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ainsi le bon sens. Si elle est incompréhensible, c'est aussi parce qu'il importe que tous ne puissent pas en apercevoir la vérité; car Dieu — le Dieu étroit, injuste et barbare des jansénistes ne veut pas se révéler à ceux qu'il n'a point choisis pour ses élus. Tout horrible que soit cette théorie,

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Pascal ose la formuler nettement: «Ce Testament, fait pour «aveugler les uns et éclairer les autres. « Jésus-Christ << sauve les élus et damne les réprouvés sur les mêmes crimes.» A l'aide de ces deux idées dominantes, il réfute aisément toutes les objections qu'on peut lui opposer, ou les tourne à l'appui de sa thèse.

Qualités de Pascal. - Ce système enlève beaucoup de force à ses arguments dans les dernières parties de l'ouvrage; mais, dans le reste, quelle profondeur, quelle pénétration, quelle puissance de pensée! Avec quelle force d'observation ce psychologue démonte l'homme et explique sa nature! Avec quelle sûreté ce savant mesure le domaine de la science, sa puissance et ses limites! Le tout dans un langage empreint de la plus grandiose poésie - cette poésie qui se dégage de l'infini, de l'inconnaissable fixé en quelque sorte par les mots: «Le silence éternel de ces espaces infinis m’ef«fraie...» Quoi de plus simple comme mots, et pourtant, quoi de plus puissamment évocateur?

Son influence. Son style.. - Pascal ne doit pas beaucoup à ses devanciers, sauf à Montaigne, dont on retrouve chez lui nombre d'idées: curieuse rencontre que celle de ce grand croyant et de ce grand sceptique communiant dans la raison! En revanche, tous les écrivains illustres qui l'ont suivi l'ont lu et ont mis à profit ses leçons. Dans les Provinciales, «le premier livre de génie qu'on vît en prose,» dit Voltaire,1 il a révélé le secret de la vérité dans l'art, à laquelle depuis si

1 Voltaire, voir page 216, note I.

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trône par un sourire, un regard du jeune roi1 dont la gloire se lève aussi radieuse que celle du soleil, son emblème; dans cette cour brillante, toute au plaisir, les héros surhumains seraient dépaysés, comme des revenants d'un autre âge. Il y a eu plus: il y a eu les Provinciales, magnifique illustration de l'esprit cartésien, qui ont fixé les caractères de l'idéal classique en fondant l'école du naturel. C'est d'elles surtout que date l'ère nouvelle de la littérature, l'ère de la perfection classique, dont on fixe le commencement à l'an 1660.

Caractère de la Deuxième Partie. Tous les auteurs de cette seconde période du siècle, si différents qu'ils puissent être par le caractère et le génie, ont eu en commun ce culte du naturel; qu'ils s'appellent Molière, Racine, Boileau ou La Fontaine, ou encore Bossuet ou La Bruyère, ils ont tous cru que la première règle de l'art, c'est d'imiter la nature, et s'ils ont tant admiré les anciens, c'est que nul mieux que les anciens n'a su «attraper la nature.>> Pour l'imiter parfaitement, il faut que la forme elle-même y soit en rapport exact; donc, plus d'artifices de langage, plus dé cette emphase espagnole qu'affectionnait Corneille ni de ces «traits» à l'italienne, mis à la mode par l'hôtel de Rambouillet, où le brillant cliquetis des mots ne couvre aucune idée. Molière, qui fit au style affecté une guerre si amusante, étincelle pourtant de saillies; mais ses saillies sont produites par le choc imprévu des idées, non par un ingénieux et factice rapprochement des mots; c'est là le véritable esprit, naturel, spontané, irrésistible le seul que, dans leur culte de la vérité, les classiques voudront admettre. . Il faudra désormais que le style, grave ou brillant, soit constamment en harmonie avec la pensée.

Les hommes de génie qui appliquent ces quelques idées

1 Louis XIV, 1643-1715; son gouvernement personnel commence en 1661.

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