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nos naturalistes modernes : « Entrez, messieurs, dans ces grandes salles, pour y contempler le spectacle de l'infirmité humaine. Là, vous verrez en combien de façons la maladie se joue de nos corps lå elle étend, là elle retire, là elle retourne, là elle disloque; là elle relâche, là elle engourdit, là sur le tout, là sur la moitié; là elle cloue un corps immobile, là elle le secoue par le tremblement. La maladie se joue comme il lui plaît de son corps que le péché a donné en proie à ses cruelles bizarreries. » Ailleurs, Bossuet veut peindre la terrible maladie du cancer, si mystérieuse et si sûre dans sa marche et dans sa fin : « Comment cette merveilleuse constitution, dit-il, est-elle devenue si soudainement la proie de la mort? D'où est sorti ce venin? En quelle partie de ce corps si bien composé était caché le foyer de cette tumeur malfaisante dont l'opiniâtre malignité a triomphé des soins et de l'art? Oh! que nous ne sommes rien! Oh! que la force et l'embonpoint ne sont que des noms trompeurs! Car que sert d'avoir sur le visage tant de santé et tant de vie, si la corruption nous gagne au dedans, si elle attend, pour ainsi dire,

à se déclarer, qu'elle se soit emparée du principe de vie; si, s'étant rendue invincible, elle sort enfin tout à coup avec furie de seș embûches secrètes et impénétrables pour achever de nous accabler!»

Encore la maladie peut n'être qu'un passage et ramener après elle la santé; tant qu'elle dure, d'ailleurs, c'est encore la vie : souffrir, c'est vivre. Mais, quoi qu'on en ait, bonne ou mauvaise santé, longues ou courtes années, peu importe tout finit par finir, et, si. belle que la comédie ait été dans tout le reste, dit Pascal, le dernier acte est toujours sanglant. C'est sur ce dernier acte que les moralistes chrétiens s'appesantissent avec le plus de complaisance car, pour eux, c'est dans la mort qu'est le secret de la vie; c'est là qu'ils triomphent et que la vanité de tout le reste éclate de l'aveu de tous, et sans qu'aucun prétexte puisse couvrir nos illusions : « Elle viendra, cette heure dernière, elle approche, nous y touchons, la voilà venue. Il n'y a plus ni princesse, ni palatine ces grands noms ne subsistent plus. Il faut dire avec elle : Je m'en vais, tout fuit, tout disparaît. Ce qu'on croyait tenir échappe, sem

blable à de l'eau gelée, dont le vil cristal se fond entre les mains qui le serrent, et ne fait que les salir.»

On croit qu'à force d'avoir vécu, on meurt plus facilement. Illusion! illusion ! « L'habitude de vivre ne fera qu'en accroître le désir!» Bossuet peint la mort avec autant de réalité qu'il a peint la maladie : « Voyez cette bouche ouverte, ce visage allongé, cette respiration entrecoupée, ce jugement offusqué qui revient par certains moments comme de fort loin autant de signes prochains de la mort. Les amis se livrent à une sorte de désespoir : chacun s'empresse à le secourir quand on ne peut plus rien. Enfin, lorsque le malade est aux prises avec la mort, tout le monde court sans savoir où; dès qu'il est expiré, la douleur éclate par les cris et les sanglots. Cette femme demeure étourdie comme si elle était tombée du haut d'un clocher. On ne peut imaginer la mort. On croit à toute heure voir entrer le défunt. »

Après la mort reste encore une dernière peinture, une dernière description : celle de ce qui succède à la mort, du cadavre, et celle de ce qui succède même au cadavre et à toute forme

déterminée. Ici, nous osons à peine citer ce qui est en toutes les mémoires; mais c'est le dénouement naturel et inévitable de ce travail, c'en est le dernier mot. La philosophie de Bossuet, comme celle de Pascal, est celle de la mort; la vie est « la méditation de la mort ». Citons donc encore une fois cette page tant de fois citée « La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie ! La voilà telle que la mort nous l'a faite! Encore ce reste tel quel va-t-il disparaître; cette ombre de gloire va s'évanouir... Elle descendra à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines... avec ces rois et ces princes anéantis parmi lesquels à peine peuton la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places ! Mais ici, notre imagination nous abuse encore. La mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit que les tombeaux qui font quelque figure. Notre chair change bientôt de nature; notre corps prend un autre nom; même celui du cadavre, dit Tertullien, ne lui demeure pas longtemps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom

dans aucune langue, tant il est vrai que tout meurt en lui jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ces malheureux restes!»

C'est ici que, si nous restions trop fidèle à notre pensée première, c'est-à-dire à un Bossuet profane sans mélange d'élément chrétient, c'est ici, dis-je, que l'abstraction deviendrait mutilation; et, pour être tout à fait vrai, il faut une autre note. Non, pour Bossuet, la mort n'est pas le dernier mot; le cadavre n'est pas la dernière forme. La mort ne tue pas, elle délivre. Il n'est pas, d'ailleurs, nécessaire d'être chrétien pour penser ainsi. Socrate le disait dans sa prison; lui aussi, il croyait aller, au milieu des dieux et des bienheureux, continuer les belles conversations et les nobles pensées; seulement il ne voyait là qu'une espérance et un beau risque à courir. Pour Bossuet, c'est la foi qui parle « Je vois, je sais, je crois. » Lui-même a dû mourir comme il a peint la mort d'un de ses héros : « O Mort, dit-il d'un visage ferme, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce qui m'est cher. Tu me sépareras de ce corps mortel; ô Mort, je t'en remercie ! j'ai travaillé toute ma vie à m'en

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