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même religion, étant toutes deux misérables. ¡ des vertus que cet amour fait naître, si une voL'Indienne faisoit les honneurs de la solitude: lonté suprême ne l'avoit ordonné ainsi.

« C'est l'arbre de mon pays, disoit-elle à son amie; assieds-toi pour pleurer. » Ensuite, selon l'usage des funérailles chez les sauvages, elles suspendoient leurs enfants aux branches d'un érable ou d'un sassafras, et les balançoient en chantant des airs de leurs pays.

Ces jeux maternels, qui souvent endormoient l'innocence, ne pouvoient réveiller la mort ! Ainsi se consoloient ces deux femmes, dont l'une avoit perdu son enfant et sa liberté, l'autre sa liberté et sa patrie: on se console par les larmes.

On dit qu'un François, obligé de fuir pendant la terreur, avoit acheté de quelques deniers qui lui restoient une barque sur le Rhin ; il s'y étoit logé avec sa femme et ses deux enfants. N'ayant point d'argent, il n'y avoit point pour lui d'hospitalité. Quand on le chassoit d'un rivage, il passoit, sans se plaindre, à l'autre bord; souvent poursuivi sur les deux rives, il étoit obligé de jeter l'ancre au milieu du fleuve. Il pêchoit pour nourrir sa famille, mais les hommes lui disputoient encore les secours de la Providence. La nuit il alloit cueillir des herbes sèches pour faire un peu de feu, et sa femme demeuroit dans de mortelles angoisses jusqu'à son retour. Obligé de se faire sauvage entre quatre nations civilisées, cette famille n'avoit pas sur le globe un seul coin de terre où elle osât mettre le pied : toute sa consolation étoit, en errant dans le voisinage de la France, de respirer quelquefois un air qui avoit passé sur son pays. Si l'on nous demandoit quelles sont donc ces fortes attaches par qui nous sommes enchaînés au lieu natal, nous aurions de la peine à répondre. C'est peut-être le souris d'une mère, d'un père, d'une sœur ; c'est peut-être le souvenir du vieux précepteur qui nous éleva, des jeunes compagnons de notre enfance; c'est peut-être les soins que nous avons reçus d'une nourrice, d'un domestique âgé, partie si essentielle de la maison (domus); enfin ce sont les circonstances les plus simples, si l'on veut même, les plus triviales: un chien qui aboyoit la nuit dans la campagne, un rossignol qui revenoit tous les ans dans le verger, le nid de l'hirondelle à la fenêtre, le clocher de l'église qu'on voyoit au-dessus des arbres, l'if du cimetière, le tombeau gothique : voilà tout; mais ces petits moyens démontrent d'autant mieux la réalité d'une Providence, qu'ils ne pourroient être la source de l'amour de la patrie et des gran

LIVRE SIXIÈME.

IMMORTALITÉ DE L'AME PROUVÉE PAR LA
MORALE ET LE SENTIMENT.

CHAPITRE PREMIER.

DESIR DE BONHEUR DANS L'HOMME.

Quand il n'y auroit d'autres preuves de l'existence de Dieu que les merveilles de la nature, ces preuves sont si fortes qu'elles suffiroient pour convaincre tout homme qui ne cherche que la vérité. Mais si ceux qui nient la Providence ne peuvent expliquer sans elle les miracles de la création, ils sont encore plus embarrassés pour répondre aux objections de leur propre cœur. En renonçant à l'Être suprême ils sont obligés de renoncer à une autre vie, et cependant leur âme les agite; elle se présente pour ainsi dire devant eux, et les force, en dépit des sophistes, à confesser son existence et son immortalité.

Qu'on nous dise d'abord, si l'âme s'éteint au tombeau, d'où nous vient ce désir de bonheur qui nous tourmente. Nos passions ici-bas se peuvent aisément rassasier : l'amour, l'ambition, la colère, ont une plénitude assurée de jouissance; le besoin de félicité est le seul qui manque de satisfaction comme d'objet, car on ne sait ce que c'est que cette félicité qu'on désire. Il faut convenir que, si tout est matière, la nature s'est ici étrangement trompée : elle a fait un sentiment qui ne s'applique à rien.

Il est certain que notre âme demande éternellement; à peine a-t-elle obtenu l'objet de sa convoitise, qu'elle demande encore l'univers entier ne la satisfait point. L'infini est le seul champ qui lui convienne : elle aime à se perdre dans les nombres, à concevoir les plus grandes comme les plus petites dimensions. Enfin, gonflée et non rassasiée de ce qu'elle a dévoré, elle se précipite dans le sein de Dieu, où viennent se réunir les idées de l'infini, en perfection, en temps et en espace; mais elle ne se plonge dans la Divinité que parce que cette Divinité est pleine de ténèbres, Deus absconditus'. Si elle en obtenoit

↑ Is. XLV, 15.

une vue distincte, elle la dédaigneroit, comme tous les objets qu'elle mesure. On pourroit même dire que ce seroit avec quelque raison; car si l'âme s'expliquoit bien le principe éternel, elle seroit ou supérieure à ce principe, ou du moins son égale. Il n'en est pas de l'ordre des choses divines comme de l'ordre des choses humaines : un homme peut comprendre la puissance d'un roi sans être un roi; mais un homme qui comprendroit Dieu seroit Dieu.

Or les animaux ne sont point troublés par cette espérance que manifeste le cœur de l'homme; ils atteignent sur-le-champ à leur suprême bonheur : un peu d'herbe satisfait l'agneau, un peu | de sang rassasie le tigre. Si l'on soutenoit, d'après quelques philosophes, que la diverse conforma tion des organes fait la seule différence entre nous et la brute, on pourroit tout au plus admettre ce raisonnement pour les actes purement matériels; mais qu'importe ma main à ma pensée lorsque, dans le calme de la nuit, je m'élance dans les espaces pour y trouver l'Ordonnateur de tant de mondes? Pourquoi le bœuf ne fait-il pas comme moi? Ses yeux lui suffisent; et quand il auroit mes pieds ou mes bras, ils lui seroient pour cela fort inutiles. Il peut se coucher sur la verdure, lever la tête vers les cieux, et appeler par ses mugissements l'Être inconnu qui remplit cette immensité. Mais non préférant le gazon qu'il foule, il n'interroge point, au haut du firmament, ces soleils qui sont la grande évidence de l'existence de Dieu. Il est insensible au spectacle de la nature, sans se douter qu'il est jeté luimême sous l'arbre où il repose, comme une petite preuve de l'intelligence divine.

suspendez ses travaux, satisfaites ses besoins, avant que quelques mois se soient écoulés il en sera encore aux ennuis et à l'espérance.

D'ailleurs est-il vrai que le peuple, même dans son état de misère, ne connoisse pas ce désir de bonheur qui s'étend au delà de la vie? D'où vient cet instinct mélancolique qu'on remarque dans l'homme champêtre? Souvent le dimanche et les jours de fêtes, lorsque le village étoit allé prier ce Moissonneur qui sépare le bon grain de l'ivraie, nous avons vu quelque paysan resté seul à la porte de sa chaumière : il prêtoit l'oreille au son de la cloche, son attitude étoit pensive, il n'étoit distrait ni par les passereaux de l'aire voisine ni par les insectes qui bourdonnoient autour de lui. Cette noble figure de l'homme, plantée comme la statue d'un dieu sur le seuil d'une chaumière, ce front sublime, bien que chargé de soucis, ces épaules ombragées d'une noire chevelure, et qui sembloient encore s'élever comme pour soutenir le ciel, quoique courbées sous le fardeau de la vie, tout cet être si majestueux, bien que misérable, ne pensoit-il à rien, ou songeoit-il seulement aux choses d'ici-bas? Ce n'étoit pas l'expression de ces lèvres entr'ouvertes, de ce corps immobile, de ce regard attaché à la terre : le souvenir de Dieu étoit là avec le son de la cloche religieuse.

S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau, s'il est certain que les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'âme et en augmenter le vide, il faut en conclure qu'il y a quelque chose au delà du temps. Vincula hujus mundi, dit saint Augustin, asperitatem habent veram, jucunditatem falsam, certum dolorem, incertam voluptatem, durum laborem, timidam quietem, rem plenam miseriæ, spem beatitudinis inanem. « Le monde ædes liens pleins d'une véritable âpreté et d'une fausse douceur, des douleurs certaines, des plaisirs incertains, un travail dur, un repos inquiet, des choses pleines de misère, et une espérance

Donc la seule créature qui cherche au dehors et qui n'est pas à soi-même son tout, c'est l'homme. On dit que le peuple n'a point cette inquiétude : il est sans doute moins malheureux que nous; car il est distrait de ses désirs par ses travaux; il éteint dans ses sueurs sa soif de félicité. Mais quand vous le voyez se consumer six jours de la semaine pour jouir de quelques plaisirs du sep-vide de bonheur1. » Loin de nous plaindre que tième; quand toujours espérant le repos et ne le trouvant jamais, il arrive à la mort sans cesser de désirer, direz-vous qu'il ne partage pas la secrète aspiration de tous les hommes à un bienêtre inconnu? Que si l'on prétend que ce souhait est du moins borné pour lui aux choses de la terre, cela n'est rien moins que certain donnez à l'homme le plus pauvre les trésors du monde,

le désir de félicité ait été placé dans ce monde et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au delà du terme un charme qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfent, elle lui tend 1 Epist. 30.

de l'autre côté un objet agréable, pour l'engager | cœur une voix qui crie si fortement contre la

à passer.

CHAPITRE II.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

La conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraye: il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet; il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage, il découvre le goût du poison dans le mets qu'il a lui-même apprêté; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

O conscience! ne serois-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes? Je m'interroge; je me fais cette question: Si tu pouvois par un seul désir tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en sauroit jamais rien, consentirois-tu à former ce désir? J'ai beau m'exagérer mon indigence ; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État ; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins ; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon

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seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

C'est donc une triste nécessité que d'être obligé de nier le remords pour nier l'immortalité de l'âme et l'existence d'un Dieu vengeur. Toutefois nous n'ignorons pas que l'athéisme, poussé à bout, a recours à cette dénégation honteuse. Le sophiste, dans le paroxysme de la goutte, s'écrioit : « O douleur ! je n'avouerai jamais que tu sois un mal!» Et quand il seroit vrai qu'il se trouvât des hommes assez infortunés pour étouffer le cri du remords, qu'en résulteroit-il? Ne jugeons point celui qui a l'usage de ses membres par le paralytique qui ne se sert plus des siens; le crime, à son dernier degré, est un poison qui cautérise la conscience: en renversant la religion, on a détruit le seul remède qui pouvoit rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ étoit une sorte de supplément à ce qui manquoit aux hommes. Devenoit-on coupable par excès, par trop de prospérité, par violence de caractère, elle étoit là pour nous avertir de l'inconstance de la fortune et du danger des emportements. Étoit-ce, au contraire, par défaut qu'on étoit exposé, par indigence de biens, par indifférence d'âme, elle nous apprenoit à mépriser les richesses, en même temps qu'elle réchauffoit nos glaces, et nous donnoit, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel surtout, sa charité étoit inépuisable: il n'y avoit point d'homme si souillé qu'elle n'admît à repentir, point de lépreux si dégoûtant qu'elle ne touchât de ses mains pures. Pour le passé, elle ne demandoit qu'un remords; pour l'avenir, qu'une vertu : Ubi autem abundavit delictum, disoitelle, superabundavit gratia; « La grâce a surrabondé où avoit abondé le crime'. » Toujours prêt à avertir le pécheur, le Fils de Dieu avoit établi sa religion comme une seconde conscience pour le coupable qui auroit eu le malheur de perdre la conscience naturelle, conscience évangélique, pleine de pitié et de douceur, et à laquelle Jésus-Christ avoit accordé le droit de faire grâce, que n'a pas la première.

Après avoir parlé du remords qui suit le crime, il seroit inutile de parler de la satisfaction qui accompagne la vertu. Le contentement intérieur qu'on éprouve en faisant une bonne œuvre n'est Rom., cap. v, 20.

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