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incroyable dans l'art de gouverner les hommes. | notre sein avant notre quatrième lustre; à quaPlaton n'a fait que rêver des républiques, sans rante ans elles sont déjà éteintes ou détrompées : pouvoir rien exécuter: saint Augustin, saint Ba- ainsi le serment indissoluble nous prive tout au sile, saint Benoît, ont été de véritables législa- plus de quelques années de désirs, pour faire enteurs, et les patriarches de plusieurs grands peu- suite la paix de notre vie, pour nous arracher ples. aux regrets ou aux remords le reste de nos jours. Or, si vous mettez en balance les maux qui naissent des passions avec le peu de moments de joie qu'elles vous donnent, vous verrez que le vœu perpétuel est encore un plus grand bien, même dans les plus beaux instants de la jeunesse.

On a beaucoup déclamé dans ces derniers temps contre la perpétuité des vœux; mais il n'est peut-être pas impossible de trouver en sa faveur des raisons puisées dans la nature des choses et dans les besoins même de notre âme.

L'homme est surtout malheureux par son inconstance et par l'usage de ce libre arbitre qui fait à la fois sa gloire et ses maux, et qui fera sa condamnation. Il flotte de sentiment en sentiment, de pensée en pensée; ses amours ont la mobilité de ses opinions, et ses opinions lui échappent comme ses amours. Cette inquiétude le plonge dans une misère dont il ne peut sortir que quand une force supérieure l'attache à un seul objet. On le voit alors porter avec joie sa chaîne; car l'homme infidèle bait pourtant l'infidélité. Ainsi, par exemple, l'artisan est plus heureux que le riche désoccupé, parce qu'il est soumis à un travail impérieux qui ferme autour de lui toutes les voies du désir ou de l'inconstance. La même soumission à la puissance fait le bien-être des enfants, et la loi qui défend le di- | vorce a moins d'inconvénients pour la paix des familles que la loi qui le permet.

Les anciens législateurs avoient reconnu cette nécessité d'imposer un joug à l'homme. Les républiques de Lycurgue et de Minos n'étoient en effet que des espèces de communautés où l'on étoit engagé en naissant par des vœux perpétuels. Le citoyen y étoit condamné à une existence uniforme et monotone. Il étoit assujetti à des règles fatigantes, qui s'étendoient jusque sur ses repas et ses loisirs; il ne pouvoit disposer ni des heures de sa journée, ni des âges de sa vie : on lui demandoit un sacrifice rigoureux de ses goûts; il falloit qu'il aimât, qu'il pensât, qu'il agît d'a- | près la loi : en un mot, on lui avoit retiré sa volonté pour le rendre heureux.

Le vœu perpétuel, c'est-à-dire la soumission à une règle inviolable, loin de nous plonger dans l'infortune, est donc, au contraire, une disposition favorable au bonheur, surtout quand ce vœu n'a d'autre but que de nous défendre contre les illusions du monde, comme dans les ordres monastiques. Les passions ne se soulèvent guère dans

Supposons, d'ailleurs, qu'une religieuse pût sortir de son cloître à volonté, nous demandons si cette femme seroit heureuse. Quelques années de retraite auroient renouvelé pour elle la face de la société. Au spectacle du monde, si nous détournons un moment la tête, les décorations changent, les palais s'évanouissent; et lorsque nous reportons les yeux sur la scène, nous n'apercevons plus que des déserts et des acteurs inconnus.

On verroit incessamment la folie du siècle entrer par caprice dans les couvents, et en sortir par caprice. Les cœurs agités ne seroient plus assez longtemps auprès des cœurs paisibles pour prendre quelque chose de leur repos, et les âmes sereines auroient bientôt perdu leur calme dans le commerce des âmes troublées. Au lieu de promener en silence leurs chagrins passés dans les abris du cloître, les malheureux iroient se racontant leurs naufrages, et s'excitant peut-être à braver encore les écueils. Femme du monde, femme de la solitude, l'infidèle épouse de Jésus-Christ ne seroit propre ni à la solitude ni au monde : ce flux et reflux des passions, ces vœux tour à tour rompus et formés, banniroient des monastères la paix, la subordination, la décence. Ces retraites sacrées, loin d'offrir un port assuré à nos inquiétudes, ne seroient plus que des lieux où nous viendrions pleurer un moment l'inconstance des autres, et méditer nous-mêmes des inconstances

nouvelles.

Mais, ce qui rend le vœu perpétuel de la religion bien supérieur à l'espèce de vœu politique du Spartiate et du Crétois, c'est qu'il vient de nous-mêmes; qu'il ne nous est imposé par personne, et qu'il présente au cœur une compensation pour ces amours terrestres que l'on sacrifie. Il n'y a rien que de grand dans cette alliance d'une âme immortelle avec le principe éternel;

ce sont deux natures qui se conviennent et qui s'unissent. Il est sublime de voir l'homme né libre chercher en vain son bonheur dans sa volonté; puis, fatigué de ne rien trouver ici-bas qui soit | digne de lui, se jurer d'aimer à jamais l'Etre suprême, et se créer, comme Dieu, dans son propre serment, une Nécessité.

CHAPITRE V.

TABLEAU DES MOEURS ET DE LA VIE RELIGIEUSE,

MOINES, COPHTES, MARONITES, ETC.

Venons maintenant au tableau de la vie religieuse, et posons d'abord un principe. Partout où se trouve beaucoup de mystère, de solitude, de contemplation, de silence, beaucoup de pensées de Dieu, beaucoup de choses vénérables dans les costumes, les usages et les mœurs, là se doit trouver une abondance de toutes les sortes de beautés. Si cette observation est juste, on va voir qu'elle s'applique merveilleusement au sujet que nous traitons.

l'enlève dans sa tour, et prodigue à cet inconnu la nourriture qu'il se refuse à lui-même. Les savants vont bien visiter les débris de l'Égypte; mais d'où vient que, comme les moines chrétiens, objet de leur mépris, ils ne vont pas s'établir dans ces mers de sable, au milieu de toutes les privations, pour donner un verre d'eau au voyageur, et l'arracher au cimeterre du Bédouin?

Dieu des chrétiens, quelles choses n'as-tu point faites! Partout où l'on tourne les yeux, on ne voit que les monuments de tes bienfaits. Dans les quatre parties du monde la religion a distribué ses milices et placé ses vedettes pour l'humanité. Le moine maronite appelle, par le claquement de deux planches suspendues à la cime d'un arbre, l'étranger que la nuit a surpris dans les précipices du Liban; ce pauvre et ignorant artiste n'a pas de plus riche moyen de se faire entendre: le moine abyssinien vous attend dans ce bois, au milieu des tigres : le missionnaire américain veille à votre conservation dans ses immenses forêts. Jeté par un naufrage sur des côtes incon

un rocher. Malheur à vous si ce signe de salut ne fait pas couler vos larmes. Vous êtes en pays d'amis; ici sont des chrétiens. Vous êtes François, il est vrai, et ils sont Espagnols, Allemands, Anglois peut-être ! Et qu'importe? n'êtes-vous pas de la grande famille de Jésus-Christ? Ces étrangers vous reconnoîtront pour frère; c'est vous qu'ils invitent par cette croix ; ils ne vous ont jamais vu, et cependant ils pleurent de joie en vous voyant sauvé du désert.

Remontons encore aux solitaires de la Thé-nues, tout à coup vous apercevez une croix sur baïde. Ils habitoient des cellules appelées laures, et portoient, comme leur fondateur Paul, des robes de feuilles de palmier; d'autres étoient vêtus de cilices tissus de poil de gazelle; quelques-uns, comme le solitaire Zénon, jetoient seulement sur leurs épaules la dépouille des bêtes sauvages; et l'anachorète Séraphion marchoit enveloppé du linceul qui devoit le couvrir dans la tombe. Les religieux maronites, dans les solitudes du Liban, les ermites nestoriens, répandus le long du Tigre; ceux d'Abyssinie, aux cataractes du Nil et sur les rivages de la mer Rouge, tous, enfin, mènent une vie aussi extraordinaire que les déserts où ils l'ont cachée. Le moine cophte, en entrant dans son monastère, renonce aux plaisirs, consume son temps en travail, en jeûnes, en prières, et à la pratique de l'hospitalité. Il couche sur la dure, dort à peine quelques instants, se relève, et, sous le beau firmament d'Égypte, fait entendre sa voix parmi les débris de Thèbes et de Memphis. Tantôt l'écho des Pyramides redit aux ombres des Pharaons les cantiques de cet enfant de la famille de Joseph; tantôt ce pieux solitaire chante au matin les louanges du vrai soleil, au même lieu où des statues harmonieuses soupiroient le réveil de l'aurore. C'est là qu'il cherche l'Européen égaré à la poursuite de ces ruines fameuses; c'est là que, le sauvant de l'Arabe, il

Mais le voyageur des Alpes n'est qu'au milieu de sa course. La nuit approche, les neiges tombent seul, tremblant, égaré, il fait quelques pas et se perd sans retour. C'en est fait; la nuit est venue: arrêté au bord d'un précipice, il n'ose ni avancer, ni retourner en arrière. Bientôt le froid le pénètre, ses membres s'engourdissent, un funeste sommeil cherche ses yeux; ses dernières pensées sont pour ses enfants et son épouse! Mais n'est-ce pas le son d'une cloche qui frappe son oreille à travers le murmure de la tempête, ou bien est-ce le glas de la mort que son imagination effrayée croit ouïr au milieu des vents? Non: ce sont des sons réels, mais inutiles! car les pieds de ce voyageur refusent maintenant de le porter.... Un autre bruit se fait entendre; un chien jappe sur les neiges; il approche, il arrive, il hurle de joie: un solitaire le suit.

Ce n'étoit donc pas assez d'avoir mille fois exposé sa vie pour sauver des hommes, et de s'être établi pour jamais au fond des plus affreuses solitudes? Il falloit encore que les animaux mêmes apprissent à devenir l'instrument de ces œuvres sublimes, qu'ils s'embrasassent, pour ainsi dire, de l'ardente charité de leurs maîtres, et que leurs cris sur le sommet des Alpes proclamassent aux échos les miracles de notre religion.

Qu'on ne dise pas que l'humanité seule puisse conduire à de tels actes; car d'où vient qu'on ne trouve rien de pareil dans cette belle antiquité, pourtant si sensible? On parle de la philanthropie! c'est la religion chrétienne qui est seule philanthrope par excellence. Immense et sublime idée, qui fait du chrétien de la Chine un ami du chrétien de la France, du sauvage néophyte un frère du moine égyptien! Nous ne sommes plus étrangers sur la terre, nous ne pouvons plus nous y égarer. Jésus-Christ nous a rendu l'héritage que le péché d'Adam nous avoit ravi. Chrétien! il n'est plus d'océan ou de déserts inconnus pour toi; tu trouveras partout la langue de tes aïeux et la cabane de ton père !

CHAPITRE VI.

SUITE DU PRÉCÉDENT.

TRAPPISTES, CHARTREUX, SOEURS DE SAINTE-
CLAIRE, PÈRES DE LA RÉDEMPTION, MISSION-
NAIRES, FILLES DE LA CHARITÉ, ETC.

Telles sont les mœurs et les coutumes de quelques-uns des ordres religieux de la vie contemplative; mais ces choses, néanmoins, ne sont si belles que parce qu'elles sont unies aux méditations et aux prières : ôtez le nom et la présence de Dieu de tout cela, et le charme est presque détruit.

Voulez-vous maintenant vous transporter à la Trappe, et contempler ces moines vêtus d'un sac, qui bêchent leurs tombes? Voulez-vous les voir errer comme des ombres dans cette grande forêt de Mortagne, et au bord de cet étang solitaire? Le silence marche à leurs côtés, ou s'ils se parlent quand ils se rencontrent, c'est pour se dire seulement : Frères, il faut mourir. Ces ordres rigoureux du christianisme étoient des écoles de morale en action: institués au milieu des plaisirs du siècle, ils offroient sans cesse des modèles de pénitence et de grands exemples de la misère humaine aux yeux du vice et de la prospérité.

Quel spectacle que celui du trappiste mourant! quelle sorte de haute philosophie! quel avertissement pour les hommes! Étendu sur un peu de paille et de cendre, dans le sanctuaire de l'église, ses frères rangés en silence autour de lui, il les appelle à la vertu, tandis que la cloche funèbre sonne ses dernières agonies. Ce sont ordinairement les vivants qui engagent l'infirme à quitter courageusement la vie; mais ici c'est une chose plus sublime, c'est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l'éternité, il la doit mieux connoître qu'un autre; et, d'une voix qui résonne déjà entre des ossements, il appelle avec autorité ses compagnons, ses supérieurs même à la pénitence. Qui ne frémiroit en voyant ce religieux qui vécut d'une manière si sainte, douter encore de son salut à l'approche du passage terrible? Le christianisme a tiré du fond du sépulcre toutes les moralités qu'il renferme. C'est par la mort que la morale est entrée dans la vie : si l'homme, tel qu'il est aujourd'hui après sa chute, fût demeuré immortel, peut-être n'eût-il jamais connu la vertu (52).

Ainsi s'offrent de toutes parts dans la religion les scènes les plus instructives ou les plus attachantes: là, de saints muets, comme un peuple enchanté par un philtre, accomplissent sans paroles les travaux des moissons et des vendanges; ici les filles de Claire foulent de leurs pieds nus les tombes glacées de leur cloître. Ne croyez pas toutefois qu'elles soient malheureuses au milieų de leurs austérités; leurs cœurs sont purs, et leurs yeux tournés vers le ciel, en signe de désir et d'espérance. Une robe de laine grise est préférable à des habits somptueux, achetés au prix des vertus; le pain de la charité est plus sain que celui de la prostitution. Eh! de combien de chagrins ce simple voile baissé entre ces filles et le monde ne les sépare-t-il pas !

En vérité, nous sentons qu'il nous faudroit un tout autre talent que le nôtre pour nous tirer dignement des objets qui se présentent à nos yeux. Le plus bel éloge que nous pourrions faire de la vie monastique seroit de présenter le catalogue des travaux auxquels elle s'est consacrée. La religion, laissant à notre cœur le soin de nos joies, ne s'est occupée, comme une tendre mère, que du soulagement de nos douleurs; mais dans cette œuvre immense et difficile elle a appelé tous ses fils et toutes ses filles à son secours. Aux uns elle a confié le soin de nos maladies, comme à

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sorte.

Il y a des gens pour qui le seul nom de capucin est un objet de risée. Quoi qu'il en soit, un religieux de l'ordre de saint François étoit souvent un personnage noble et simple.

cette multitude de religieux et de religieuses dé-à présent les yeux sur des objets d'une autre voués au service des hôpitaux ; aux autres elle a délégué les pauvres, comme aux sœurs de la Charité. Le père de la Rédemption s'embarque à Marseille où va-t-il seul ainsi avec son bréviaire et son bâton? Ce conquérant marche à la délivrance de l'humanité, et les armées qui l'accom pagnent sont invisibles. La bourse de la charité à la main, il court affronter la peste, le martyre et l'esclavage. Il aborde le dey d'Alger, il lui parle au nom de ce roi céleste dont il est l'ambassadeur. Le Barbare s'étonne à la vue de cet Européen, qui ose seul, à travers les mers et les orages, venir lui redemander des captifs: dompté par une force inconnue, il accepte l'or qu'on lui présente; et l'héroïque libérateur, satisfait d'avoir rendu des malheureux à leur patrie, obscur et ignoré, reprend humblement à pied le chemin de son monastère.

Partout c'est le même spectacle : le missionnaire qui part pour la Chine rencontre au port le missionnaire qui revient, glorieux et mutilé, du Canada; la sœur grise court administrer l'indigent dans sa chaumière; le père capucin vole à l'incendie; le frère hospitalier lave les pieds du voyageur; le frère du Bien-Mourir console l'agonisant sur sa couche; le frère Enterreur porte le corps du pauvre décédé; la sœur de la Charité monte au septième étage pour prodiguer l'or, le vêtement et l'espérance; ces filles, si justement appelées Filles-Dieu, portent et reportent çà et là les bouillons, la charpie, les remèdes; la fille du Bon-Pasteur tend les bras à la fille prostituée, et lui crie: Je ne suis point venue pour appeler les justes, mais les pécheurs! l'orphelin trouve un père, l'insensé un médecin, l'ignorant un instructeur. Tous ces ouvriers en œuvres célestes se précipitent, s'animent les uns les autres. Cependant la religion, attentive, et tenant une couronne immortelle, leur crie: Courage, mes enfants! courage! hâtez-vous, soyez plus prompts que les maux dans la carrière de la vie! méritez cette couronne que je vous prépare: elle vous mettra vous-mêmes à l'abri de tous maux et de tous besoins. »

Au milieu de tant de tableaux, qui mériteroient chacun des volumes de détails et de louanges, sur quelle scène particulière arrêteronsnous nos regards? Nous avons déjà parlé de ces hôtelleries que la religion a placées dans les solitudes des quatre parties du monde, fixons donc

Qui de nous n'a vu un couple de ces hommes vénérables, voyageant dans les campagnes, ordinairement vers la fête des Morts, à l'approche de l'hiver, au temps de la quête des vignes? Ils s'en alloient, demandant l'hospitalité, dans les vieux châteaux sur leur route. A l'entrée de la nuit, les deux pèlerins arrivoient chez le châtelain solitaire : ils montoient un antique perron, mettoient leurs longs bâtons et leurs besaces derrière la porte, frappoient au portique sonore, et demandoient l'hospitalité. Si le maître refusoit ces hôtes du Seigneur, ils faisoient un profond salut, se retiroient en silence, reprenoient leurs besaces et leurs bâtons, et, secouant la poussière de leurs sandales, ils s'en alloient, à travers la nuit, chercher la cabane du laboureur. Si, au contraire, ils étoient reçus, après qu'on leur avoit donné à laver, à la façon des temps de Jacob et d'Homère, ils venoient s'asseoir au foyer hospitalier. Comme aux siècles antiques, afin de se rendre les maîtres favorables (et parce que, comme Jésus-Christ, ils aimoient aussi les enfants), ils commençoient par caresser ceux de la maison; ils leur présentoient des reliques et des images. Les enfants, qui s'étoient d'abord enfuis tout effrayés, bientôt attirés par ces merveilles, se familiarisoient jusqu'à se jouer entre les genoux des bons religieux. Le père et la mère, avec un sourire d'attendrissement, regardoient ces scènes naïves et l'intéressant contraste de la gracieuse jeunesse de leurs enfants, et de la vieillesse chenue de leurs hôtes.

Or, la pluie et le coup de vent des morts battoient au dehors les bois dépouillés, les cheminées, les créneaux du château gothique; la chouette crioit sur ses faîtes. Auprès d'un large foyer, la famille se mettoit à table: le repas étoit cordial, et les manières affectueuses. La jeune demoiselle du lieu interrogeoit timidement ses hôtes, qui louoient gravement sa beauté et sa modestie. Les bons pères entretenoient la famille par leurs agréables propos : ils racontoient quelque histoire bien touchante; car ils avoient toujours appris des choses remarquables dans leurs missions lointaines, chez les sauvages de l'Amé

riqué, ou chez les peuples de la Tartarie. A la longue barbe de ces pères, à leur robe de l'antique Orient, à la manière dont ils étoient venus demander l'hospitalité, on se rappeloit ces temps où les Thalès et les Anacharsis voyageoient ainsi dans l'Asie et dans la Grèce.

Après le souper du château, la dame appeloit ses serviteurs, et l'on invitoit un des pères à faire en commun la prière accoutumée; ensuite les deux religieux se retiroient à leur couche, en souhaitant toutes sortes de prospérités à leurs hôtes. Le lendemain on cherchoit les vieux voyageurs, mais ils s'étoient évanouis, comme ces saintes apparitions qui visitent quelquefois l'homme de bien dans sa demeure.

Etoit-il quelque chose qui pût briser l'âme, quelque commission dont les hommes ennemis des larmes n'osassent se charger, de peur de compromettre leurs plaisirs, c'étoit aux enfants du cloitre qu'elle étoit aussitôt dévolue, et surtout aux Pères de l'ordre de saint François; on supposoit que des hommes qui s'étoient voués à la misère, devoient être naturellement les hérauts du malheur. L'un étoit obligé d'aller porter à une famille la nouvelle de la perte de sa fortune; l'autre de lui apprendre le trépas de son fils unique. Le grand Bourdaloue remplit lui-même ce triste devoir il se présentoit en silence à la porte du père, croisoit les mains sur sa poitrine, s'inclinoit profondément et se retiroit muet, comme la mort dont il étoit l'interprète.

un carme,

malheur. O apôtre de Jésus-Christ, de quelles catastrophes n'étiez-vous point témoin, vous qui, près du bourreau, ne craigniez point de vous couvrir du sang des misérables, et qui étiez leur dernier ami! Voici un des plus hauts spectacles de la terre aux deux coins de cet échafaud, les deux justices sont en présence, la justice humaine et la justice divine; l'une implacable et appuyée sur un glaive, est accompagnée du désespoir; l'autre, tenant un voile trempé de pleurs, se montre entre la pitié et l'espérance: l'une a pour ministre un homme de sang, l'autre un homme de paix : l'une condamne, l'autre absout: innocente ou coupable, la première dit à la victime: Meurs!» La seconde lui crie: « Fils de l'innocence ou du repentir, montez au ciel! »

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LIVRE QUATRIÈME.

MISSIONS.

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE DES MISSIONS.

Voici encore une de ces grandes et nouvelles idées qui n'appartiennent qu'à la religion chrétienne. Les cultes idolâtres ont ignoré l'enthousiasme divin qui anime l'apôtre de l'Évangile. Les anciens philosophes eux-mêmes n'ont jamais quitté les avenues d'Académus et les délices d'Athènes, pour aller, au gré d'une impulsion sublime, humaniser le Sauvage, instruire l'ignorant, guérir le malade, vêtir le pauvre et semer la concorde et la paix parmi des nations ennemies : c'est ce que les religieux chrétiens ont fait et font encore tous les jours. Les mers, les orages, les glaces du pôle, les feux du tropique, rien ne les arrête:

Croit-on qu'il y eût beaucoup de plaisirs (nous entendons de ces plaisirs à la façon du monde), croit-on qu'il fût fort doux pour un cordelier, un franciscain, d'aller au milieu des prisons, annoncer la sentence au criminel, l'écouter, le consoler, et avoir, pendant des journées entières, l'âme transpercée des scènes les plus déchirantes? On a vu, dans ces actes de dé-ils vivent avec l'Esquimau dans son outre de peau vouement, la sueur tomber à grosses gouttes du front de ces compatissants religieux, et mouiller ce froc qu'elle a pour toujours rendu sacré, en dépit des sarcasmes de la philosophie. Et pourtant quel honneur, quel profit revenoit-il à ces moines de tant de sacrifices, sinon la dérision du monde, et les injures même des prisonniers qu'ils consoloient! Mais du moins les hommes, tout ingrats qu'ils sont, avoient confessé leur nullité dans ces grandes rencontres de la vie, puisqu'ils les avoient abandonnées à la reli- Lorsque l'Europe régénérée n'offrit plus aux gion, seul véritable secours au dernier degré du | prédicateurs de la foi qu'une famille de frères, ils

de vache marine; ils se nourrissent d'huile de baleine avec le Groënlandois; avec le Tartare ou l'Iroquois, ils parcourent la solitude; ils montent sur le dromadaire de l'Arabe, ou suivent le Caffre errant dans ses déserts embrasés; le Chinois, le Japonois, l'Indien, sont devenus leurs néophytes; il n'est point d'île ou d'écueil dans l'Océan qui ait pu échapper à leur zèle; et, comme autrefois les royaumes manquoient à l'ambition d'Alexandre, la terre manque à leur charité.

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