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Elle veut être adorée comme une déesse; mais elle est elle-même son idole. » Bien plus, les parents eux-mêmes sont complices d'un tel désordre «Ils étalent leur fille pour être un spectacle de vanité et l'objet de la cupidité publique. » La beauté s'alimente de la ruine et de la misère des hommes: «Elle traîne sur elle en ses ornements la subsistance d'une infinité de familles; elle porte, dit Tertullien, en un petit fil, autour de son cou, des patrimoines entiers. » Notre moraliste n'a pas plus de pitié pour les vieilles beautés, qu'il dénonce avec une dureté impitoyable : « Voyez cette femme amoureuse de sa fragile beauté, qui se fait à elle-même un miroir trompeur, où elle répare sa maigreur extrême et rétablit ses traits effacés, ou qui fait peindre dans un tableau trompeur ce qu'elle n'est plus, et s'imagine reprendre ce que les ans lui ont ôté. » Quelle erreur n'est-ce pas « de retenir par force, avec mille artifices, ces grâces qui s'envolent avec le temps »>! Ailleurs, il s'exprime avec plus de force encore sur les artifices de la coquetterie en lutte avec les ans : « Voyez cette femme amoureuse jusqu'à la folie de cette beauté d'un jour

qui peint la surface du visage pour cacher la laideur qui est au dedans... Elle se plâtre, elle se farde, elle se déguise; elle se donne de fausses couleurs et laisse jouir son orgueil du spectacle d'une beauté imaginaire. » Et, entrant jusque dans les détails de cette coquetterie, il s'en prend aux soins que les femmes donnent à la coiffure : « On se joue du temps; on le prodigue sans mesure jusqu'aux cheveux, c'est-à-dire la chose la plus nécessaire à la plus inutile. La nature qui ménage tout jette les cheveux sur la tête comme une expression superflue. Bossuet ne craint point d'entrer dans le détail de tous les artifices de la coquetterie. Et pourtant, « ce que la nature a prodigué comme superflu, la curiosité en fait un attachement; elle devient inventive et ingénieuse pour faire une étude d'une bagatelle et un emploi d'un amusement ». Ainsi de toute la toilette. Les premiers habits ont été inventés par la pudeur; mais, « la curiosité s'y étant jointe, la profusion n'a plus de bornes; et, pour orner un corps mortel, tous les métiers suent ». Les habits ne sont pas seulement une occasion de vanité et d'orgueil; ils sont un instrument de luxure et de sensualité.

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Nos dames d'aujourd'hui devraient bien écouter ces paroles presque brutales que Bossuet lançait du haut de la chaire, en dénonçant « ces gorges et ces épaules découvertes qui étalent à l'impudicité la proie à laquelle elle aspire ». Terminons enfin par ce portrait de la courtisane d'une étrange hardiesse que la chaire chrétienne ne supporterait pas davantage aujourd'hui : « Elle est devenue belle des ornements, des colliers, des pendants d'oreille. Elle était belle; sa beauté célébrée dans les environs... Elle m'a quittée, la déloyale. Voyez les degrés : d'abord elle n'a eu qu'un amant ; elle était timide, tremblante; mais ensuite elle s'est abandonnée et prostituée à ceux qu'elle aimait, à ceux mêmes qu'elle ne connaît pas. Au commencement elle se laissait corrompre par les récompenses; maintenant elle corrompt les autres. Conscience corrompue, profession publique du crime, repos dans le crime, cent reproches de la conscience; repos dans l'opprobre; on n'a honte que de n'être pas assez impudente; on ne rougit que de conserver quelque pudeur. »

Telles sont les pensées de Bossuet sur les femmes et sur l'amour. On peut trouver qu'il

voit les choses à un point de vue un peu ascétique; tout entier au sentiment chrétien, la nature proprement dite ne l'intéresse pas; il ne voit partout que corruption et misère; mais, si les sages profanes ont peut-être quelque chose à redire à cet excès de sévérité, en quoi nos pessimistes et nos misanthropes pourraient-ils se plaindre, eux qui, sans aucune compensation, sans l'excuse d'une meilleure destinée, n'ont pour tout ce qui est humain que paroles amères, et pour la vie que malédiction et blasphèmes? Anéantissement pour anéantissement, mieux vaut encore s'abîmer en Dieu que dans le néant.

Si sévère pour les femmes et pour le monde, on devine que Bossuet n'aura pas beaucoup de complaisance pour la culture d'esprit chez les femmes, que nous encourageons tant aujourd'hui; on ne trouvera pas chez lui, on ne devra point lui demander cette libéralité noble qui rend si aimable et si vivant encore l'ouvrage de Fénelon sur l'Éducation des filles. Fénelon veut faire travailler les filles : « L'ignorance d'une fille, dit-il, est cause qu'elle s'ennuie »; et, « l'ennui des filles est dangereux ». Bossuet

n'a pas une telle complaisance pour l'esprit. Pour lui, c'est l'étude qui est dangereuse : << Fuyez comme une passion toutes les curiosités, tous les amusements d'esprit; car les femmes n'ont pas moins de penchant à être vaines par l'esprit que par le corps. Souvent les lectures qu'elles font, avec tant d'empressement, se tournent en parures vaines et en ajustements immodestes de leur esprit; souvent elles lisent par vanité, comme elles se coiffent » . Il y a une grande vérité dans ces peintures; mais on peut se demander si les femmes qui tirent ainsi vanité de leur esprit ne seraient pas précisément celles qui, n'ayant pas été instruites d'une manière solide, font leur éducation dans le monde à l'aide des romans à la mode, dans la fréquentation des théâtres les plus immodestes, et dans la lecture des journaux bien pensants et très corrompus.

Si peu exigeant pour l'instruction des filles, Bossuet ne le sera pas beaucoup plus pour leurs éducatrices. Ce sont évidemment les religieuses; et, pour celles-ci encore, plus que pour leurs élèves, la lecture et l'étude sont plus à craindre qu'à recommander. La piété

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