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féconde influence sur le développement de la littérature. Il a d'abord été le berceau de l'esprit de société: de lui procède toute la vie mondaine, si aimable et si brillante, du XVIIe et du XVIIIe siècles; à lui, du même coup, remontent en partie, avec la mort de l'individualisme, cet amour de l'universalité, cette subordination des opinions particulières aux idées générales, qui seront le caractère dominant du XVIIe siècle. En outre, il a fait pour la prose ce que Malherbe avait fait pour la poésie: il a aidé à trouver les procédés de l'art d'écrire; il a enseigné les mérites du style littéraire, donné aux auteurs l'amour du beau langage et de l'éloquence, et, en revanche, les a dégoûtés de cet étalage d'érudition antique dont le XVIe siècle avait vraiment abusé. Enfin, non content d'affiner l'esprit français, il a, en quelque sorte, préparé le champ où devait se faire la moisson des chefs-d'œuvre. Par les portraits, passe-temps favori des Précieux, par l'émulation à exprimer en phrases ingénieuses d'ingénieuses idées, par l'habitude d'analyser les passions et de raffiner sur les sentiments, il a répandu dans la société ce goût de la psychologie, de l'étude des mouvements de l'âme saisis en leurs moindres détours, en leur infinie complexité, qui s'épanouira dans la tragédie de Racine et la comédie de Molière aussi bien que dans les Maximes de La Rochefoucauld ou les Caractères de La Bruyère.

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CHAPITRE II

CRÉATION DU THÉÂTRE CLASSIQUE.-CORNEILLE
I. LE THÉÂTRE AVANT CORNEILLE

de
Origines du théâtre en France.-On ne saurait comprendre
pas
la formation du théâtre classique en France si l'on ne jette
un coup d'œil sur ses lointaines origines, car il n'est
genre littéraire dont l'évolution offre plus de continuité et
soit plus conforme au génie national.

Nous n'insisterons pas sur les commencements, d'ailleurs mal connus, du théâtre comique. Il eut probablement ses racines dans la partie la plus grossière des comédies latines: scènes bouffonnes, mimes, tours de bateleurs dont le peuple garda la tradition après qu'il eut oublié la culture grécoromaine.1 Ces jeux grotesques, transformés sous des influences multiples, devinrent la farce, la sottie et la moralité du moyen âge, qui se développèrent d'abord à côté du théâtre religieux et suivant les mêmes règles, puis finirent par l'envahir et par le tuer.

C'est du drame religieux que devait sortir le théâtre classique. Ce drame naquit dans l'église même, au milieu des cérémonies du culte, quand les prêtres, se rendant compte que le peuple ne pouvait saisir le sens des offices latins, eurent l'idée de dialoguer l'Evangile et les Actes des Apôtres.

1 Culture gréco-romaine. Il ne faut pas oublier que, la Gaule ayant été conquise par les Romains au Ier siècle avant J. C., la civilisation latine s'y implanta et le latin devint la langue du peuple; ce latin, lentement transformé au cours des siècles sous diverses influences, aboutit au français moderne.

2 Farce, petite comédie destinée uniquement à faire rire.

8 Sottie, comédie jouée par la confrérie des sots, une des branches de l'association des Enfants Sans-Souci (voir p. 8, note 1). La sottie devint très tôt une pièce satirique.

4 Moralité, pièce édifiante dont les personnages sont des allégories.

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toute la largeur. On y figure à la fois tous les lieux où l'action doit successivement se passer: le Paradis est à un bout, l'Enfer à l'autre; entre les deux, Bethléem, Nazareth, le Temple de Jérusalem, le lac de Tibériade, Rome. . . il y a parfois vingt lieux différents. Bien entendu, ils ne sont figurés que par des symboles: un arbre doit évoquer tout de suite dans l'esprit du spectateur le moins complaisant le jardin des Oliviers. Du reste, tout en demandant à l'auditoire certains efforts d'imagination, on n'épargne rien pour frapper ses yeux et ses sens: on entoure Dieu d'une gloire d'or, on fait voler autour de lui les anges et les séraphins; de l'enfer on fait sortir des flammes, des démons effroyables; les damnés hurlent au milieu d'un fracas de tonnerre - et le peuple s'émerveille, pleure, rit, trépigne d'enthousiasme.

Au XVe siècle, on commença à jouer les mystères dans une salle fermée. Faire passer le drame de la place publique à une scène de quelques mètres carrés, c'était le condamner à se resserrer terriblement; il fallut diminuer le nombre des endroits où s'éparpillait l'action, par conséquent élaguer l'action elle-même. Ce fut le premier pas vers les fameuses unités classiques.

Cependant le mystère avait perdu au cours des âges son caractère originel. Au commencement du XVIe siècle, il était sans grandeur et sans art; la farce l'envahissait, des scènes triviales, grotesques, s'y étalaient; des bouffons, se livrant aux plus grossières plaisanteries, coudoyaient le Christ. De telles pièces ne pouvaient subsister dans le siècle des grandes passions religieuses et de la Renaissance: les humanistes rejetaient, comme trop barbares, les genres du moyen âge; les croyants n'admettaient plus que l'on touchât sans respect aux Ecritures. L'autorité sanctionna

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