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est la seule instruction qu'il leur demande : << Aimez! aimez! disait-il aux religieuses qui tenaient des maisons d'éducation: vous saurez beaucoup en apprenant peu... Qui sait cela sait tout. Voilà la science de Jésus-Christ. »

V

LES CARACTÈRES

Nous venons de voir que Bossuet ne le cède à aucun de nos moralistes français pour la peinture des passions. Il en est de même de la description des caractères. On trouve chez lui des portraits qui, s'ils n'ont pas le tour pittoresque qu'affecte La Bruyère, ont une touche large et fière que ne connaissait pas celui-ci. Déjà quelques passages sur les femmes, que nous avons cités, ressemblent à des portraits satiriques; vous en trouverez d'autres de même nature sur divers genres de personnages; et, pour aller tout d'abord d'une extrémité à l'autre, passons des femmes aux philosophes et aux savants. Ici,.

c'est nous-mêmes qui sommes en jeu ; c'est de notre cause qu'il s'agit. De te fabula narratur : écoutons avec respect.

Ne demandons pas à Bossuet rien qui ressemble à ce culte que l'on a aujourd'hui pour ce qu'on appelle « la science », c'est-à-dire à cet amour de la science pour la science, qui a remplacé ce qu'on appelait autrefois l'art pour l'art; encore moins doit-on trouver chez lui la prétention que nous avons aujourd'hui de tout diriger et de gouverner les hommes par les seules lumières de l'esprit humain. Cependant, il a bien compris la source de cette nouvelle idolâtrie. « Entre toutes les passions de l'esprit humain, l'une des plus violentes, c'est le désir de savoir; » et, quoiqu'il ne soit pas, dit-il, « de ceux qui font grand état des connaissances humaines », son généreux esprit, cependant, ne peut s'empêcher d'être sensible aux efforts que le génie humain a faits pour pénétrer la nature et pour se rendre maître de la nature elle-même. Il développe, dans une énumération qu'il renvoie lui-même à la rhétorique, tous les artifices de la science et de l'art : « Quoi plus ! ajoute-t-il par un dernier trait, il est monté jusqu'aux

cieux; pour marcher plus sûrement, il a appris aux astres à le guider dans ses voyages; il a obligé le soleil à rendre compte de tous ses pas!» Mais, après avoir reconnu dans ce domaine toute la grandeur du genie humain, il est bientôt frappé des excès et des vanités auxquels cet instinct de savoir peut donner lieu. Il rabat l'ambition des savants bien plus qu'il ne l'encourage; il signale l'abus de la science et l'orgueil de la pensée. Il ne voit dans les sciences profanes « qu'un divertissement de l'esprit; elles ont si peu de solidité, que l'on peut, sans grande injure, n'en faire qu'un jeu ». Il dénonce, avec saint Bernard, trois excès des savants d'abord savoir pour savoir: Quidam scire volunt ut sciant; en second lieu, apprendre et savoir, pour se rendre célèbre et faire connaître son nom, ut sciantur ipsi; enfin, pour se faire de la science un moyen de trafic, ut scientiam vendant. En un mot, la science est tantôt un spectacle, tantôt une montre, tantôt un métier. Les vrais savants de nos jours accorde

1. Il ne s'agit pas, bien entendu, des ballons. Ce n'est qu'une expression figurée pour exprimer les services rendus par l'astronomie à la navigation.

ront peut-être à Bossuet et à saint Bernard, que les deux derniers usages de la science sont une vanité honteuse, turpis vanitas, encore est-ce dur et injuste pour les professeurs de science, qui vivent de leur savoir comme les prêtres vivent de l'autel; mais ils n'accorderont pas que le premier soit une honteuse curiosité, turpis curiositas. Ils demanderont en quoi la contemplation de la vérité pour elle-même est une chose honteuse. Si Dieu lui-même est vérité, ego sum veritas; si les lois des nombres et des proportions font partie de l'essence divine, comme l'enseignent saint Augustin, Malebranche et Bossuet lui-même, n'est-ce pas contempler Dieu sous une de ses faces que de contempler la vérité? Que l'on ait tort de ne pas la rapporter à Dieu, cela est possible; mais en elle-même la vérité n'en est pas moins quelque chose de divin; et c'est participer à l'éternité que de contempler les vérités éternelles.

« Ce n'est pas, dit cependant Bossuet, que la science ne soit un présent du ciel, la lumière de l'entendement, la nourrice de la vertu. Mais, si elle se termine en elle-même, elle nous aveugle

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