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même avec son train qu'on augmente... Voyez comme il marche; vous diriez que la terre ne le contient plus, et que sa fortune enfermant en soi tant de fortunes particulières, il ne peut plus se compter comme un seul homme. » Il crcit « qu'il se multiplie quand on parle de lui, et quand il fait du bruit dans le monde »; et, cependant, pour l'abattre, il ne faudra « qu'une seule mort ».

Le vice dans lequel cette amplification de soi-même est le plus visible est l'ambition. Bossuet avait vu d'assez près cette passion dans son commerce avec la cour. Que de luttes ! que de conflits! que de déboires et d'affronts dévorés! que de mémorables succès, que de terribles chutes! Aussi a-t-il souvent parlé de l'ambition; il lui a consacré comme Bourdaloue plusieurs sermons; il lui prodigue ses avertissements et il la décrit d'un trait ferme et hardi.

De toutes les passions, la plus fière dans ses pensées et la plus emportée dans ses désirs, mais la plus souple dans sa conduite et la plus cachée dans ses desseins, c'est l'ambition. » Il emprunte à saint Grégoire cette belle définition: «Timide quand elle cherche, superbe

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quand elle a trouvé. » Voici l'histoire de l'ambitieux merveilleusement résumée : « Dans les premières démarches de sa fortune naissante, il ne songeait qu'à se tirer de la boue... Le feu qui prenait par le bas ne regardait pas encore le sommet du toit; il gagne de degré en degré où sa matière l'attire. » Mais, « lorsqu'on se voit tout d'un coup élevé aux places les plus importantes, et que je ne sais quoi nous dit dans le cœur qu'on mérite d'autant plus de si grands honneurs qu'ils sont venus à nous comme d'eux-mêmes, on ne se possède plus, et c'est aux hommes vulgaires un trop grand effort que celui de se refuser à cette éclatante beauté qui se donne à eux. » Deux traits caractérisent les ambitieux : « L'un de mépriser ce qu'ils sont; l'autre de le faire valoir avec excès. » Sans doute ils méprisent leur état, puisqu'ils se plaignent toujours de leur mauvaise fortune: «Leurs vertus méritent un plus grand théâtre; leur grand génie est à l'étroit dans un emploi si borné. Et, cependant, ils veulent en même temps qu'on les considère comme quelque chose d'auguste; vous n'entendez sortir de leur bouche que des paroles d'autorité. Pour assurer

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sa fortune, l'ambitieux cherche partout des appuis autour de lui : « Il appuie sa famille sur des fondements certains, sur des charges considérables, sur des richesses immenses... et pense s'être affermi contre toute sorte d'attaques »; mais il ne trouve que de la fumée. L'ambitieux se leurre lui-même par toute sorte de prétextes. Je me modérerai, dit-il; mais c'est une illusion qu'il se fait à lui-même, et Bossuet se sert ici d'une image hardie et délicate, que son autorité seule peut faire passer: << Ainsi qu'un homme qui, ayant épousé une femme d'une beauté ravissante, serait obligé de vivre avec elle comme avec sa sœur, vous ne comprenez que trop son péril: autant estil difficile de garder la modération dans les dignités. » La puissance est le principe de tous. les égarements, « semblable à un vin fumeux qui fait sentir sa force aux plus sobres ». Comment lutter honorablement dans les hautes places contre les compétitions, les convoitises, les injustices? Que fera la vertu avec sa froide et impuissante médiocrité ? On sait par quels appâts, par quels degrés insensibles l'ambition trompe ses zélateurs : il n'est pas besoin d'être

en monarchie pour en avoir des modèles. Voyez ce portrait des politiciens de tous les temps:

D'abord ils plaignent le public et s'érigent en réformateurs des abus. Que de beaux desseins! que de sages conseils!... Quand ils sont arrivés au but, il faut attendre les occasions, qui ne marchent qu'à pas de plomb, et qui enfin n'arrivent jamais. » C'est ainsi qu'on se livre avec un espoir toujours nouveau au hasard de la fortune. On ne peut dire cependant que celle-ci cache ses tromperies : « Ses complaisances sont moins des faveurs que des trahisons. » Les biens qu'elle nous donne ne sont pas tant des présents qu'elle nous fait que des gages que nous lui donnons. Mais l'ambitieux croit toujours qu'il prendra des mesures pour la fixer. L'orateur le met en scène, et engage avec lui un dialogue serré et pressant qui rappelle celui de Pyrrhus et de Cinéas : « Je saurai, dit-il, profiter de l'exemple des autres; j'étudierai le défaut de leur politique. Folle présomption! Car ceux-là ont-ils profité de l'exemple de ceux qui les précèdent? Mais je jouirai de mon travail. -Eh quoi! pour dix ans de vie! Mais je regarde ma postérité et mon nom.

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Mais, peut-être, ta postérité n'en jouira pas mais ce qu'il y a d'assuré, c'est la peine de tes rapines, la vengeance éternelle de tes concussions et de ton ambition infinie!» Est-ce à Mazarin, est-ce à Fouquet que Bossuet pensait dans cette invective superbe ? Tout cela est d'une vérité profonde et éternelle. Et cependant, quand on se place au point de vue de la réalité des choses, on se demande comment le monde pourrait se passer des ambitieux. Le pouvoir serait une charge insupportable que tout le monde rejetterait sur son voisin, si le poids n'en était pas allégé par l'attrait qu'exerce sur nous la pensée de notre agrandissement. Quelque difficile qu'il soit de fixer une limite, quelque glissant que soit le passage de l'une à l'autre, il y aura toujours à distinguer l'ambition légitime de celle qui ne l'est pas. Si l'on condamne cette passion, pourquoi pas toutes les autres? et n'est-ce pas précisément ce que les chrétiens eux-mêmes ont reproché aux stoïciens?

Ce que Bossuet ne connaît pas moins que l'ambition, c'est le vice de l'orgueil et de l'amour-propre. Comme La Rochefoucauld, il dit que « l'amour-propre est le plus grand des

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