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SCÈNE V I.

LE ROI, D. ARIAS, D. SANCHE, D. ALONSE.

LE ROI.

Le comte est donc și vain et si peu raisonnable !
Ose-t-il croire encor son crime pardonnable?

D. ARIA S.

Je l'ai de votre part long-temps entretenu.
J'ai fait mon pouvoir, sire, et n'ai rien obtenu.

LE ROI.

Justes cieux! ainsi donc un sujet téméraire
A si peu de respect et de soin de me plaire !
Il offense don Diègue et méprise son roi !
Au milieu de ma cour il me donne la loi !
Qu'il soit brave guerrier, qu'il soit grand capitaine,
Je saurai bien rabattre une humeur si hautaine;
Fût-il la valeur même et le dieu des combats,
Il verra ce que c'est que de n'obéir pas.
Quoi qu'ait pu mériter une telle insolence,
Je l'ai voulu d'abord traiter sans violence;
Mais puisqu'il en abuse, allez dès aujourd'hui,
Soit qu'il résiste, ou non, vous assurer de lui.
(D. Alonse rentre. )

SCENE VII.

LE ROI, D. SANCHE, D. ARIAS.

D. SANCHE.

PEUT-ÊTRE Un peu de temps le rendroit moins rebelle; On l'a pris tout bouillant encor de sa querelle;

Sire, dans la chaleur d'un premier mouvement,
Un cœur si généreux se rend malaisément.

Il voit bien qu'il a tort, mais une ame si haute
N'est pas sitôt réduite à confesser sa faute.

LE ROL

Don Sanche, taisez-vous, et soyez averti
Qu'on se rend criminel à prendre son parti.

D. SANCHE.

J'obéis, et me tais; mais, de grace encor, sire,
Deux mots en sa défense.

LE ROI.

Et que pourrez-vous dire?

D. SANCHE.

Qu'une ame accoutumée aux grandes actions
Ne se peut abaisser à des soumissions:

Elle n'en conçoit point qui s'expliquent sans honte;
Et c'est à ce mot seul qu'a résisté le comte.

Il trouve en son devoir un peu trop de rigueur,
Et vous obéiroit s'il avoit moins de cœur.
Commandez que son bras, nourri dans les alarmes,
Répare cette injure à la pointe des armes ;
Il satisfera, sire; et vienne qui voudra,
Attendant qu'il l'ait su, voici qui répondra.

LE ROI.

Vous perdez le respect: mais je pardonne à l'âge,
Et j'estime l'ardeur en un jeune courage.
Un roi dont la prudence a de meilleurs objets
Est meilleur ménager du sang de ses sujets ;
Je veille pour les miens, mes soucis les conservent,
Comme le chef a soin des membres qui le servent.

Ainsi votre raison n'est pas raison pour moi;
Vous parlez en soldat, je dois agir en roi ;

Et, quoi qu'on veuille dire, et quoi qu'il ose croire,
Le comte à m'obéir ne peut perdre sa gloire.
D'ailleurs, l'affront me touche, il a perdu d'honneur
Celui que de mon fils j'ai fait le gouverneur :
S'attaquer à mon choix, c'est se prendre à moi-même,
Et faire un attentat sur le pouvoir suprême.
N'en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux
De nos vieux ennemis arborer les drapeaux ; 2
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paroître.

D. ARIAS.

Les Maures ont appris par force à vous connoître;
Et, tant de fois vaincus, ils ont perdu le cœur
De se plus hasarder contre un si grand vainqueur.

LE ROI.

Ils ne verront jamais, sans quelque jalousie,
Mon sceptre, en dépit d'eux, régir l'Andalousie ;
Et ce pays si beau, qu'ils ont trop possédé,
Avec un œil d'envie est toujours regardé.
C'est l'unique raison qui m'a fait dans Séville
Placer depuis dix ans le trône de Castille,

Pour les voir de plus près, et d'un ordre plus prompt
Renverser aussitôt ce qu'ils entreprendront.

D. ARIAS.

Sire, ils ont trop appris, aux dépens de leurs têtes, Combien votre présence assure vos conquêtes; Yous n'avez rien à craindre.

LE ROI.

Et rien à négliger.

Le trop de confiance attire le danger;

Et vous n'ignorez pas qu'avec fort peu de peine
Un flux de pleine mer jusqu'ici les amène.
Toutefois j'aurois tort de jeter dans les cœurs,
L'avis étant mal sûr, de paniques terreurs.
L'effroi que produiroit cette alarme inutile,
Dans la nuit qui survient, troubleroit trop la ville :
Puisqu'on fait bonne garde aux murs et sur le port,
C'est assez pour ce soir. 3

SCENE VIII.

LE ROI, D. ALONSE, D. SANCHE, D. ARIAS.

D. ALONSE.

SIRE, le comte est mort.

Don Diegue par son fils a vengé son offense.

LE ROI.

Dès que j'ai su l'affront j'ai prévu la vengeance,
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.

D. ALONSE.

Chimène à vos genoux apporte sa douleur;
Elle vient tout en pleurs vous demander justice.

LE ROI.

Bien qu'à ses déplaisirs mon ame compatisse, que le comte a fait semble avoir mérité

Ce

Ce juste châtiment de sa témérité.

Quelque juste pourtant que puisse être sa peine,
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
Après un long service à mon état rendu,
Après son sang pour moi mille fois répandu,
A quelques sentiments que son orgueil m'oblige,
Sa perte m'affoiblit, et son trépas m'afflige.

SCÈNE I X.

LE ROI, D. DIÈGUE, CHIMÈNE, D. SANCHE, D. ARIAS, D. ALONSE.

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D'un jeune audacieux punissez l'insolence;
Il a de votre sceptre abattu le soutien,

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Pour la juste vengeance il n'est point de supplice.

LE ROI.

Levez-vous l'un et l'autre, et parlez à loisir.
Chimène, je prends part à votre déplaisir;

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