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LA PSYCHOLOGIE DES CARACTÈRES

MOLIÈRE

Si Racine est un maître sans rival dans la peinture des passions, Molière est un non moins grand maître dans l'analyse et l'étude approfondie des caractères; y a-t-il au fond une bien grande différence entre les caractères et les passions? La distinction théorique de ces deux faits n'est pas facile à donner : disons seulement que la passion représente surtout un moment aigu de la vie de l'âme, et les caractères une forme fixe que les habitudes, les événements et les passions elles-mêmes ont im

primée à la personne morale. Sans insister sur ces distinctions abstraites, contentons-nous de rappeler que le terme de passion est toujours celui qui vient à l'esprit quand on parle de Racine ou que l'on pense à lui, que le terme de caractères est celui qui s'associe, au contraire, au nom de Molière.

Nous étudierons surtout la psychologie de Molière dans trois grandes œuvres: Turtufe, le Misanthrope et Don Juan sans négliger et sans éviter les questions philosophiques morales qui sont liées aux questions psychologiques.

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La comédie du Tartufe donne lieu à trois questions intéressantes: 1° La comédie a-t-elle le droit de se mêler des choses divines et de prendre en main la défense de la vraie dévotion contre la fausse? 2° Peut-on, d'un autre côté, attaquer la fausse dévotion sans compromettre la véritable, les signes de l'une et de l'autre étant extérieurement les mêmes? 3. Enfin, Molière, en combattant l'hypocrisie, n'a-t-il pas eu, malgré toutes ses précautions et ses apologies, un dessein plus profond, et le Tartufe ne serait-il pas l'essai et la première escarmouche du grand combat du xvi° siècle contre l'Église?

Tels sont les problèmes de morale et de psychologie qui se rattachent à la comédie de Tartufe et qui, même à part de la beauté littéraire, en font un document si intéressant dans l'histoire de l'esprit humain. La première question est celle dans laquelle se renfermaient au temps de Molière, ceux qui ne voulaient pas entrer dans la question de fond et dans la question plus délicate encore de tendance et d'intention. Lors de l'interdiction des représentations de Tartufe par le premier président de Lamoignon, tandis que le roi était à l'armée, Molière pria Boileau, ami du président, de le présenter à celui-ci pour essayer de le désarmer. Boileau, dans une lettre à Brossette, cite les paroles mêmes de M. de Lamoignon: « Avec toute la bonne volonté que j'ai pour vous, dit-il, je ne saurais permettre de jouer votre comédie. Je suis persuadé qu'elle est fort belle et fort instructive; mais il ne convient pas à des comédiens d'instruire les hommes sur les matières de la morale chrétienne et de la religion: ce n'est pas au théâtre à se mêler de prêcher l'Évangile. » On voit que le premier président ne mettait pas en doute la bonne foi et la bonne

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volonté de Molière, et que ses doutes ne portaient pas sur le danger de confondre la fausse dévotion avec la vraie, mais seulement sur l'inconvenance de mettre sur la scène comique des matières religieuses; le principe sur lequel il s'appuyait était la séparation du sacré et du profane. Permettre au théâtre de jouer l'hypocrisie, c'était lui donner juridiction sur les matières de piété : à qui appartient-il de distinguer le vrai du faux en matière de religion, sinon à la religion elle-même? Molière invoquait bien en sa faveur les traditions et les origines du théâtre qui, chez tous les peuples, est sorti de la religion il rappelait le souvenir des mystères, qui souvent s'étaient joués dans les églises elles-mêmes. Mais, depuis longtemps, le théâtre s'était séparé du sanctuaire et s'était sécularisé. Il pouvait représenter des scènes religieuses quand il était lui-même un acte religieux sous l'autorité de l'Église; mais, depuis qu'il était devenu profane et mondain, s'arroger le droit de prêcher, n'était-ce pas empiéter sur le domaine spirituel, sur les droits de l'Église? On le voit, la question du Tartufe n'est au fond qu'un de ces cas de conflit innombrables qui,

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