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avec cet âne. A quoi lui bonnement, comme je | pour son procès lui être fait ; et moi, me dévapense, ne comprenant mot, le regardait sans lant tout ainsi qu'on m'avait guindé, ils me donrien répondre, ce que l'autre tint à mépris, se få-nent au soldat pour dédommagement. S'il en fut che et lui donne de son fouet. Le villageois sai-ri et brocardé, de mon apparition là-haut et de la sit mon homme, d'un croc-en-jambe le renverse, manière dont j'avais aidé à découvrir mon maître, l'étend au beau milieu du chemin, et le tenant il n'est jà besoin de le dire; on en fit le dicton sous soi terrassé, des pieds et des poings le meur- qui court: Guigne baudet à la fenêtre. trissait, et d'une grosse pierre qu'il trouva. Le soldat, du commencement, se défendait quoique abattu, et le menaçait de son épée, par où l'autre averti de ce qu'il devait craindre, lui tire l'épée du fourreau et la jette au loin, puis recommençait à le battre. Le soldat, se voyant en ce point, use de finesse, fait le mort. L'autre prit peur, quand il le vit ainsi sans mouvement, et, tout effrayé, le laisse là, monte sur moi, pique à la ville, emportant avec soi l'épée. A la ville venu, il avait un compère, lequel se chargea du jardin; et lui, de crainte des poursuites, se retire avec moi chez un autre sien compagnon et ami. Le lendemain, ayant délibéré entre eux, ce qu'ils trouvèrent de plus expédient pour mon maître, ce fut de le cacher dans un bahut. Quant à moi, on me lie les pieds, et à l'aide d'un bâton passé entre mes jambes, ils me portent à deux en une chambre haute, où l'on me tint enfermé.

Le soldat cependant, sur la route, ainsi que j'entendis depuis, s'étant relevé à toute peine, et acheminé vers la ville, moulu de coups et mal en point, fut rencontré de ses camarades, auxquels il raconte tout au long ce qui lui était avenu, et l'action désespérée de ce maraud de jardinier. Eux aussitôt prennent son parti, et ayant, je ne sais comment, découvert ou nous étions, y viennent accompagnés des magistrats du lieu et de leurs familiers, un desquels entré, fait sortir tout le monde de la maison; tout le monde dehors, le jardinier ne paraissait point. Soldats de crier qu'il est dedans, et gens de répondre que non, et d'affirmer avec serment n'y avoir céans homme ni❘ bète, âne ni mulet que ce fût. Grand débat làdessus, grands cris de part et d'autre, grande rumeur dans tout le quartier. Moi qui de mon grenier entendais ce vacarme, toujours sot, et toujours curieux mal à propos, j'avance la tête un bien petit hors de la fenêtre pour regarder en bas, et voir ce que c'était. Mais je ne sus si bien faire, qu'ils n'aperçussent mes oreilles, et me voyant, tous s'écrièrent, et par ainsi ceux du logis furent convaincus de mensonge. On entre alors, on fouille partout; mon maître fut trouvé par les gens de justice, tapi dans son bahut. Ils le prennent, l'emmènent, le mettent en prison,

Ce que devint après cela le pauvre jardinier, je ne sais. Mais le soldat qu'il avait battu me vendit dès le lendemain, et eut de moi cinq beaux écus. Celui qui m'acheta était le serviteur d'un homme merveilleusement riche et puissant, faisant sa demeure ordinaire à Thessalonique, ville principale de Macédoine; et voici quel était l'office de ce serviteur. Il préparait les mets particuliers du maître; et il avait un frère dans la même maison, esclave comme lui, excellent pâtissier, et de plus panetier, qui faisait le pain pour leur seigneur. Ces deux vivaient, logeaient ensemble, ainsi que bons frères, toute besogne faisaient en commun, tout profit partageaient entre eux. Ils m'installent en leur logis. Or, par le devoir de leur charge, ils assistaient aux repas du maître, et retournant en rapportaient force reliefs de toute façon, l'un de chair et de poisson, l'autre de tartes et de gâteaux, et laissant le tout à ma garde, s'en allaient au bain. Moi qui de si longtemps n'avais goûté pain ni viande, je quittais volontiers mon avoine pour faire honneur aux mets préparés par mes maîtres. Ils furent un temps qu'ils ne s'en donnèrent de garde rentrant au logis, et ne s'avisaient qu'il manquât chose de leur provision, à cause qu'il n'y paraissait guère sur la quantité, joint que j'usais de discrétion au commencement, et prenais de tout un peu; mais bientôt j'y fis moins de façon, m'assurant sur leur peu de soin; je choisissais le plus beau et le meilleur, dont je me bourrais à bon escient, comme s'il n'eût rien coûté, ce qui fit qu'ils s'en aperçurent et entrèrent en soupçon l'un contre l'autre, tant qu'ils en vinrent aux injures, s'appelant fripon, voleur, larron des communs profits, et de là en avant, tenaient compte de tout par le menu fort exactement.

Faisant si bonne chère, et vivant à mon aise, j'engraissais, et revins bientôt en meilleur point que jamais j'eusse été : rond, poli, le poil luisant; c'était plaisir de me voir; dont les deux frères s'étonnèrent, ne pouvant comprendre comment je me portais si bien, quand toute mon avoine restait dans la mangeoire, sans que jamais j'y touchasse. Ils se doutent du fait; et, pour s'en éclaicir, un beau jour font semblant de s'en aller au bain; mais ils demeurèrent derrière la porte en aguet,

d'où par quelque ouverture ils virent toute ma façon de faire; car n'ayant nul soupçon de l'embûche, dès que je les sentis dehors, je commençai mon repas. Eux d'abord se prennent à rire, voyant l'étrange parasite qui vivait à leurs dépens; puis appellent à ce spectacle leurs camarades; on accourt, et gens de rire et d'éclater, mais si haut et si fort le long des galeries, que le bruit en vint jusqu'au maître, qui voulut savoir ce que c'était; et comme on lui eut dit la chose, il se lève de table, vient, et entr'ouvrant quelque peu l'huis, me voit que j'entamais un morceau de sanglier. Ce fut à lui de rire pour lors. Il entre où j'étais, et croyez qu'il me déplaisait d'être ainsi surpris par le maître en flagrant délit de gourmandise et de friponnerie, bien qu'il ne s'en fit que gaudir et se tenir les côtés, le bon seigneur. Il voulut que tout sur-le-champ on me conduisît en la salle, où me fut servi sur la table de beaucoup et diverses choses que baudets n'ont coutume de manger, telles que potages, viandes, poissons, et ragoûts à toutes sauces. Moi qui voyais que fortune me commençait à sourire, ayant quelque espérance aussi, que ce qui d'abord n'était que jeu me pourrait devenir occasion de sortir de cette misère, encore que je vinsse de me bourrer, je me remis à manger comme si j'eusse été à jeun, au grand plaisir des spectateurs, dont les éclats de rire et les applaudissements remplissaient toute la salle. Quelqu'un même s'avisa de dire : Que ne lui verse-t-on du vin? Ce qui fut aussitôt fait par commandement du maître, et j'en avalai un bon trait sans me faire prier.

Le maître donc voyant en moi un animal rare et curieux, fit payer par son trésorier à celui qui m'avait acheté, deux fois ce que je lui coûtais, et me donna pour gouverneur un jeune homme sien affranchi, lequel eut charge de m'instruire et me montrer mille gentillesses pour divertir sa seigneurie, à quoi il n'eut pas grand'peine; car au moindre mot je faisais tout ce qu'on voulait. Il m'apprit à me tenir à table en grave personnage, modestement couché, appuyé sur le coude, à lutter bras à bras et danser avec lui, à faire signe de oui et de non, toutes choses pour lesquelles je n'avais pas besoin de leçons. Cela fit du bruit dans le pays; on ne parlait que de mes talents et de l'âne de monseigneur, qui mangeait à table, dansait, et faisait cent choses surprenantes. Mais ce qui plus les étonnait, c'est que je répondais par signe et toujours juste à leurs propos ayant soif, je demandais à boire, en clignant de l'œil à l'échanson; dont chacun demeurait ébahi et fai

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sait de grandes exclamations, ne se doutant pas qu'il y avait un homme caché dans cet âne; et moi je triomphais et me riais en moi-même de l'erreur de ces gens. On m'apprit aussi les allures les plus commodes pour le maître, quand il me chevauchait en voyage ou à la promenade. Il n'était mulet au pays qui allât l'amble mieux que moi. J'avais un fort bel équipage, et portais monseigneur en magnifique arroi; housse de pourpre brodée d'or, mors d'argent à bossettes d'or, têtière garnie de plaques d'or et de grelots, et de sonnettes qui sonnaient fort plaisamment.

Ce bon Ménéclès, notre maître, n'habitait pas, comme j'ai dit, d'ordinaire aux champs, mais s'y trouvait alors pour une telle occasion. Il avait promis à sa ville un spectacle de gladiateurs, et ces gladiateurs étant prêts et le temps venu de les montrer, il lui fallait s'en retourner à Thessalonique. Nous partimes donc un matin. Le maître me montait quand il se rencontrait quelque pas difficile ou dangereux aux voitures. Or, à notre entrée dans la ville, il n'y eut nul si empèché qui n'accourût pour me voir; car ma renommée me précédait, et chacun avait ouï parler des prodiges de mon adresse et de mon intelligence. Mon maître d'abord me fit voir privément chez lui aux personnes de distinction qu'il invitait exprès à des repas magnifiques, et dans ces grands jours de gala, j'étais la pièce principale dont il festoyait ses amis. Mais mon gouverneur me montrait à tout venant pour de l'argent, dont il acquit en peu de temps bonne somme de deniers. Il me tenait en une salle basse, n'ouvrant qu'à ceux qui lui donnaient certain prix pour me voir et être spectateurs de mes faits surprenants. Il n'en venait guère qui ne m'apportassent à manger de choses et autres, et surtout de ce qui semblait le moins convenir à un âne. Mangeant donc quasi tout le jour, et soupant chaque soir à table avec la meilleure compagnie, je ne pouvais manquer d'engraisser, comme je fis, et pris bientôt un embonpoint merveilleux, dont avint qu'une dame étrangère fort riche, de figure agréable, pour m'avoir une fois vu dîner, me trouvant le plus bel âne du monde, s'éprit pour moi de telle amour (touchée aussi, comme je crois, de ma gloire et de mes talents), qu'elle en perdait le repos, et délibérée à tout prix de satisfaire sa passion, vient parler à mon gouverneur, lui offrant tout ce qu'il voudrait, moyennant qu'elle pût passer avec moi une nuit; lui, sans autrement se soucier de ce qu'elle pourrait faire de moi, demande tant: marché fut fait, et le soir même,

revenant de souper avec le maître, nous la trou- | jeux qu'il devait donner, croyant faire chose vâmes qui m'attendait. On avait apporté pour elle force matelas et coussins mols et parfumés, des couvertures et des tapis, dont on nous fit un lit à terre; après quoi, tous ses gens sortirent et se couchèrent comme ils purent devant la porte de la chambre.

Elle, restée seule avec moi, d'abord allume une grande lampe dont la lueur éclairait partout. Puis debout près de cette lampe, s'étant dépouillée toute nue, elle prit de l'essence d'une certaine fiole, en versa sur soi, s'en oignit, et à moi aussi me parfuma le corps et le museau surtout d'une soëve odeur; puis me baisa, et me caressait avec pareil langage et toute telle façon comme si j'eusse été son amant. Enfin me prenant par ma longe, elle m'entraîne sur le lit. Je n'avais nulle envie de me faire prier, la voyant belle de tout point, avec ce que la bonne chère, et le vin vieux que je venais de boire, me rendaient assez disposé à la satisfaire; mais je ne savais comment m'y prendre, n'ayant touché femelle depuis ma métamorphose. Une chose encore me troublait; j'avais peur de la blesser, voire même de la tuer, qui eût été pour moi une fâcheuse affaire. Il ne me semblait pas que, fait comme j'étais, femme si gente et délicate me pût recevoir sans en mourir. Mais l'expérience me fit voir que je m'abusais; car emportée par ses désirs, elle s'étendit sous moi, et de ses bras me tirant à soi et se soulevant du corps, me mit dedans tout entier. Moi, pauvre, je craignais encore et me retirais bellement pour la ménager. Mais elle, tant plus je reculais, tant plus me serrait et s'enferrait de tout ce que je lui dérobais. A la fin donc, pour lui complaire (aussi que je pensais valoir bien, tout âne que j'étais, l'amant de Pasiphaé), la voulant servir à gré, je fus ébahi que je me trouvai petitement outillé pour la demoiselle, et connus que j'avais eu tort d'y faire tant de façons. J'eus assez affaire toute la nuit à la contenter, tant elle était amoureuse et infatigable au déduit. Sitôt qu'il fit jour, elle se leva et partit, étant convenue du même prix pour les autres nuits.

Mon gouverneur, par tel moyen, s'enrichissait; et un jour, ainsi que j'étais enfermé avec cette femme, voulant faire sa cour au maître, il lui va dire qu'il avait quelque chose à lui montrer, un tour de plaisant exercice qu'il m'avait appris, disait-il; lui conte ce que c'était, et l'amène sans bruit à la porte, d'où, par une fente, il nous vit moi et ma belle couchés ensemble. Cela lui parut singulier. Si pensa d'en tirer parti pour les

agréable à tous ses concitoyens, s'il les régalait de ce spectacle. Dans ce dessein, il recommande le secret à ses gens, leur fait expresses défenses d'en parler à qui que ce fût; afin que nous puissions, dit-il, au jour de la fête, le produire sur le théâtre avec quelque femme condamnée, et qu'il la caresse aux yeux de toute l'assemblée, qui en verra l'ébattement. Peu après, on m'amène une femme condamnée aux bêtes, à laquelle on dit de me parler et de me toucher, pour d'abord nous accoutumer l'un à l'autre; et finalement venu le jour des magnificences de mon maître, ils délibérèrent et conclurent de me faire paraître au théâtre en cette façon.

Il y avait un fort grand lit d'écaille de tortue de l'Inde, tout incrusté d'or, sur lequel on me fit monter et me coucher la femme avec moi; et puis on nous plaça, âne, femme, lit et tout, sur une machine qui, à force d'engins et de poulies, en moins de rien nous transporta au beau milieu de l'assemblée. Ce ne fut qu'un cri, quand je parus, de tous les endroits du théâtre, et des applaudissements sans fin. Un couvert somptueux était dressé près de nous, où bientôt nous fûmes servis de tout ce dont gens délicats ont accoutumé de dîner: valets de tous côtés, écuyers pour trancher, beaux, jeunes échansons pour nous verser à boire dans des coupes de fin or. D'abord mon gouverneur, qui était là présent, me commanda de manger. Mais moi, je n'en voulus rien faire, de honte que j'avais de tant de monde et d'être à table en plein théâtre; aussi que j'appréhendais fort qu'il ne saillit de quelque part un ours, un tigre ou autre bête. Comme j'étais en cette peine, quelqu'un passe portant des couronnes et guirlandes de toutes sortes de fleurs, et des roses fraîches parmi; ce que je ne vis pas plutôt, que je me jette au bas du lit. On crut que j'allais danser; mais m'approchant de ces fleurs, je commence à choisir entre toutes, et trier une à une les roses les plus belles, et en broutais les feuilles à mesure, lorsqu'aux yeux des assistants qui me regardaient étonnés, ma forme extérieure d'animal se va perdant peu à peu, et enfin disparaît du tout; si bien qu'il n'y avait plus d'âne, mais à sa place Lucius nu comme quand il vint au monde.

Dire le bruit qui se fit lors, et combien ce changement surprit toute l'assemblée, ne serait pas chose facile. On s'émeut, chacun parle ainsi qu'il l'entendait. Les uns me voulaient brûler vif tout sur-le-champ comme sorcier, monstre de

tu ne fus jamais, dit-elle, l'ânon que j'aimai d'amour, avec qui j'ai passé tant de si douces nuits; ou si c'est toi, que n'en as-tu gardé telles enseignes à quoi je te pusse connaître ? C'était bien la peine de changer pour te réduire en ce point, et le beau profit pour moi d'avoir un pareil magot au lieu de ce tant plaisant et caressant animal. Cela dit, elle appelle ses gens qui m'emportent, l'un par les pieds, l'autre par les épaules, et me laissent au milieu de la rue, tout nu, tout parfumé, fleuri, en galant qui ne m'attendais guère à coucher cette nuit sur la dure. L'aube commençant à poindre, nu, je m'en cours au vaisseau où je trouvai mon frère, et le fis rire du récit de mon aventure. Nous mîmes à la voile par un vent favorable, et en peu de jours vinmes au pays sans nulle fâcheuse rencontre. Je sacrifiai aux dieux sauveurs et fis les offrandes d'usage pour mon heureux retour, étant à grand'peine recous, non de la gueule du loup, comme on dit, mais de la peau de l'âne, où m'avait emprisonné ma sotte curiosité'.

NOTES.

qui l'apparition pronostiquait quelque malheur; d'autres étaient d'avis de m'interroger d'abord, pour voir ce que je pourrais dire, et décider après cela ce qu'il faudrait faire de moi. Cependant je m'avance vers le préfet de la province, qui d'aventure était venu voir l'ébattement des jeux, et lui conte d'en bas au mieux qu'il me fut possible, comme une femme de Thessalie, en me frottant de quelque drogue, m'avait fait åne devenir, le suppliant de me vouloir garder en prison, tant que par enquête il eût pu savoir la vérité du fait; et le préfet Dis-nous un peu ton nom, tes parents, ton pays; il n'est pas que tu n'aies quelque part des amis qu'on puisse connaître? Je lui répondis, et lui dis : Mon nom à moi est Lucius, et celui de mon frère Caïus, et avons commun le surnom, tous deux auteurs connus par différents ouvrages. J'ai écrit des histoires; il a composé, lui, des vers élégiaques, étant avec cela bon devin; et sommes de Patras d'Achaïe. Ce qu'entendant le magistrat : Vraiment, dit-il, tu es né de gens qui, de tout temps, me furent amis et mes bons hôtes, qui plus est, m'ayant reçu et festoyé chez eux en toute courtoisie, et suis témoin que tu dis vrai, te connaissant bien pour leur fils. Cela dit, il se lève, m'embrasse, et me mène en son logis, me faisant caresses infinies; et cependant arrive mon frère qui m'apportait hardes, argent et tout ce dont j'avais besoin. Le préfet, en pleine assemblée, me déclara franc et libre. J'allai avec mon frère au port, où nous louâmes un bâtiment, et fimes nos provisions pour retourner au pays. Mais avant de partir, je voulus visiter cette dame qui m'avait tant aimé lorsque j'étais âne, dans la pensée qu'homme elle m'aimerait davan-hujusmodi tibi præcepta tradi, in quibus mihi obtemperes tage encore. J'allai donc chez elle, qui fut aise de me voir, prenant plaisir, comme je crois, à la bizarrerie de l'aventure. Elle me convie à souper avec elle et passer la nuit, à quoi volontiers je consentis, ne voulant pas faire le fier ni méconnaître mes amis du temps que j'étais pauvre bête. Je soupe le soir, parfumé, couronné de cette chère fleur qui, après Dieu, m'avait fait homme, et ainsi faisions chère lie. Le repas fini, quand il fut heure de dormir, je me lève, me déshabille et me présente à elle triomphant, comme certain de lui plaire plus que jamais ainsi fait. Mais quand elle me vit tout homme de la tête aux pieds, et que je n'avais plus rien de l'âne : Vat'en, me dit-elle, va, crachant sur moi dépitée; sors de ma maison, misérable, que je ne t'en fasse chasser. Va coucher où tu voudras. Et moi tout étonné demandant ce que j'avais fait : Non,

(1) Tùm subnixa genibus, in lecto prona : Age tu, luctator, mediam corporis partem valenter aggressus percute, vulnusque adige profundiùs. Nudam vides, utere promptiùs, injice introrsiùs telum, deindè introrsiùs flectes iterùm impellens, absconde et comprime, nee quicquam huic certa. mini adjicias intervalli. Cave autem ne citiùs quàm jusserim telum extrahas; sed incurvans adversarium insequere : quo prostrato rursùs certamini incumbe, quoàd lassus victusque deficias, et sudore sis madefactus. Ego in risum effusus: Vellem, magistra, inquam, à me quoque aliqua

velim. Sed jam te erige; poneque sedens datâ dextrâ mihi reconcilieris : nam tempus est jam dormiendi.

Voici comment ce morceau est traduit dans l'édition de Belin de Balu:

<< Elle tombe aussitôt sur les siens (ses genoux) en s'ar<< rangeant sur le lit, et me tourna le dos. « Ça, beau lutteur, me dit-elle, vous voilà en présence, préparez-vous

a

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<< au combat, avancez; portez-vous encore plus avant. « Vous voyez votre adversaire nu, ne l'épargnez pas; et d'abord il est à propos de l'enlacer fortement; ensuite il << faut le pencher, fondre sur lui, tenir ferme, et ne laisser « aucun intervalle entre vous deux. S'il commence à lâcher prise, ne perdez pas un moment; enlevez-le et tenez-le << en l'air en le couvrant de votre corps, et continuant de le harceler; mais surtout ne vous retirez pas en arrière

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« avant que vous en ayez reçu l'ordre; courbez son dos « en voûte; contenez-le par-dessous; donnez-lui de nouveau « le croc-en-jambe, afin qu'il ne vous échappe pas; tenez« le bien, et pressez vos mouvements: lâchez-le, le voilà « terrassé, il est tout en nage. » Je partis d'un grand éclat << de rire, puis je repris : « Notre maître, il me prend fantaisie

Voyez note 2.

« de vous prescrire à mon tour quelque petit exercice. Son■ gez à m'obéir ponctuellement. Relevez-vous, et asseyez« vous; avancez une main officieuse; caressez-m'en légèrement, et promenez-la sur moi; enlacez-moi bien, et « faites-moi tomber dans les bras du sommeil. »

Ce morceau et les précédents sont d'autant plus intéres sants, que presque tous les termes techniques de la lutte et du pugilat s'y trouvent rassemblés. Malheureusement le texte n'est pas venu très-pur jusqu'à nous.

(2) L'invention de cette fable charmante est due à Lucius de Patras; c'est de lui que Lucien paraît l'avoir empruntée. Cependant Photius, dans sa Bibliothèque, Cod. cXXIX, pag. 310, doute si ce n'est pas au contraire Lucius qui a pris de Lucien le sujet de ses Métamorphoses; car on ne sait lequel de ces deux écrivains a vécu le premier : mais il y a lieu de croire, ainsi que l'observe le savant patriarche, que Lucien n'a fait qu'abréger le récit élégant, mais souvent trop diffus, de Lucius. Que serait-ce si ni l'un ni l'autre

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n'était le véritable auteur de cette fiction, et que nous eussions, sous le titre de l'Ane, une de ces agréables fables milésiennes dont la lecture avait tant d'attrait pour Aristide, et qui étaient estimées des anciens comme un chef-d'œuvre de narration! Deux réflexions pourraient rendre cette opinion probable. Apulée, au commencement de son Ane d'Or, insinue que ce sujet est une fable milésienne; et si l'on considère le style dont la fable attribuée à Lucien est écrite, on sentira qu'il diffère essentiellement de celui de cet auteur, par une simplicité touchante et une naïveté qui décèlent plutôt les premiers siècles littéraires de la Grèce, que celui des Antonins. Quoi qu'il en soit, ce sujet a paru si heureux que, depuis Lucien, d'autres auteurs l'ont encore employé avec succès. Apulée en a fait la base de son roman; et, sans parler des Italiens, et de l'Asino d'Oro de Machiavel, chez nous l'ingénieux auteur de Gilblas en a tiré l'épisode de la Caverne des Voleurs, qui n'est pas le moins piquant de son ouvrage.

LES PASTORALES DE LONGUS,

OU

DAPHNIS ET CHLOÉ.

PREFACE'.

La version faite par Amyot des Pastorales de Longus, bien que remplie d'agrément, comme tout le monde sait, est incomplète et inexacte; non qu'il

ait eu dessein de s'écarter en rien du texte de l'auteur, mais c'est que d'abord il n'eut point l'ouvrage grec entier, dont il n'y avait en ce temps-là que des copies

fort mutilées. Car tous les anciens manuscrits de

Longus ont des lacunes et des fautes considérables, et ce n'est que depuis peu qu'en en comparant plusieurs, on est parvenu à suppléer l'un par l'autre, et à donner de cet auteur un texte lisible. Puis, Amyot, lorsqu'il entreprit cette traduction, qui fut de ses premiers ouvrages, n'était pas aussi habile qu'il le devint dans la suite, et cela se voit en beaucoup d'endroits où il ne rend point le sens de l'auteur, partout assez clair et facile, faute de l'avoir entendu. Il y a aussi des passages qu'il a entendus et n'a point voulu traduire. Enfin, il a fait ce travail avec une grande négligence, et tombe à tous coups dans des fautes que le moindre degré d'attention lui eût épargnées. De sorte qu'à vrai dire, il s'en faut beaucoup qu'Amyot ait donné en français le roman

Voir, page 363 la lettre à M. Renouard, et toute la polé mique au sujet de la découverte du fragment; voir aussi la Correspondance à cette époque.

de Longus; car ce qu'il en a omis exprès, ou pour ne l'avoir point trouvé daus son manuscrit, avec fait ce qu'il a mal rendu par erreur ou autrement, dont sa version ne représente que certaines parties, en somme plus de la moitié du texte de l'auteur, des phrases, des morceaux bien traduits parmi beaucoup de contre-sens, et quelques passages rendus avec tant de grâce et de précision, qu'il ne se peut rien de mieux. Aussi s'est-on appliqué à conserver avec soin dans cette nouvelle traduction jusqu'aux moindres traits d'Amyot conformes à l'original, en suppléant le reste d'après le texte tel que nous l'avons aujourd'hui, et il semble que c'était là tout ce qui se pouvait faire. Car de vouloir dire en d'autres termes ce qu'il avait si heureusement exprimé dans sa traduction, cela n'eût pas été raisonnable, non plus que d'y respecter ces longues traînées de langage, comme dit Montaigne, dans lesquelles croyant développer la pensée de son auteur, car il n'eut jamais d'autre but, il dit quelquefois tout le contraire, ou même ne dit rien du tout. Si quelques personnes toutefois n'approuvent pas qu'on ose toucher à cette version, depuis si longtemps admirée comme un modèle de grâce et de naïveté, on les prie de considérer que, telle qu'Amyot l'a donnée, personne ne la lit maintenant. Le Longus d'Amyot, imprimé

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