Page images
PDF
EPUB

La suite de ses pièces représente ce qui doit naturellement arriver à un grand homme qui pousse le travail jusqu'à la fin de sa vie. Ses commencements sont foibles et imparfaits, mais déjà dignes d'admiration par rapport à son siècle ensuite il va aussi haut que son art peut atteindre à la fin il s'affoiblit, s'éteint peu-à-peu, et n'est plus semblable à lui-même que par intervalles.'

Après Suréna, qui fut joué en 1675, Corneille renonça tout de bon au théâtre, et ne pensa plus qu'à mourir chrétiennement. Il ne fut pas même en état d'y penser beaucoup la dernière année de sa

vie.

Je n'ai pas cru devoir interrompre la suite de ses grands ouvrages pour parler de quelques autres beaucoup moins considérables qu'il a donnés de temps en temps. Il a fait, étant jeune, quelques petites pièces de galanterie, qui sont répandues dans des recueils. On a encore de lui quelques petites pièces de cent ou de deux cents vers au roi, soit pour le féliciter de ses victoires, soit pour lui demander des graces, soit pour le remer. cier de celles qu'il en avoit reçues. Il a traduit deux ouvrages latins du P. de la Rue, tous deux d'assez longue haleine, et plusieurs petites pièces de M. de Santeuil. Il estimoit extrêmement ces deux poëtes. Lui-même faisoit fort bien des vers latins; et il en fit sur la campagne de Flandre en 1667, qui parurent si beaux, que non seulement plusieurs personnes les mirent en françois, mais

que les meilleurs poëtes latins en prirent l'idée, et les mirent encore en latin. Il avoit traduit sa première scène de Pompée en vers du style de Sénèque le tragique, pour lequel il n'avoit pas d'aversion, non plus que pour Lucain. Il falloit aussi qu'il n'en eût pas pour Stace, fort inférieur à Lucain, puisqu'il en a traduit en vers et publié les deux premiers livres de la Thébaïde. Ils ont échappé à toutes les recherches qu'on a faites depuis un temps pour en retrouver quelque exemplaire.

Corneille étoit assez grand, et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués, et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'étoit pas tout-à-fait nette; il lisoit ses vers avec force, mais sans grace.

Il savoit les belles-lettres, l'histoire, la politique; mais il les prenoit principalement du côté qu'elles ont rapport au théâtre. Il n'avoit pour toutes les autres connoissances ni loisir, ni curiosité, ni beaucoup d'estime. Il parloit peu, même sur la matière qu'il entendoit si parfaitement. Il n'ornoit pas ce qu'il disoit; et pour trouver le grand Corneille, il le falloit lire.

Il étoit mélancolique; il lui falloit des sujets plus solides pour espérer et pour se réjouir, que

pour se chagriner ou pour craindre. Il avoit l'humeur brusque, et quelquefois rude en apparence; au fond il étoit très aisé à vivre, bon mari, bon parent, tendre, et plein d'amitié. Son tempérament le portoit assez à l'amour, mais jamais au libertinage, et rarement aux grands attachements. Il avoit l'ame fière et indépendante, nulle souplesse, nul manège; ce qui l'a rendu très propre à peindre la vertu romaine, et très peu propre à faire sa fortune. Il n'aimoit point la cour; il y apportoit un visage presque inconnu, un grand nom qui ne s'attiroit que des louanges, et un mérite qui n'étoit point le mérite de ce pays-là. Rien n'étoit égal à son incapacité pour les affaires, que son aversion; les plus légères lui causoient de l'effroi et de la terreur. Quoique son talent lui eût beaucoup rapporté, il n'en étoit guère plus riche. Ce n'est pas qu'il eût été fâché de l'être; mais il eût fallu le devenir par une habileté qu'il n'avoit pas, et par des soins qu'il ne pouvoit prendre. Il ne s'étoit point trop endurci aux louanges à force d'en recevoir : mais, s'il étoit sensible à la gloire, il étoit fort éloigné de la vanité. Quelquefois il se confioit trop peu à son rare mérite, et croyoit trop facilement qu'il pût avoir des rivaux.

A beaucoup de probité naturelle il a joint dans tous les temps de sa vie beaucoup de religion, et plus de piété que le commerce du monde n'en permet ordinairement. Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses pièces de

théâtre1, et ils lui ont toujours fait grace en faveur de la pureté qu'il avoit établie sur la scène, des

I Ces casuistes avaient bien raison. L'art du théâtre est comme celui de la peinture. Un peintre peut également faire des ouvrages lascifs et des tableaux de devotion tout auteur peut être dans ce cas. Ce n'est donc point le théâtre qui est condamnable, mais l'abus du théâtre. Or les pièces étant approuvées par les magistrats, et ayant la sanction de l'autorité royale, le seul abus est de les condamner. Cette ancienne méprise a subsisté, parceque les comédies des mimes étaient obscènes du temps des premiers chrétiens, et que les autres spectacles étaient consacrés chez les Romains et chez les Grecs par les cérémonies de leur religion : elles étaient regardées comme un acte d'idolâtrie. Mais c'est une grande inconséquence de vouloir flétrir des pièces très morales parcequ'il y en a eu autrefois de scandaleuses. Les fanatiques qui, par une jalousie secrète, ont prétendu flétrir les chefs-d'oeuvre de Corneille n'ont pas songé combien cet outrage révolte des hommes de génie; ils font un tort irréparable a la religion chrétienne, en aliénant d'elle des esprits très éclairés, qui ne peuvent souffrir qu'on avilisse le plus beau des arts.

Le public éclairé préfèrera toujours les Sophocle, les Euripide, les Térence, aux Baius, Jansénius, du Verger, de Hauranne, Quesnel, Petit-pied, et à tous les gens de cette espèce.

Au reste, cette persécution fanatique ne s'est vue qu'en France. On a tempéré en Espagne, en Italie, les anciennes rigueurs, qui étaient absurdes: on ne les connaît point

nobles sentiments qui règnent dans ses ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusque dans l'amour.

en Angleterre. Les vainqueurs de Bleinheim et les maîtres des mers, les contemporains de Newton, de Locke, d'Addisson, et de Pope, ont rendu des honneurs aux beaux arts. Le grand Corneille avait projeté un ouvrage pour répondre aux détracteurs du théâtre.

FIN DE LA VIE DE P. CORNEILLE.

P. Corneille. I.

« PreviousContinue »