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des retours cruels. Pour nous, c'est un regret aussi qu'on ait dépoétisé un si charmant visage ; voilà ce qu'on gagne à vouloir savoir le dessous des cartes; et il est bien fâcheux que, pour une fois que La Bruyère a voulu peindre la sagesse et la vertu, il se soit trompé.

Cependant, malgré cette dernière déception, il nous semble que cette étude des clefs de La Bruyère n'est pas tout à fait stérile. Elle nous montre quel fond réel a servi de substance à ces peintures brillantes. Ce n'est pas l'esprit seul qui a tissu ce livre : ce ne sont point des élucubrations créées artificiellement dans le cabinet; des êtres vivants et réels ont été vus, observés, pris sur le vif par le rival de Molière. Les peintres font souvent des études et des esquisses sur nature, qu'ils transportent ensuite, en les combinant et en les transformant, dans des œuvres d'un caractère plus général. Ainsi en est-il des grands observateurs de la vie humaine. Le particulier est pour eux le type du général : dans un homme, ils voient les hommes. Les clefs de La Bruyère nous permettent, avec un suffisant degré de vraisemblance, de saisir ce procédé à sa source.

Nous prenons l'observateur sur le fait. Ce n'est pas là seulement une curiosité frivole et une malignité inconsciente: c'est le besoin de comprendre qui nous guide et qui est par là satisfait.

BOSSUET MORALISTE

Nous avons relu récemment Bossuet dans une pensée qui nous avait paru intéressante. Il nous semblait qu'on nous présentait d'ordinaire trop exclusivement un Bossuet ecclésiastique, un Bossuet prêtre et évêque, parlant toujours au nom de l'Église et du dogme, et dont la première inspiration et presque la seule est l'Écriture sainte. Peut-être est-ce pour cela, pensions-nous, que Bossuet a cessé de plaire à beaucoup de nos contemporains, trop sceptiques ou trop indifférents pour prendre goût à des idées et à des sentiments si éloignés des leurs. Mais, en cherchant bien, ne pourrait-on

pas trouver un Bossuet plus profane, s'intéressant à la vie, parlant en homme des choses humaines; non plus seulement un prédicateur, mais un moraliste semblable à ceux que nous appelons de ce nom; et qui, sans faire appel toujours à l'Écriture et aux livres saints, ne laisserait pas que de décrire vivement et sévèrement les vices et les passions des hommes, et de porter des vues hardies et philosophiques sur leur nature et leur destinée? Si l'on a pu séparer, dans Pascal même, avec plus ou moins de rigueur, les pensées relatives à la philosophie et les pensées relatives à la religion; si l'on a pu, au XVIIe siècle, considérer les Maximes de La Rochefoucauld comme une introduction à la morale chrétienne; si Malebranche, malgré son mysticisme, et Nicole, malgré son jansénisme, ne se sont pas abstenus d'une description fine et ironique des travers et des caractères; si enfin Fénelon s'est si agréablement dégagé de sa robe d'évêque en écrivant son Télémaque, pourquoi n'espéreraiton pas trouver dans les quarante volumes de Bossuet des pensées générales et philosophiques comme celles de Pascal, des caractères comme

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