néglige peut-être un peu trop, dans les ouvrages au cœur de l'incrédule de toutes les manières : Quatre parties, divisées chacune en six livres, La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts. La quatrième contient le culte, c'est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l'Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier. Au reste, nous avons souvent rapproché les dogmes et la doctrine des autres cultes, des dogmes, de la doctrine et du culte évangéliques: pour satisfaire toutes les classes de lecteurs, nous avons aussi touché de temps en temps la partie historique et mystique de la religion. Maintenant que le lecteur connoît le plan général de l'ouvrage, entrons dans l'examen des Dogmes et de la Doctrine; et, afin de passer aux mystères chrétiens, commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses. CHAPITRE II. DE LA NATURE DU MYSTÈRE. Il n'est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. Les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse, sont pleins de secrets. On diroit que les cœurs qui s'aiment s'entendent à demi-mot, et qu'ils ne sont que comme entr'ouverts. L'innocence, à son tour, qui n'est qu'une sainte ignorance, n'est-elle pas le plus ineffable des mystères? L'enfance n'est si heureuse que parce qu'elle ne sait rien, la vieillesse si misérable, que parce qu'elle sait tout; heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent. S'il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi des vertus : les plus angéliques sont celles qui, découlant immédiatement de Dieu, telles que la charité, aiment à se cacher aux regards, comme leur source. En passant aux rapports de l'esprit, nous trouvons que les plaisirs de la pensée sont aussi des secrets. Le secret est d'une nature si divine, que les premiers hommes de l'Asie ne parloient que CHAPITRE III. DES MYSTÈRES CHRÉTIENS. DE LA TRINITÉ. On découvre au premier coup d'œil, dans la partie des mystères, un grand avantage de la religion chrétienne sur les religions de l'antiquité. Les mystères de celles-ci n'avoient aucun rapport avec l'homme, et ne formoient tout au plus qu'un sujet de réflexion pour le philosophe, ou de chants pour le poëte. Nos mystères, au contraire, s'adressent à nous; ils contiennent les secrets de notre nature. Il ne s'agit plus d'un futile arrangement de nombres, mais du salut et du bonheur du genre humain. L'homme qui sent si bien chaque jour son ignorance et sa foiblesse, pourroit-il rejeter les mystères de Jésus-Christ? ce sont ceux des infortunés ! par symboles. A quelle science revient-on sans | secret de la nature; la divinité étoit voilée en cesse? à celle qui laisse toujours quelque chose à Égypte, et le sphinx s'asseyoit sur le seuil de ses deviner et qui fixe nos regards sur une perspective temples. infinie. Si nous nous égarons dans le désert, une sorte d'instinct nous fait éviter les plaines', où tout est vu d'un coup d'œil; nous allons chercher ces forêts, berceau de la religion, ces forêts dont l'ombre, les bruits et le silence sont remplis de prodiges, ces solitudes où les corbeaux et les abeilles nourrissoient les premiers Pères de l'Église, et où ces saints hommes goûtoient tant de délices, qu'ils s'écrioient: « Seigneur, c'est assez; je mourrai de douceurs, si vous ne modé « rez ma joie ! » Enfin, on ne s'arrête pas au pied d'un monument moderne dont l'origine est connue; mais que dans une île déserte, au milieu de l'Océan, on trouve tout à coup une statue de bronze dont le bras déployé montre les régions où le soleil se couche, et dont la base soit chargée d'hieroglyphes, et rongée par la mer et le temps, quelle source de méditations pour le voyageur! Tout est caché, tout est inconnu dans l'univers. L'homme lui-même n'est-il pas un étrange mystère? D'où part l'éclair que nous appelons existence, et dans quelle nuit va-t-il s'éteindre ? L'Éternel a placé la Naissance et la Mort, sous la forme de deux fantômes voilés, aux deux bouts de notre carrière : l'un produit l'inconcevable moment de notre vie, que l'autre s'empresse de dévorer. Il n'est donc point étonnant, d'après le penchant de l'homme aux mystères, que les religions de tous les peuples aient eu leurs secrets impénétrables. Les Selles étudioient les paroles prodigieuses des colombes de Dodone; l'Inde, la Perse, l'Éthiopie, la Scythie, les Gaules, la Scandinavie, avoient leurs cavernes, leurs montagnes saintes, leurs chênes sacrés, où le brahmane, le mage, le gymnosophiste, le druide, prononçoient l'oracle inexplicable des Immortels. A Dieu ne plaise que nous voulions comparer ces mystères aux mystères de la véritable religion, et les immuables profondeurs du Souverain qui est dans le ciel aux changeantes obscurités de ces dieux, ouvrages de la main des hommes1! Nous avons seulement voulu faire remarquer qu'il n'y a point de religion sans mystères; ce sont eux qui, avec le sacrifice, constituent essentiellement le culte : Dieu même est le grand 'Sap., cap. XIII, 10. La Trinité, premier mystère des chrétiens, ouvre un champ immense d'études philosophiques, soit qu'on la considère dans les attributs de Dieu, soit qu'on recherche les vestiges de ce dogme autrefois répandu dans l'Orient. C'est une très-méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre. A partir des choses les plus simples dans la vie, il seroit aisé de prouver que nous ignorons tout, et nous voulons pénétrer dans les ruses de la Sagesse! La Trinité fut peut-être connue des Égyptiens: l'inscription grecque du grand obélisque du Cirque majeur, à Rome, portoit : Μέγας Θεός, le grand Dieu; Θεογένητος, Εηgendré de Dieu; et Пaupeyy's, le Tout-Brillant (Apollon, l'Esprit). Héraclide de Pont et Porphyre rapportent un fameux oracle de Sérapis: Πρῶτα Θεὸς, μετέπειτα λόγος, καὶ πνεῦμα σὺν αὐτοῖς. Tout est Dieu dans l'origine; puis le Verbe et l'Esprit: trois Dieux coengendrés ensemble et se réunissant dans un seul. Les Mages avoient une espèce de Trinité dans leur Métris, Oromasis et Araminis, ou Mitra, Oromase et Aramine. Platon semble parler de ce dogme dans plu- | sieurs endroits de ses ouvrages. « Non-seulement, dit Dacier, on prétend qu'il a connu le Verbe, fils éternel de Dieu; on soutient même qu'il a connu le Saint-Esprit, et qu'ainsi il a eu quelque idée de la très-sainte Trinité, car il écrit au jeune Denys: " « Il faut que je déclare à Archédémus ce qui est beaucoup plus précieux et plus divin, et que vous avez grande envie de savoir, puisque vous me l'avez envoyé exprès; car, selon ce qu'il m'a dit, vous ne croyez pas que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense sur la nature du premier principe : il faut vous l'écrire par énigmes, afin que, si ma lettre est interceptée sur terre ou sur mer, celui qui la lira n'y puisse rien comprendre. Toutes choses sont autour de leur roi; elles sont à cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses, second pour les secondes, et troisième pour les troisièmes 1. >> Au Thibet. « Voici ce que j'appris de la religion du Thibet ils appellent Dieu Konciosa, et ils semblent avoir quelque idée de l'adorable Trinité, car tantôt ils le nomment Koncikocick, Dieu-un; et tantôt Kocioksum, Dieu-trin. Ils se servent d'une espèce de chapelet, sur lequel ils prononcent ces paroles: om, ha, hum. Lorsqu'on leur en demande l'explication, ils répondent que om signifie intelligence, ou bras, c'est-à-dire puissance; que ha est la parole; que hum est le cœur ou l'amour; et que ces trois mots signifient Dieu '. Les missionnaires anglois à Otaïti ont trouvé quelques traces de la Trinité parmi les dogmes religieux des habitants de cette île. Nous croyons d'ailleurs entrevoir dans la nature même une sorte de preuve physique de la Trinité. Elle est l'archétype de l'univers, ou, si l'on veut, sa divine charpente. Ne seroit-il pas possible que la forme extérieure et matérielle participât de l'arche intérieure et spirituelle qui la soutient, de même que Platon représentoit les choses corporelles comme l'ombre des pen 2 «Dans l'Epinomis et ailleurs, il établit pour Platon avoit emprunté cette doctrine de la Trinité, de Timée de Locres, qui la tenoit luimême de l'école Italique. Marsile Ficin, dans une de ses remarques sur Platon, montre, d'après Jamblique, Porphyre, Platon et Maxime de Tyr, que les Pythagoriciens connoissoient aussi l'excellence du Ternaire; Pythagore l'a même indiqué dans ce symbole : Προτίμα τὸ σχῆμα, καὶ βῆμα, καὶ Τριώβολον. « Ce que j'ai vu de plus marqué et de plus étonnant dans ce genre, dit le père Calmette, c'est un texte tiré de Lamaastambam, l'un de leurs livres.... Il commence ainsi : Le Seigneur, le bien, le grand Dieu, dans sa bouche est la parole. (Le terme dont ils se servent la personnifie.) Il parle ensuite du Saint-Esprit en ces termes: Ventus seu Spiritus perfectus, et finit par la création, en l'attribuant à un seul Dieu 3. » 1 Voyez le Platon de SERRANUS, tom. ni, lettre и, pag. 312. 2 Euvres de Platon, traduites par DACIER, tom. I, pag. 194. 3 Lettres édifiantes, tom. XIV, pag. 9. dans la nature le terme par excellence. Le TROIS n'est point engendré, et engendre toutes les autres fractions, ce qui le faisoit appeler le nombre sans mère par Pythagore 3. On peut découvrir quelque tradition obscure de la Trinité jusque dans les fables du polythéisme. Les Grâces l'avoient prise pour leur terme; elle existoit au Tartare, pour la vie et la mort de l'homme, et pour la vengeance céleste ; enfin trois dieux frères composoient, en se réunissant, la puissance entière de l'univers. Les philosophes divisoient l'homme moral en trois parts, et les Pères de l'Église ont cru retrou ver l'image de la Trinité spirituelle dans l'âme de l'homme. « Si nous imposons silence à nos sens, dit Bos Lettres édifiantes, tom. XII, pag. 437. 2 In Rep. 3 HIER., Comm. in Pyth. Le 3, simple par lui-même, est le seul nombre qui se compose de simples, et qui fournit un nombre simple en se décomposant: vous ne pouvez composer un autre nombre complexe sans le 3, excepté le 2. Les générations du 3 sont magnifiques, et tiennent à cette puissante unité qui est le premier anneau de la chaîne des nombres, et qui remplit l'univers. Les anciens faisoient un fort grand usage des nombres pris métaphysiquement; et il ne faut pas se hàter de prononcer que Pythagore, Platon, et les prêtres égyptiens dont ils tiroient cette science, fussent des fous ou des imbéciles. suet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c'est-à-dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée du Fils de Dieu conçu éternellement dans l'intelligence du Père céleste. C'est pourquoi ce fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu'il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons, quand nous contemplons la vérité. « Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure, et l'esprit où elle naît; et, en l'aimant, nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l'un et de l'autre, qui les unit, qui s'unit à eux, et ne fait avec eux qu'une même Voilà un assez beau commentaire, à propos d'un seul mot de la Genèse: Faisons l'homme. Tertullien, dans son Apologétique, s'exprime ainsi sur le grand mystère de notre religion : « Dieu a créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes même conviennent que logos, le verbe et la raison, est le créateur de l'univers. Les chrétiens ajoutent seulement que la propre substance du verbe et de la raison, cette substance par laquelle Dieu a tout produit, est esprit; que cette parole ou le verbe a dû être prononcé par Dieu; que Dieu, l'ayant prononcé, l'a engendré; que conséquemment il est Fils de Dieu, et Dieu, à cause de l'unité de substance. Si le soleil prolonge un rayon, sa substance n'est pas séparée, mais étendue. Ainsi le verbe est esprit d'un esprit, et Dieu de Dieu, comme une lumière allumée d'une autre lumière. Ainsi ce qui procède de Dieu est Dieu, stér. Boss., Hist. univ., sec. part., pag. 167 et 168, t. I, édit. | et les deux, avec leur esprit, ne font qu'un; différant en propriété, non en nombre; en ordre, non en nature: le Fils est sorti de son principe sans le quitter. Or, ce rayon de Dieu est descendu dans le sein d'une vierge; il s'est revêtu de chair; il s'est fait homme uni à Dieu. Cette chair, soutenue de l'esprit, se nourrit, croît, parle, enseigne, opère : c'est le Christ. »> Cette démonstration de la Trinité peut être comprise par les esprits les plus simples. Il se faut souvenir que Tertullien parloit à des hommes qui persécutoient Jésus-Christ, et qui n'auroient pas mieux aimé que de trouver moyen d'attaquer la doctrine, et même la personne de ses défenseurs. Nous ne pousserons pas plus loin ces preuves, et nous les abandonnons à ceux qui ont étudié la secte Italique, et la haute théologie chrétienne. Quant aux images qui soumettent à la foiblesse de nos sens le plus grand des mystères, nous avons peine à concevoir ce que le redoutable triangle de feu, imprimé dans la nue, peut avoir de ridicule en poésie. Le Père, sous la figure d'un vieillard, ancêtre majestueux des temps, ou représenté comme une effusion de lumière, seroit-il donc une peinture si inférieure à celles de la mythologie? N'est-ce pas une chose merveilleuse de voir l'Esprit saint, l'esprit sublime de Jéhovah, porté par l'emblème de la douceur, de l'amour et de l'innocence? Dieu se sent-il travaillé du besoin de semer sa parole? l'Esprit n'est plus cette Colombe qui couvroit les hommes de ses ailes de paix : c'est un Verbe visible, c'est une langue de feu qui parle tous les dialectes de la terre, et dont l'éloquence élève ou renverse des empires. Pour peindre le Fils divin, il nous suffira d'emprunter les paroles de celui qui le contempla dans sa gloire. « Il étoit assis sur un trône, dit l'Apotre; son visage brilloit comme le soleil dans sa force, et ses pieds comme de l'airain fondu dans la fournaise; ses yeux étoient deux flammes. Un glaive à deux tranchants sortoit de sa bouche; dans la main droite il tenoit sept étoiles; dans la gauche, un livre scellé de sept sceaux. Un fleuve de lumière étoit devant ses lèvres. Les sept esprits de Dieu brilloient devant lui comme sept lampes; et de son marchepied sortoient des voix, des foudres et des éclairs'. » 'Apoc., cap. 1 et iv. 1 CHAPITRE IV. LE LA REDEMPTION. De même que la Trinité renferme les secrets On voit d'abord sortir de ce mystère la doc- Après tout, nous voyons chaque jour le fils ce qui ne prouve que trop la doctrine du péché originel. Mais un Dieu de bonté et d'indulgence, sachant que nous périssons par cette chute, est venu nous sauver. Ne le demandons point à notre esprit, mais à notre cœur, nous tous foibles et coupables, comment un Dieu peut mourir. Si ce parfait modèle du bon fils, cet exemple des amis fidèles ; si cette retraite au mont des Oliviers, ce calice amer, cette sueur de sang, cette douceur d'âme, cette sublimité d'esprit, cette croix, ce voile déchiré, ce rocher fendu, ces ténèbres de la nature; si ce Dieu enfin, expirant pour les hommes, ne peut ni ravir notre cœur, ni enflammer nos pensées, il est à craindre qu'on ne trouve jamais dans nos ouvrages, comme dans ceux du poëte, « des miracles éclatants,» speciosa miracula. "Des images ne sont pas des raisons, dira-t-on Que nous soyons dans un siècle de lumière, ORIG., c. Cel., 1. m, p. 144. Arius appelle les chrétiens deλot. ARR. ANTONIN. ap. TERTUL. at. scap. cap. iv, lib. in Joh. Malala Chronic. Porphyre donne à la religion l'épithéte de ẞápбapov tóλμnμa. PORPH. ap. Evs., Hist. Eccl., VI, C. IX. 1 |