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SECONDE PARTIE

LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

CHAPITRE I

SA FORMATION

I. MALHERBE

L'héritage du XVIe siècle. - Le XVIe siècle a été, en France, un siècle de pionniers: artistes, poètes, savants ont ouvert à la pensée des routes inconnues; ils ont arraché la littérature aux genres épuisés du moyen âge et l'ont lancée à la conquête de tous les trésors d'art et de poésie légués par l'antiquité; ils ont transformé le maigre idiome des ancêtres, lui ont donné une richesse, une verdeur, une luxuriance où la vie éclate, triomphante et gonflée de jeune sève.

Mais c'est une loi constante, en littérature comme en histoire, que les novateurs ne savent pas maîtriser leur élan, réfréner leur enthousiasme, se garder de l'exagération, et qu'après toute période de renouveau il vient une période de réforme, de mise au point. Pas plus que les autres, la Renaissance n'échappa à cette loi. Dans le magnifique héritage qu'elle légua au XVIIe siècle, il y avait à choisir, à retrancher, à polir, à ordonner. Ce fut l'œuvre de Malherbe et, pour une part, de l'hôtel de Rambouillet.

Malherbe.1 Malherbe était bien l'homme qu'il fallait pour

1 Né à Caen (Normandie) en 1555, d'une famille protestante, mais il fut luimême catholique; mourut en 1628.

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de « dégasconner » la cour,1 où les compagnons du Béarnais2 avaient apporté la pittoresque, mais inélégante saveur de leur parler méridional.

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Son œuvre poétique: Odes et stances. Son idéal ne comportait ni haute inspiration ni vastes sujets; poète officiel du roi, il ne chanta guère, dans ses Odes, qu'Henri IV, sa famille, ses courtisans, et les évènements du jour - grands ou menus, sans choix aucun. On ne peut pas dire que ces thèmes-là aient beaucoup échauffé sa lyre: ses vers sont d'une froideur polaire, jamais un souffle d'inspiration ne les anime. En revanche, on n'y trouverait rien à reprendre pour le choix des mots, l'harmonie, la pureté des rimes, l'élégance et la grâce de la strophe. C'étaient les seuls mérites que recherchât ou que recommandât Malherbe; et il n'y atteignait que par un travail acharné. «Quand on a fait cent vers et deux feuilles de prose, disait-il, il faut se reposer dix ans.» A la vérité, il ne s'accordait point tant de repos; mais il mettait parfois plus d'un an à parfaire une poésie; telle l'ode au président de Verdun sur la mort de sa femme: il la cisela tant et tant que lorsqu'enfin il l'envoya, le veuf était remarié

et mort.

Avec une telle manie, il ne faut pas s'étonner si ses vers sont secs et froids. Quel cri du cœur, quel sursaut de passion résisteraient à ce polissage à outrance? Du reste, Malherbe s'appliquait à renfermer en lui les mouvements de son âme, à éliminer de sa poésie tout lyrisme, à n'y laisser couler que ses pensées, jamais ses émotions intimes. Dangereux système pour un poète! Dans toute l'œuvre de Malherbe, il est peu de pages où l'on trouve d'autre mérite que celui de la forme.

Ce qu'il a écrit de mieux, ce sont

1 Dégasconner la cour, en bannir l'accent et les locutions de la Gascogne, où le Béarn était enclavé. Voir page 59, note 3, sur le Béarnais.

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