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coup d'importance ». Ce sont enfin des maximes affermissent un front

qui flattent les sens, qu'on trouve tendre et fortifient la pudeur contre la crainte du crime ». Ces fausses maximes introduisent dans l'âme des joies délicates, mais empoisonnées: « Je ne parle pas des joies dissolues, mais de la douceur cruelle de la vengeance et de ce triomphe secret quand on prend le dessus sur son ennemi. Que dirai-je de ces fausses tendresses qui vont toucher, remuer dans le fond des cœurs tant d'inclinations corrompues, du poison de ces médisances d'autant plus mortelles qu'elles sont délicates et ingénieuses, de cette fausse douceur qui va chatouiller notre vanité indiscrète, de ce plaisir de plaire qui fait qu'on aime à se parer avec tant de vaines et de dangereuses complaisances, pour traîner après soi les âmes captives et triompher des hommes ? » Bossuet, s'inspirant des Psaumes, appelle les plaisirs du monde Flumina Babylonis (les fleuves de Babylone): « Nous voyons ces fleuves passer devant nous, les eaux nous en semblent claires, et, dans l'ardeur de l'été, on trouve quelque douceur à s'y rafraîchir. » Mais tra

versez ces faux mirages, ces joies trompeuses, ces plaisirs apparents; allez au fond de ces joies, qu'y verrez-vous? Les épines et les douleurs d'un monde plein de trahisons... Que n'en coûte-t-il pas pour le flatter? Quelles traverses! Quelles alarmes! Quelles bassesses! Quelle lâcheté !.. Quelle pauvreté effective dans une abondance apparente !... Tout y trahit le cœur, jusqu'à l'espérance,... les désirs s'évanouissent; ils deviennent farouches et insatiables; l'ennui déchire les entrailles; on est malheureux non seulement par son propre malheur, mais par la prospérité d'autrui... On ne peut ni assouvir les passions, ni les vaincre. On en sent la tyrannie et on ne veut pas en être délivré. »

Après les plaisirs, les affaires : autre source apparente de plaisirs; car nous aimons l'action et l'agitation: << Comme la vie est dans l'action, celui qui cesse d'agir semble avoir cessé de vivre... Les hommes croient qu'ils n'agissent pas s'ils ne s'agitent, et qu'ils ne remuent pas s'ils ne font du bruit. » Examinons dans le détail cette vie agitée: obligation de se détourner de la droite voie, « de se ménager entre la justice

et la faveur, entre le devoir et la complaisance »; obligation de se tromper les uns les autres; fausses amitiés : « On se ménage par discrétion; on oblige par honneur et on sert par intérêt... La fortune fait les amis, la fortune les change. Oh! si nous pouvions percer dans le fond des cœurs! s'écrie Bossuet, peutètre par réminiscence de La Rochefoucauld, quel étrange spectacle, et que nous serions étonnés de nous voir les uns les autres, avec nos soupçons, nos jalousies et nos répugnances secrètes!» De là les fausses vertus du monde : « Elles se soutiennent vigoureusement jusqu'à ce qu'il s'agisse d'un grand intérêt; mais elles ne craignent pas de se relâcher pour faire un coup d'importance... Ce sont des vertus de Pilate; on en veut savoir les devoirs, mais nonchalamment;... on étale une vertu de parade dans de faibles occasions, qu'on laisse tout à coup tomber dans les importantes. >> Voyez encore ce portrait de la vertu mondaine, qui, grâce à quelque mélange de faux honneur, réussit à faire passer le vice pour la vertu : << Pousser ses amis à quelque prix que ce soit, venger hautement ses injures,... c'est bien

faisance, grandeur d'âme, noblesse de sentiment!... Cet homme s'est enrichi par des concussions épouvantables; mais il tient bonne table; cela paraît libéral : c'est un fort honnête. homme; il fait belle dépense du bien d'autrui. Vous vous vengez par un assassinat,... mais ç'a été un beau duel; le monde vous applaudit et vous couronne... L'impudicité même, que l'on appelle brutalité quand elle court ouvertement à la débauche, si peu qu'elle s'étudie à se couvrir de belles couleurs, ne va-t-elle pas tête levée ? Ne semble-t-elle pas digne des héros? Eh quoi! cette légère teinture a imposé si facilement aux yeux des hommes !... Ceux qui ne se connaissent pas en pierreries sont trompés par le moindre éclat. »

Du monde en général passons à la cour, qui est encore le monde, mais en raccourci et sous sa forme la plus belle et la plus brillante. Au XVIIe siècle, la cour était pour les hommes comme une sorte de ciel habité par des êtres d'une autre race. Ceux qui n'en étaient point l'admiraient de loin et d'en bas comme on admire le royaume des anges; ceux qui en approchaient aspiraient à en être; ceux qui en étaient

voulaient en être plus encore et s'approcher de plus près du soleil, c'est-à-dire du roi. Ce haut éclat donnait aux mœurs de la cour un relief et un prestige tout particuliers. Ce qui partout ailleurs était vice ne semblait être là que belle liberté et noble grandeur. La royauté donnait l'exemple; la richesse, la puissance, l'esprit, la beauté, la jeunesse, la parure et les fêtes, tout se présentait sous un aspect si flatteur, qu'on ne savait plus guère appliquer les règles de la morale à cette sorte d'existence si privilégiée. Bossuet connaissait à fond ce pays et ses séductions. Il y demeurait comme témoin, non comme complice, comme juge, non comme acteur. Il voyait, comme tout le monde, le jeu des passions, et, plus que tout le monde, il en connaissait le fond par son commerce avec les consciences. Les plus grandes, les plus brillantes héroïnes de la cour avaient été ses ouailles ou ses pénitentes; les plus grands hommes étaient ses amis. Il avait converti Turenne et assisté Condé à son lit de mort. Rien ne l'étonnait et ne le subjuguait. Il pouvait peindre avec vérité et juger avec liberté.

Tout le monde sait par cœur cet admirable

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