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ces grands misanthropes, et peintes de couleurs aussi vives et aussi tranchées. C'est ce que la suite de cette étude va nous démontrer.

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De ces vues si hautes sur la vie et sur l'homme en général, descendons à un tableau plus particulier de la société humaine et de ce que l'on appelle « le monde », soit dans ce sens général où il embrasse tous les hommes, soit dans ce sens restreint où il exprime surtout une société choisie et raffinée. Bossuet connaît l'un et l'autre; et sa plume, pour peindre les travers de ce monde délicat et distingué, n'est pas moins souple ni moins cruelle que celle de La Bruyère ou de La Rochefoucauld. Il démas que toutes les illusions, il déchire tous les voiles et perce à jour toutes

les vanités. Pourquoi jouirions-nous des méchancetés arides de La Rochefoucauld, parce qu'elles sont sans correctif et sans espoir; et pourquoi ne pas admirer les mêmes tableaux, les mêmes peintures, parce qu'elles ne seraient que le premier plan d'un tableau dont le fond est la pénitence et la conversion?

Qu'est-ce que le monde selon Bossuet? « Le monde est une comédie qui se joue en différentes scènes. Ceux qui sont dans le monde comme spectateurs le connaissent mieux que ceux qui y sont comme acteurs. » Voyons donc de près cette comédie, assistons à ces scènes qui s'y jouent : « Quel fracas! quel mélange! quelle étrange confusion ! » Bossuet nous décrit les diverses occupations et inclinations des hommes sur un ton qui est un peu celui de la satire. Voici l'avocat : « Celui-là s'échauffe dans un barreau. >> Voici le marchand : « Celui-ci, assis dans une boutique, débite plus de mensonges que de marchandises. » Il en est qui passent au jeu la plus grande partie de leur temps. Les hommes du monde proprement dit, les beaux causeurs ont leur affaire ainsi que les intrigants: Les uns cherchent dans les compa

gnies l'applaudissement du beau monde; d'autres se plaisent à passer leur vie dans des intrigues continuelles ; ils veulent être de tous les secrets; ils s'imposent et se mêlent partout. >> Voilà pour les emplois des hommes: même diversité dans leurs inclinations: « Les uns se plaisent dans des emplois violents; d'autres s'attachent à cette commune conversation ou à l'étude des bonnes lettres. Celui-ci est possédé de folles amours; celui-là de haines cruelles; l'un amasse, l'autre dépense. Chacun veut être fou à sa fantaisie. »

Le monde a sa morale à lui, ses principes, ses maximes. Rien de plus étrange et de plus habile que sa manière d'enseigner; rien de plus fort, de plus persuasif, de plus insinuant : « Ce maître dangereux n'agit pas à la manière des autres maîtres; il enseigne sans dogmatiser: il a sa méthode propre de ne prouver pas ses maximes, mais de les imprimer dans le cœur sans qu'on y pense. Il ne suffit pas de lui opposer des raisons et des maximes contraires, parce que sa doctrine s'insinue plutôt par une

1. Ailleurs : « Il tient école sans dogmatiser. >>

insensible contagion que par une instruction expresse et formelle. » C'est surtout par la conversation et par une conversation délicate que le monde fait notre éducation presque à notre insu: Tout ce qui se dit dans les compagnies n'imprime que plaisir et vanité. Nous n'avalons pas tout à coup le poison du libertinage; nous le suçons peu à peu. Tout nous gâte, tout nous séduit... Nul ne se contente d'être insensé pour soi, mais veut faire passer sa folie aux autres. » Des armes du monde, la plus redoutable est la raillerie: « Le monde est armé de traits piquants, de railleries tantôt fines, tantôt grossières; les unes plus accablantes par leur insolence outrageante; les autres, plus insinuantes, par leur apparente douceur... » Veuton savoir quelles sont ces maximes du monde? Bossuet les connaît bien et nous les connaissons tous: « C'est qu'il faut s'avancer, s'il se peut, par les bonnes voies, sinon s'avancer par quelque façon et, s'il le faut, par des complaisances honnêtes. » C'est encore que : « Qui pardonne une injure en attire une autre » et qu'il faut << dissimuler quelquefois par nécessité, mais éclater, quand on peut, par quelque

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