesse, en puissance, en réalité positive, «à sa réalité objective.» A ce compte, rien de fini ne peut rendre raison de l'idée de l'infini, et il n'y a qu'un être infini qui le puisse donc cet être Dieu-est; et puisqu'il est l'infini, la perfection, il est nécessairement aussi la Vérité, la Volonté, la Puissance, la Bonté. (See page 246, NOTE.)

Nous ne suivrons pas Descartes dans sa façon d'expliquer le monde physique, tout étendue et mouvement, dans sa théorie des tourbillons ni dans celle de la vie organique ramenée au mécanisme, et des animaux-machines.

La morale de Descartes. Il est plus intéressant de se faire une idée de sa morale, très curieuse en ce que, tout à fait stoïcienne, elle a pourtant un fort reflet du scepticisme de Montaigne.

La morale est, aux yeux de Descartes, le couronnement de la philosophie, «le dernier degré de la sagesse » parce qu'elle présuppose une entière connaissance des autres sciences. >> En raison même de cette idée qu'il s'en fait, il a dû, attendant que toute sa construction philosophique fût achevée, adopter une morale provisoire, «afin qu'il ne de«meurât pas irrésolu en ses actions pendant que la raison «l'obligerait de l'être en ses jugements.» Ce provisoire est devenu le définitif. Le voici en ses traits essentiels.

Les passions, de leur nature, ne sont pas mauvaises; «nous «n'avons rien à éviter, que leur mauvais usage ou leur excès. » Il faut cultiver soigneusement les passions les plus nobles, qui nous aideront à exercer sur nous-mêmes notre empire. La plus noble de toutes est la générosité; elle consiste "partie en ce qu'un homme connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que la libre disposition de ses volontés, ni

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