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Dès 1531, décidé à se séparer de l'Eglise, il résigna ses bénéfices; mais la rupture n'était pas encore consommée publiquement lorsque survint l'affaire des placards (octobre 1534): Paris, en se réveillant un matin, se trouva couvert d'affiches injurieuses contre la messe; avec une singulière audace, on en avait attaché jusque sur la porte de la chambre du roi. François Ier, dont la politique religieuse avait été jusque-là assez incertaine, outré d'une telle provocation, décida d'étouffer la Réforme coûte que coûte: des mesures plus violentes furent inaugurées, les bûchers se multiplièrent et l'exode commença de ceux qui se sentaient suspects ou compromis.

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Calvin fut un des premiers à quitter la France. Il s'enfuit à Bâle, puis à Ferrare, où la Duchesse Renée1 offrait aux réfugiés huguenots l'asile de sa cour aimable et brillante. Une trêve dans la persécution lui permit de reparaître à Noyon et à Paris; mais ce ne fut qu'un éclair: en août 1536, il dut s'enfuir de nouveau- -cette fois pour ne pas revenir. Calvin à Genève. Il alla à Genève. La ville, après s'être libérée du joug de ses deux maîtres, le duc de Savoie et l'évêque, venait de se proclamer république indépendante et, grâce aux prédications de Guillaume Farel, s'était ralliée à la Réforme. Mais Farel manquait de talent politique. Gouverner cette cité remuante et frivole, qui avait maintes fois étonné, scandalisé l'Europe par la liberté de ses mœurs, c'était plus qu'il ne pouvait faire. Par quelle intuition. devina-t-il en Calvin le dompteur d'hommes qu'il ne pouvait être lui-même ?... Il l'adjura de se fixer à Genève, de prendre en main le gouvernement de la ville, et finit, non sans peine, par l'y décider. Calvin avait justement tout le caractère d'un conducteur de peuples; actif, énergique,

1 Voir page 13, note 1.

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un long regard en arrière, il se rappellera les incidents de ce tragique domptage, les cris et les révoltes de la ville frémissante sous le joug qu'elle avait appelé: «J'ai vécu ici «en combats merveilleux; j'ai été salué par moquerie, le << soir, devant ma porte, de cinquante ou soixante coups «d'arquebute1... On m'a mis les chiens après moi, criant «hère, hère,2 et m'ont pris par la robe et par les jambes... » — Le parti des libertins ou patriotes, surtout, était menaçant pour son autorité. Ce parti voulait l'indépendance, tout au moins au sein de la famille; il trouvait Calvin trop rigoureux et s'insurgeait contre ses lois draconiennes. Pendant quatorze ans, le réformateur eut à réprimer les complots des libertins; il les réprima par l'exil, par la mort, et réussit enfin à ruiner, à anéantir ses ennemis, à rester maître absolu de Genève. «Quand il mourut (1564), ce roi sans titre et «sans gardes avait régné vingt-trois ans, longtemps con« testé, menacé, mais, à la fin, toujours obéi,3» et il avait fait de la frivole Genève la ville religieuse, austère et puritaine par excellence.

Son caractère. Une telle œuvre ne pouvait être menée à bien que par un homme de fer et un fanatique. Aussi se tromperait-on étrangement si l'on se figurait Calvin tolérant. L'idée de liberté, qui est aujourd'hui la base même du protestantisme, n'apparaît pas dès l'origine de la Réforme; c'est une conquête plus récente. Au début, les chefs de la Réforme, à l'exception d'un petit nombre, ont eu horreur de la tolérance; tout comme l'Eglise catholique, ils ont employé <le bras séculier » pour «réprimer l'hérésie. » — «Il semble.

1 Arquebuse; l'orthographe de ce mot était très variable au XVIe siècle. 2 Un hère, en général, est un homme misérable; en terme de chasse, c'est un jeune cerf; il est sans doute pris ici dans le même sens que le cri "taïaut" par lequel le chasseur lance les chiens après la bête.

3 Petit de Julleville, Histoire de la Littérature française.

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lui-même en français pour le mettre à la portée de tous. Les deux éditions furent dédiées à François Ier. Dans la lettre-préface adressée « au roy de France,» Calvin, après avoir hautement proclamé la foi réformée, affirme que la nouvelle Eglise ne menace pas l'autorité royale, et, protestant contre « les horribles rapports dont on a rempli les << oreilles et le cœur du souverain pour lui rendre odieuse la cause de la Réforme, il demande au roi, non tolérance, mais protection pour la religion naissante; elle seule, dit-il, «détient le véritable Evangile et le christianisme authen«tique,» et le premier devoir du prince est de faire triompher la vérité, fût-ce par la force, dans ses Etats.

L'Institution Chrétienne est le premier livre écrit en français qu'on puisse dire logiquement composé. Calvin y expose avec une parfaite clarté toute sa doctrine religieuse; mais la dernière partie de l'œuvre, gâtée par de violentes attaques contre l'Eglise catholique et la papauté, est, en bien des endroits, inférieure au reste.

L'écrivain. — Calvin, en effet, dès qu'il se lance dans la polémique, s'emporte à des excès de langage fort regrettables; c'est d'ailleurs un défaut commun à tous les polémistes de ce siècle unique par ses contrastes, plein à la fois de raffinement artistique et d'une révoltante grossièreté de langage et d'habitudes. En revanche, le grand réformateur atteint à la plus haute éloquence lorsque, quittant l'attaque, il se laisse entraîner par une idée noble, un sentiment généreux, ou simplement par l'ardeur de sa conviction. Lorsque, par exemple, il prêche la confiance en Dieu:

"Quand le ciel est brouillé de grosses nuées et épaisses, et qu'il se dresse quelque tempête violente, pour ce qu'il n'y a1 qu'obscurité devant nos yeux et le tonnerre bruit en nos oreilles, en sorte que

1 Comme il n'y a.

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