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Ces troubles, qui, s'étendant partout comme un incendie, couvrirent la France de ruines, durant la prison du roi Jean, s'arrêtèrent aux campagnes qu'arrosent le Cher et la Loire. Car tel est l'avantage de notre position; éloignés des frontières et de la capitale, nous sentons les derniers les mouvements populaires et les secousses de la guerre. Jamais les femmes de Tours n'ont vu la fumée d'un camp.

Or, dans cette province, de tout temps si heureuse, si pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes. Là, on ne sait ce que c'est que vols, meurtres, violences; et les plus anciens de ce pays, où l'on vit longtemps, n'y avaient vu ni prévôts, ni archers, avant ceux qui vinrent, l'an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu'aux noms de factions et de partis; on cultive ses champs; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la révolution n'ont point germé chez nous, où la révolution n'avait fait ni victimes, ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances; mais, avertis tard des changements, de peur de ne pas crier à propos Vive le roi! vive la Ligue! nous ne crions rien du tout; et cette politique nous avait réussi, jusqu'au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter : tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie

de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, Messieurs, comme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces repaires qu'on livre à la vengeance publique, mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel, du moins, avant qu'on y eût allumé, par de criantes iniquités, des res sentiments et des haines qui ne s'éteindront de longtemps. Car je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus maintenant. La terreur à présent y règne, et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui, jusqu'à ce moment, n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

Paris, le 10 décembre 1816.

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à l'Académie, quand j'étais candidat. Cela m'eût | les religieuses, sans en avoir les mêmes raisons. mieux valu que tous les droits du monde, pour On tient assez généralement que les paysans sont avoir le fauteuil et pour garder mon bien. Il faut des hommes. De là à les traiter comme tels, il y en convenir, de trois sortes de gens auxquels j'ai a loin encore. Il se passera longtemps avant qu'on eu affaire depuis un certain temps, savants, juges, s'accoutume, dans la plupart de nos provinces, à ministres, je n'ai pu vraiment faire entendre voir un paysan vêtu, semer et recueillir pour lui; raison qu'à ceux-ci. J'ai trouvé les ministres in- à voir un homme de bien posséder quelque chose. comparablement plus amis des belles-lettres que Ces nouveautés choquent furieusement les prol'Académie de ce nom, et plus justes que la justice. priétaires; j'entends ceux qui pour le devenir Ceci soit dit sans déroger à mes principes d'op- n'ont eu que la peine de naître. position.

Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pourrait être meilleur. Nous dépendons d'un maire et d'un garde-champêtre qui se fâchent aisément. L'amende et la prison ne sont pas des bagatelles. Mais songez donc, Monsieur, qu'autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C'était la loi. Tout noble ayant tué un vilain devait jeter cinq sous sur la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s'exécutent guère, et la plupart du ❘ temps on nous tuait pour rien. Maintenant il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué pour seulement mettre en prison l'homme qui travaille, et les juges s'en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêté conforme au bon plaisir du maire et du préfet. Vous paraîtil, Monsieur, que nous avons peu gagné en cinq ou six cents ans? Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté; nous ne sommes plus qu'incarcérables. Est-ce assez, direz-vous? Patience; laissez faire; encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme je vous parle; nous pourrons lui demander de l'argent, s'il nous en doit, et nous plaindre, s'il nous en prend, sans encourir peine de prison.

Toutes choses ont leurs progrès. Du temps de Montaigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s'avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s'y attendait

pas,
et Montaigne qui le raconte. Ce manant de-
vinait les droits de l'homme. Il fut pendu, cela
devait être. Il ne faut pas devancer son siècle.

Sous Louis XIV, on découvrit qu'un paysan était un homme, ou plutôt cette découverte, faite depuis longtemps dans les cloîtres par de jeunes religieuses, alors seulement se répandit, et d'abord parut une rêverie de ces bonnes sœurs, comme nous l'apprend la Bruyère. Pour des filles cloîtrées, dit-il, un paysan est un homme. Il témoigne là-dessus combien cette opinion lui semble étrange. Elle est commune maintenant, et bien des gens pensent sur ce point tout comme

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LETTRE II.

PROJET D'AMÉLIORATION DE L'AGRICULTURE,
PAR J. BUJAULT,

AVOCAT A MELLE, DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES.

Brochure de cinquante pages où l'on trouve des calculs, des remarques, des idées dignes de l'attention de tous ceux qui ont étudié cette matière. L'auteur aime son sujet, le traite en homme instruit, et dont les connaissances s'étendent au delà. Il ne tiendrait qu'à lui d'approfondir les choses qu'il effleure en passant; plein de zèle d'ailleurs pour le bonheur public et la gloire de l'État, il conseille au gouvernement d'encourager l'agriculture. Il veut qu'on dirige ia nation vers l'économie rurale, qu'on instruise les cultivateurs, et il en indique les moyens. Rien n'est mieux pensé ni plus louable. Mais, avec tout cela, il ne contentera pas les gens, en très-grand nombre, qui sont persuadés que toute influence du pouvoir nuit à l'industrie, et qui croient gouvernement synonyme d'empêchement, en ce qui concerne les arts. Ils diront à M. Bujault: Laissez le gouvernement percevoir des impôts et répandre des grâces; mais, pour Dieu, ne l'engagez point à se mêler de nos affaires. Souffrez, s'il ne peut nous oublier, qu'il pense à nous le moins possible. Ses intentions à notre égard sont sans doute les meilleures du monde, ses vues toujours parfaitement sages, et surtout désintéressées; mais, par une fatalité qui ne se dément jamais, tout ce qu'il encourage languit, tout ce qu'il dirige va mal, tout ce qu'il conserve périt, hors les maisons de jeu et de débauche. L'Opéra, peut-être, aurait peine à se passer du gouvernement; mais nous, nous ne sommes pas brouillés avec le public. Laboureurs, artisans, nous ne l'ennuyons pas, même en chantant; à qui travaille, il ne faut que la liberté.

Voilà ce que l'on pourra dire, et que certaine ment diront à M. Bujault les partisans du libre

temps, et non prête à changer. Sans cela, qui peut dire jusqu'où s'élancerait le génie de l'invention? où atteindrait avec le temps l'industrie humaire, à laquelle Dieu sans doute voulut mettre des bornes, en la détournant vers cet art de se faire petit pour complaire, de s'abaisser, de s'effacer devant un supérieur, de s'ôter à soi-même tout mérite, toute vertu, de s'anéantir, seul moyen d'être quelque chose?

LETTRE IV.

MONSIEUR,

Véretz, 10 septembre 1819.

Quelqu'un se plaint, dans une de vos feuilles, que, sous prétexte de vacances, on lui a refusé

c'est; on l'a pris pour un de ces curieux, comme il en vient là fréquemment, qui ne veulent que voir des livres, et gênent les gens studieux. Ceuxci n'ont point à craindre un semblable refus, et la Bibliothèque pour eux ne vaque jamais. Aux autres on assigne certains jours, certaines heures, ordre fort sage; votre ami, pour peu qu'il

exercice de l'industrie. Mais les mêmes gens l'approuveront, lorsqu'il reproche aux oisifs, dont abondent la ville et la campagne, aux jeunes gens, et, chose assurément remarquable, aux grands propriétaires de terres, leur dédain pour l'agriculture, suite de cette fureur pour les places, qui est un mal ancien chez nous, et dont Philippe de Comines, il y a plus de trois cents ans, a fait des plaintes toutes pareilles. Ils n'ont, dit-il, souci de rien, parlant des Français de son temps, sinon d'offices et états, que trop bien ils savent faire valoir, cause principale de mouvoir guerres et rébellions. Les choses ont peu changé; seulement cette convoitise des offices et états (curée autrefois réservée à nobles limiers) est devenue plus âpre encore, depuis que tous y peuvent prétendre, et ne donne pas peu d'affaires au gouvernement. Quelque multiplié que paraisse aujour-l'entrée de la Bibliothèque du roi. Je vois ce que d'hui le nombre des emplois, qui ne se compare plus qu'aux étoiles du ciel et aux sables de la mer, il n'a pourtant nulle proportion avec celui des demandeurs, et on est loin de pouvoir contenter tout le monde. Suivant un calcul modéré de M. Bujault, il y a maintenant en France, pour chaque place, dix aspirants, ce qui, en supposant seulement deux cent mille emplois, fait un effectify veuille réfléchir, lui-même en conviendra. S'il de deux millions de solliciteurs actuellement dans les antichambres, le chapeau dans la main, se tenant sur leurs membres, comme dit un poëte1: accordons qu'ils ne fassent nul mal (ainsi la charité nous oblige à le croire ), ils pourraient faire quelque bien, et par une honnête industrie fuir les tentations du malin. C'est ce que voudrait M. Bujault, et qu'il n'obtiendra pas, selon toute apparence: l'esprit du siècle s'y oppose. Chacun maintenant cherche à se placer, ou, s'il est placé, à se pousser. On veut être quelque chose. Dès qu'un jeune homme sait faire la révérence, riche ou non, peu importe, il se met sur les rangs; il demande des gages, en tirant un pied derrière l'autre cela s'appelle se présenter; tout le monde se présente pour être quelque chose. On est quelque chose en raison du mal qu'on peut faire. Un laboureur n'est rien; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n'est rien. Un gendarme est quelque chose; un préfet est beaucoup; Bonaparte était tout. Voilà les gradations de l'estime publique, l'échelle de la considération suivant laquelle chacun veut être Bonaparte, sinon préfet, ou bien gendarme. Telle est la direction générale des esprits, la même depuis long

Régnier, Satires.

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m'en croit, qu'il retourne à la Bibliothèque, et, parlant à quelqu'un de ceux qui en ont le soin, qu'il se fasse connaître pour être de ces hommes auxquels il faut, avec des livres, silence, repos, liberté; je suis trompé, s'il ne trouve des gens aussi prompts à le satisfaire que capables de l'aider et de le diriger dans toutes sortes de recherches. J'en ai fait l'expérience; d'autres la font chaque jour à leur très-grand profit. Après cela, s'il a voyagé, s'il a vu en Allemagne les livres enchaînés, en Italie purgés, c'est-à-dire biffés, raturés, mutilés, par la cagoterie, enfermés le plus souvent, ne se communiquer que sur un ordre d'en haut, il cessera de se plaindre de nos bibliothèques, de celle-là surtout; enfin il avouera, s'il est de bonne foi, que cet établissement n'a point de pareil au monde, pour les facilités qu'y trouvent ceux qui vraiment veulent étudier.

Quant au factionnaire suisse qu'il a vu à la porte, ce n'étaient pas sans doute les administrateurs qui l'avaient placé là. Rarement les savants posent des sentinelles, si ce n'est dans les guerres de l'École de droit. Je ne connais point messieurs de la Bibliothèque assez pour pouvoir vous rien dire de leurs sentiments; mais je les crois Français, et je me persuade que, s'il dépendait d'eux, on ferait venir d'Amiens des gens pour éire

suisses, puisque enfin il en faut dans la garde | alors. Notre jurisprudence, nos lois sont prévôdu roi.

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Le hasard m'a fait tomber entre les mains une lettre d'un procureur du roi à un commandant de gendarmes. En voici la copie, sauf les noms que je supprime.

Monsieur le commandant, veuillez faire arréter et conduire en prison un tel, de tel endroit.

Voilà toute la lettre. Je crois, si vous l'imprimez, qu'on vous en saura gré. Le public est intéressé dans une pareille correspondance; mais il n'en connaît d'ordinaire que les résultats. Ceci est bref, concis; c'est le style impérial, ennemi des longueurs et des explications. Veuillez mettre en prison, cela dit tout. On n'ajoute pas: car tel | est notre plaisir. Ce serait rendre raison, alléguer un motif; et, en style de l'empire, on ne rend raison de rien. Pour moi, je suis charmé de ce petit morceau.

Quelqu'un pourra demander (car on devient curieux, et le monde s'avise de questions maintenant qui ne se faisaient pas autrefois), on demandera peut-être combien de gens en France ont le droit ou le pouvoir d'emprisonner qui bon leur semble, sans être tenus de dire pourquoi. Est-ce une prérogative des procureurs du roi et de leurs substituts? Je le croirais, quant à moi. Ces places sont recherchées; ce n'est pas pour l'argent. On en donnait jadis, on en donnait beaucoup pour être procureur du roi. Fouquet vendit sa charge dix-huit cent mille francs, cinq millions d'aujourd'hui, et elles coûtent à présent bien plus que de l'argent. Ce qu'achètent si cher d'honnêtes gens, c'est l'honneur (l'honneur seul peut flatter un esprit généreux), ce sont les priviléges attachés à ces places. En est-il en effet de plus beau, de plus grand que de pouvoir dire: Gendarmes, qu'on l'arrête, qu'on le mène en prison. Cela ne sent pas du tout le robin, l'homme de loi. On ne voit rien là dedans de ces lentes et pesantes formalités de justice que le cardinal de Retz reproche, avec tant de raison, à la magistrature, et qui, tant de fois, le firent enrager, comme lui-même le raconte.

Il ne se plaindrait pas maintenant tout a changé au delà même de ce qu'il eût pu désirer

tales; nos magistrats aussi doivent être expéditifs et le sont. Vite, tôt; emprisonnez, tuez; on n'aurait jamais fait s'il fallait tant d'ambages et de circonlocutions. Tout chez nous porte empreint le caractère de ce héros, le génie du pouvoir, qui faisait en une heure une constitution, en quelques jours un code pour toutes les nations, gouvernait à cheval, organisait en poste, et fonda, en se débottant, un empire qui dure encore.

Tout bien considéré, le parti le plus sûr, c'est de respecter fort les procureurs du roi, leurs substituts et leurs clercs; de les éviter, de fuir toute rencontre avec eux, tout démêlé; de leur céder non-seulement le haut du pavé, mais tout le pavé, s'il se peut. Car enfin, on le sait, ce sont des gens fort sages, qui ne mettent en prison que pour de bonnes raisons, exempts de passions, calmes, imperturbables, des hommes éprouvés sous le grand Napoléon qui, cent fois dans le cours de sa gloire passée, tenta leur patience et ne l'a point lassée. Mais ce ne sont pas des saints; ils peuvent se fâcher. Un mot avec paraphe, le commandant est là. Veuillez..... et aussitôt gendarmes de courir, prison de s'ouvrir; quand vous y serez, la Charte ne vous en tirera pas. Vous pourrez rêver à votre aise la liberté individuelle. Non, respectons les gens du roi, ou les gens de l'empereur, qui happent au nom du roi. C'est le conseil que je prends pour moi, et que je donne à mes amis.

Mais je me suis trompé, Monsieur, je m'en aperçois; ce n'est pas là toute la lettre du procureur du roi avec ce que je vous ai transcrit, il y a quelque chose encore. Il y a d'abord ceci : Le procureur du roi, à M. le commandant de la gendarmerie. Monsieur le commandant; et puis, j'ai l'honneur d'étre, Monsieur le commandant, avec considération, votre très-humble et trèsobéissant serviteur.

Le tout s'accorde parfaitement avec veuillez mettre en prison. Veuillez, c'est comme on dit : Faites-moi l'amitié, obligez-moi de grâce, rendezmoi ce service, à la charge d'autant. Je suis votre serviteur, cela s'entend. Il est serviteur du gendarme qui, au besoin, sera le sien; ils sont serviteurs l'un de l'autre contre l'administré qui les paye tous deux ; car l'homme qu'on emprisonne est un cultivateur. C'est un bon paysan qui a déplu au maire en lui demandant de l'argent. Celui-ci, par le moyen du procureur du roi, dont il est serviteur, a fait juger et condamner l'insolent vilain, que ledit procureur du roi, par son serviteur le gendarme, a fait constituer ès-pri

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sons. C'est l'histoire connue; cela se voit partout. Oh! que nos magistrats donnent de grands exemples! quelle sévérité! quelle exactitude scrupuleuse dans l'observation de toutes les formes de la civilité! Celui-ci peut-être oublie dans sa lettre quelque chose, comme de faire mention d'un jugement; mais il n'oubliera pas le trèshumble serviteur, l'honneur d'être, et le reste, bien plus important que le jugement, et tout, pour monsieur le gendarme. Au bourreau, sans doute, il écrit: Monsieur le bourreau, veuillez tuer, et je suis votre serviteur. Les procureurs du roi ne sont pas seulement d'honnêtes gens, ce sont encore des gens fort honnêtes. Leur correspondance est civile comme les parties de monsieur Fleurant. Mais on pourrait leur dire aussi comme le malade imaginaire: Ce n'est pas tout d'être civil, ce n'est pas tout pour un magistrat d'être serviteur des gendarmes; il faudrait être bon et ami de l'équité.

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Dans ces provinces, nous avons nos bandes noires, comme vous à Paris, à ce que j'entends dire. Ce sont des gens qui n'assassinent point, mais ils détruisent tout. Ils achètent de gros biens pour .es revendre en détail, et de profession décomposent les grandes propriétés. C'est pitié de voir quand une terre tombe dans les mains de ces gens-là; elle se perd, disparaît. Château, chapelle, donjon, tout s'en va, tout s'abîme. Les avenues rasées, labourées de çà, de là, il n'en reste pas trace. Ou était l'orangerie s'élève une métairie, des granges, des étables pleines de vaches et de cochons. Adieu bosquets, parterres, gazons, allées d'arbrisseaux et de fleurs; tout cela morcelé entre dix paysans, l'un y va fouir des haricots, l'autre de la vesce. Le château, s'il est vieux, se fond en une douzaine de maisons qui ont des portes et des fenêtres; mais ni tours, ni créneaux, ni ponts-levis, ni cachots, ni antiques souvenirs. Le parc seul demeure entier, défendu par de vieilles lois, qui tiennent bon contre l'industrie; car on ne permet pas de défricher les bois dans les cantons les mieux cultivés de la France, de peur d'être obligé d'ouvrir ailleurs des routes, et de creuser des canaux pour l'exploitation des forêts. Enfin, les gens dont je vous parle se peuvent nommer les fléaux de la propriété. Ils la brisent, la

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pulvérisent, l'éparpillent encore après la révolution, mal voulus pour cela d'un chacun. On leur prête, parce qu'ils rendent, et passent pour exacts; mais d'ailleurs on les hait, parce qu'ils s'enrichissent de ces spéculations; eux-mêmes paraissent en avoir honte, et n'osent quasi se montrer. De tous côtés on leur crie hepp! hepp! Il n'est si mince autorité qui ne triomphe de les surveiller. Leurs procès ne sont jamais douteux; les juges se font parties contre eux. Ces gens me semblent bien à plaindre, quelque succès qu'aient, dit-on, leurs opérations, quelques profits qu'ils puissent faire.

Un de mes voisins, homme bizarre, qui se mêle de raisonner, parlant d'eux l'autre jour, disait: Ils ne font de mal à personne, et font du bien à tout le monde; car ils donnent à l'un de l'argent pour sa terre, à l'autre de la terre pour son argent; chacun a ce qu'il lui faut, et le public y gagne. On travaille mieux et plus. Or, avec plus de travail, il y a plus de produits, c'est-à-dire plus de richesse, plus d'aisance commune, et, notez ceci, plus de mœurs, plus d'ordre dans l'Etat comme dans les familles. Tout vice vient d'oisiveté, tout désordre public vient du manque de travail. Ces gens donc, chaque fois que simplement ils achètent une terre et la revendent, font bien, font une chose utile; très-utile et très-bonne, quand ils achètent d'un pour revendre à plusieurs; car accommodant plus de gens, ils augmentent d'autant plus le travail, les produits, la richesse, le bon ordre, le bien de tous et de chacun. Mais lorsqu'ils revendent et partagent cette terre à des hommes qui n'avaient point de terre, alors le bien qu'ils font est grand, car ils font des propriétaires, c'est-à-dire d'honnêtes gens, selon Côme de Médicis. Avec trois aunes de drap fin, disaitil, je fais un homme de bien; avec trois quartiers de terre il aurait fait un saint. En effet, tout propriétaire veut l'ordre, la paix, la justice, hors qu'il ne soit fonctionnaire ou pense à le devenir. Faire propriétaire, sans dépouiller personne, l'homme qui n'est que mercenaire; donner la terre au laboureur, c'est le plus grand bien qui se puisse faire en France, depuis qu'il n'y a plus de serfs à affranchir. C'est ce que font ces gens.

Mais une terre est détruite; mais le château, les souvenirs, les monuments, l'histoire....... Les monuments se conservent où les hommes ont péri, à Balbek, à Palmyre, et sous la cendre du Vésuve; mais ailleurs l'industrie, qui renouvelle tout, leur fait une guerre continuelle. Rome elle-mème a détruit ses antiques édifices, et se plaint des Bar

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