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l'avait vouée aux flammes; il en voulait faire le bûcher de Napoléon. L'empereur, averti que l'incendie est préparé, ne peut croire à tant de barbarie; il cherche à se faire illusion, il s'écrie: . « Je suis donc enfin dans l'antique palais des czars, dans le Kremlin! » Dans la nuit du 44 au 45, des globes de feu, des obus, signal de ruine, s'abattent sur les palais. Mortier lutte tout le jour contre la fournaise que protégent les toits de métal. La nuit suivante, la flamme gagne le Kremlin qui est miné; Napoléon s'en laisse à grand'peine arracher : « Quel effroyable spectacle! ce sont euxmêmes! Tant de palais! quels hommes! ce sont des Scythes! » Ainsi s'exhalaient son trouble et sa rage. « Le lendemain, toute cette cité lui parut une vaste trombe qui s'élevait jusqu'au ciel et le colorait fortement. Moscou avait été le but de toutes ses espérances, et Moscou s'évanouissait. »> .(Ségur.) Quittera-t-il l'ombre de sa conquête? Il rentre au Kremlin. Autour de lui, dans les décombres fumants, ses soldats déterrent des vases d'argent et d'or, des richesses corruptrices; et ce pillage, rompant la discipline, accumulant sur des charrettes sans nombre le butin et les provisions, embarras de la retraite, prépare les catastrophes prochaines.

Atterré par les difficultés formidables de cette guerre barbare, Napoléon offre la paix au czar; après avoir attendu un mois une réponse à ses ouvertures, tourmenté par ses maréchaux, il se décide à la retraite. Mais, « appréciant toute la force qu'il tire du prestige de son infaillibilité, il frémit d'y porter une première atteinte. » Il eut voulu, ou marcher sur Pétersbourg, ou se retirer vers Riga, par des pays qui jusqu'alors n'ont pas été dévastés; il a encore une belle armée de cent mille hommes, capable d'hiverner en Courlande et dans la vieille Russie. Rien ne serait perdu, et le printemps verrait la fin de la guerre. Mais ses généraux veulent regagner en toute hâte Smolensk et Wilna.

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Les conjonctures sont graves. Le czar, épouvanté d'abord par la perte de Moscou, se relève et s'écrie: « Point d'abattement pusillanime! Jurons de redoubler de persévérance! » Et les dons, les recrues abondent. « L'ennemi, dit-il encore, est dans Moscou déserte comme dans un tombeau; il n'a dans Moscou que des débris; il est au centre de la Russie, et pas un Russe n'est à ses pieds! Cependant nos forces s'accroissent et l'entourent... Reculerons-nous quand l'Europe nous encourage de ses regards? » Les Russes attendaient de moment en moment «leur allié naturel et le plus terrible », l'hiver; ils nous plaignaient : « Dans quinze jours, disaient-ils, vos ongles tomberont, vos armes s'échapperont de vos mains. N'avezvous pas chez vous assez de blé, assez d'air, assez de tombeaux? » Kutusof s'est placé entre Moscou et Smolensk; Wittgenstein opere sur la Dwina, et Tchitchakof menace Minsk que l'Autrichien Schwarzenberg abandonne. La victoire d'Eugène

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å Malojaroslawetz (25 octobre), le combat de Wiasma (3 novembre), ouvrent les portes de Smolensk; on y meurt de faim comme sur la route. Déjà le froid se fait sentir. « L'armée marche enveloppée de vapeurs» qui s'épaississent; « bientôt c'est un nuage qui fond sur elle en gros flocons de neige. Il semble que le ciel descende et se joigne à cette terre et à ces peuples ennemis pour achever notre perte.» Les bivouacs sont mortels. On tombe pour ne plus se relever; « de légères éminences indiquent seulement les corps que la neige recouvre; ceux qui survivent ne reconnaissent plus de chefs, et abandonnent même l'instinct de leur conservation. « Le Dnieper glacé ne peut arrêter l'ennemi; Kutusof et Wittgenstein nous débordent; Minsk est pris, et l'hetman Platow lance sur nos blessés et nos traînards ses nuées de Cosaques. Et cependant, sous le givre traversé de boulets, Napoléon marche, étonnant l'ennemi par sa ferme attitude. « Et les Pyramides, Marengo, Austerlitz, Friedland, une armée de victoires», semblaient s'élever entre lui et les Russes; ils n'osaient aborder celui que leur seule masse eût écrasé. Des retours offensifs autour de Krasnoï dégagérent Eugène et Davoust; mais force nous fut d'abandonner Ney à son héroïsme.

Il faut, pour gagner Wilna, passer la Bérésina à Borisow, où les trois armées russes se concentrent. Napoléon n'arrive à la fatale rivière qu'après de glorieux faits d'armes; il trompe l'ennemi, et passe à Studzianka (27 novembre), sur des ponts Jetés à la hâte par lé général Éblé. Victor est encore sur la rive gauche et lutte toute la journée du 28. Cependant Ney, sur la rive droite, garde les tètes de pont, et bat Tchitchakof; le 29, les débris de la grande armée ont franchi la Bérésina. Comment énumérer les actions infames et sublimes qui signalèrent ces journées, l'abattement et la terreur des uns, la furie des autres, le tumulte des cris de femmes, les sifflements d'obus, les ponts écroulés, l'informe cohue des malades mordant les pieds qui les écrasent? Sur quatre-vingt mille hommes, environ soixante mille furent sauvės.

Napoléon, comptant sur les ressources de Wilna et sur la fermeté de ses lieutenants, laisse l'armée à Murat et court à Paris (5-48 décembre) pour rassurer la France et préparer la lutte. Partout, au dedans comme au dehors, son empire est ébranlé; si la singulière tentative de Mallet qui, sur le seul bruit de sa mort, a pu faire arrêter les ministres et failli renverser son trône, lui démontre la faiblesse de son établissement dynastique, la défaite de Marmont aux Arapiles livre l'Espagne aux Anglais. Sa présence à Paris est donc nécessaire; mais elle eût été utile en Lithuanie. Il le sentait lui-même : « Je me serais, disait-il, arrêté sur le Niémen.» Murat recula en désordre jusqu'à la Vistule et déserta son poste. Eugène, qui lui succéda, sut relever les courages, mais n'en dut pas moins rétrograder jusqu'à Berlin (21 février 1813).

Les récriminations abondent sur cette triste campagne, où deux cent mille hommes restèrent morts ou prisonniers. On accuse Napoléon d'avoir provoqué la guerre, perdu trois mois à Paris, à Wilna, à Moscou, hésité dans sa marche et quitté son armée. On doit aussi accuser le czar d'avoir rompu l'alliance. La disette, le manque d'approvisionnements, la trahison de Bernadotte, les conseils des maréchaux, le découragement de Murat, ont causé les retards et les désastres. A ne considérer que la force d'âme et la gloire, Napoléon est sorti

grand de la Bėrėsina, et avec lui Ney, Davoust, Eugene, Poniatowski; mais « son génie, en voulant s'élever au-dessus du temps, du climat, des distances, s'est comme perdu dans l'espace. Quelque grande que soit sa mesure, il a été au delà.» (Ségur.) Suivons-le maintenant dans sa chute, dont tous les degrés sont marqués d'une victoire.

La Prusse, la Russie, la Suède et l'Angleterre ont signé (28 février-3 mars) des traités d'alliance, et l'Autriche offre sa médiation armée; il

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est temps d'arrêter la coalition sur l'Elbe. « Quelque lourd que paraisse le fardeau de la guerre, quelle que soit l'impopularité d'entreprises gigantesques renouvelées chaque année... l'honneur national se réveille... les armées semblent sortir de terre.» (Marmont.) Napoléon joint dans les plaines de la Saale les débris de la grande armée et marche vers Leipsig. Le 2 mai, Blücher et Wittgenstein attaquent son flanc droit à Lutzen; mais les conscrits, que sa présence anime, supportent tout l'effort de l'ennemi jusqu'au retour d'Eugène et de Macdonald engagés vers Leipsig; alors la jeune garde décide la victoire. L'Elbe est

D'après Langlois.

encore à nous, et le soir l'empereur dit à Duroc : « Je suis de nouveau le maître de l'Europe. » Il atteint les alliés sur la Sprée à Bautzen (20 mai); le lendemain, à Würtschen, une vive attaque sur leur extrême gauche donne le temps à Ney de tourner et d'enfoncer leur droite. La Saxe, la Silésie, la Prusse jusqu'à l'Oder, sont le prix de la victoire.

Les alliés épouvantés ont besoin d'un armistice pour reprendre haleine. «Tout bouillait en Prusse; mais le gouvernement avait à peine eu trois mois pour mettre en œuvre ses ressources; l'Autriche faisait ses préparatifs pour devenir modératrice et

juge suprême des débats.» (Marmont.) Napoléon, qui devrait écraser ses ennemis, a la folie d'accéder à leurs prières, à condition qu'un congrès ouvert à Prague (5 juillet) préparera la paix générale. En croyant retirer à l'Autriche tout prétexte de récriminations, il ne fait que lui donner le temps d'armer; le concours de l'Angleterre, qui depuis le 45 juin soudoie la Prusse et la Russie, la funeste journée de Vittoria (24 juin), qui accule Joseph aux Pyrénées, décident François à déclarer la guerre; hypocrite, à qui l'espoir arrache cette mauvaise plaisanterie : « Le chaud est aussi contraire à mon gendre que le froid. » Le nombre des ennemis grossit, celui des amis décroit; Bessières et Duroc ont été emportés par le canon. L'heure des trahisons est proche en combattant la France, Bernadotte met le sceau à son infamie, et Moreau perd le peu qui lui reste de gloire.

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Néanmoins Napoléon va lutter avec deux cent mille hommes contre six cent mille. Il oppose Oudinot à Bernadotte qui opère vers Berlin, repousse lui-même Blücher et Sacken en Silésie (21-23 août), et, laissant Macdonald pour les contemir, revient à Dresde, où déjà Schwarzenberg assiége le roi de Saxe (26 août). Il entre dans la ville, et quand les masses ennemies atteignent les murs, il lance par les portes soudainement ouvertes les bataillons de la garde, arrache la victoire à ceux qui croyaient la tenir, pousse devant lui les deux empereurs et le roi de Prusse, et tente de leur couper la route de Bohème à Toeplitz (26-28 août). Mais la fièvre l'arrête, et les défaites de Vandamme à Kulm, d'Oudmot et de Ney à GrossBeeren et Dennevitz, de Macdonald en Silésie, annulent les grandes promesses de la bataille de Dresde. « Il n'est pas tranquille sur l'issue de la campagne : « L'échiquier est bien embrouillé, dit» il à Marmont; il n'y a que moi pour s'y recon» naître. » Blücher et Schwarzenberg sont arrêtés encore sur le haut Elbe et la Sprée; mais Bernadotte, vainqueur d'Oudinot et de Ney, tourne notre gauche, Benningsen le soutient.

Quand Napoléon veut porter la guerre à Berlin et ramener par un coup hardi la coalition en arrière, les cris des maréchaux, et la défection du Wurtemberg et de la Bavière, paralysent son audace. Blücher et Schwarzenberg menacent Leipsig; il court à eux, les bat toute une journée (16 septembre) et propose la paix; mais le lendemain paraissent Bernadotte et Benningsen. Cent mille Français, cernés par trois cent mille hommes et quinze cents canons, vont triompher du nombre, quand la défection soudaine des Saxons les réduit à la défensive. Les alliés ont perdu quatreVingt-dix mille hommes en trois jours. Ils se lassent; mais le manque de munitions force Napoléon à la retraite. Rien n'était perdu encore, si une mine trop tôt allumée n'avait fait sauter le pont de l'Elster. Poniatowski se noya, et quinze mille hommes furent pris dans Leipsig après une résistance acharnée (19 septembre). Il ne restait

plus qu'à regagner le Rhin; les Bavarois, qui nous barraient le passage à Hanau, furent taillés en pièces (30 septembre), et l'armée atteignit Mayence. «Mais sur soixante mille hommes qui restaient, vingt mille avaient jeté leurs armes, marchant, un bâton à la main, par groupes de huit ou dix sur le flanc des colonnes et pour leur compte. On les appela les fricoteurs. » Les garnisons de Dresde, Magdebourg, Torgau, Dantzig, environ cent vingt mille hommes, paralysées par l'incertitude de leurs chefs et le soulèvement des populations, se rendirent dans les six semaines et furent traitées en prisonnières de guerre.

CAMPAGNE DE FRANCE. LES CENT-JOURS.

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L'empereur, accueilli par les corps de l'État avec la servilité accoutumée, ne leur cacha pas la gravité des circonstances : Il y a un an, dit-il, l'Europe marchait avec nous; l'Europe marche aujourd'hui contre nous. » Ce noble aveu n'émut pas les fonctionnaires, gagués par Talleyrand, et ne désarma pas l'hostilité légitime des esprits éclairés, las de guerre et de servitude. Toutefois quelques citoyens qu'avait éloignés l'absolutisme impérial se rapprochèrent de Napoléon, entre autres Carnot, qui ne vit plus en lui que le soldat de la France. La nation, harassée, décimée, épuisée, aurait défendu ses foyers, si Napoléon l'eût armée; il se contenta de lui demander ses derniers enfants pour une campagne suprême. Mais il n'avait plus foi dans un triomphe complet; car il relacha Ferdinand VII et le pape. Tout en reprochant au Corps législatif son opposition « intempestive», il accéda, pour respecter la douleur et la lassitude publiques, aux conditions offertes à Francfort par Metternich (2 décembre); bien plus dures que les propositions de Prague, elles n'étaient encore qu'un piége de la coalition. Dès que la maison d'Orange fut rentrée en Hollande, que Wellington eut franchi les Pyrénées, et que Murat, « roi de deux jours », s'alliant à l'Autriche, marcha contre Eugène, il ne fut plus question de paix. Un million d'hommes passèrent le Rhin et les Alpes (janvier 4844). Dans ces circonstances, le Corps législatif, sous l'influence de Laîné, eut une velléité d'opposition. Napoléon crut devoir le dissoudre (1er janvier). « J'avais besoin de consolations... Vous avez voulu me couvrir de boue!... Était-ce par de pareils reproches que vous prétendiez relever l'éclat du trône? Au reste, qu'estce que le trône? quatre morceaux de bois dorés, couverts d'un morceau de velours! Le trône est

dans la nation; on ne peut me séparer d'elle sans lui nuire. N'ètes-vous pas contents de la constitution? il y a quatre ans qu'il fallait en demander une autre, ou attendre deux ans après la paix ! (Thibaudeau.)

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Quelle digue opposer au torrent de l'mvasion? Napoléon n'a pas en tout deux cent mille combattants. I confie le Midi à Soult, Suchet, En

gène; la Belgique à Maison, Anvers à Carnot. Lui-même luttera, au cœur de la France, contre Schwarzenberg, qui de Langres marche vers Barsur-Aube, et contre Blücher, qui manœuvre entre l'Aisne et la haute Seine.

Il se porte, le 25 janvier, à Châlons, remonte la Marne, bat les Russes à Saint-Dizier (27), retombe sur les Prussiens à Brienne (29), mais n'empêche pas la jonction des deux grandes armées ennemies; la bataille indécise de la Rothière le rejette à Nogent-sur-Seine (1er février). Un tel échec influe sur les résolutions du congrès ouvert à Châtillon (4-8 février): la coalition ne veut

laisser à la France que ses limites anciennes. Mais la retraite de Soult sur Toulouse, de Maison sur les places frontières, ne peut décider Napoléon à diminuer l'héritage de la république. Il ne désespère pas; ses ennemis se sont séparés pour descendre, l'un la Marne, l'autre la Seine. Il se Jette sur Blücher, le bat, lui ou ses lieutenants, à Champ-Aubert, Montmirail, Château-Thierry, Vauxchamps, lui tue vingt mille hommes, et le chasse au loin (40-44 février). Les progrès de Schwarzenberg, qui, par Nogent, Bray, Fontainebleau, se dirigeait vers Paris, le rappellent en arrière. Des combats heureux à Mormant, Nangis,

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Donnemarie, rejettent les rois alliés sur Troyes; la bataille meurtrière de Montereau, où l'empereur pointa lui-même les canons, achève la dispersion. La tactique des ennemis consiste désormais à attirer Napoléon et à l'éviter. Blücher, qui a réuni soixante mille hommes, feint une diversion pour sauver Schwarzenberg, qui se retire sur Chaumont; sur le point d'être atteint à la Fertésous-Jouarre, il se dérobe vers Soissons. Égaré entre l'Aisne et la Marne, harcelé par Mortier et Marmont, il est perdu s'il ne trouve un refuge; Soissons, occupé par un lieutenant de Bernadotte, le recueille et le sauve. Depuis deux jours, la

faiblesse d'un général et la fatalité avaient livré la place aux alliés. « La reddition de Soissons est le véritable moment de crise. La fortune abandonna ce jour-là Napoléon; car ce n'était pas trop lu demander que de conserver deux jours un point en état suffisant de défense. » (4 mars.)

La victoire de Craonne (7) rend Soissons à Napoléon, mais épuise ses forces, il perd la bataille de Laon. Cependant, maître encore de l'Aisne, il délivre Reims par un brillant combat, et court à Schwarzenberg en marche de Troyes à Provins; sa seule présence le met en funte (17-19). Une terreur panique emporta l'empereur d'Autriche

jusqu'à Dijon; le czar blanchit d'épouvante. Mais les alliés se comptent et se rassurent; rompant le congrés de Châtillon, ils se décident à marcher en masse sur Paris. En allant joindre à Châlons Blücher, Schwarzenberg fut attaqué à Arcis-surAube par la petite armée française; l'affaire fut chaude Napoléon tira l'épée, et, de désespoir, lança son cheval sur un obus. Après une bataille de deux jours, il fut contraint de repasser l'Aube en brûlant les ponts.

Les dix jours suivants furent sans doute les plus amers de sa vie. Ses projets hardis ne soulevèrent autour de lui que des murmures. S'il eût été appuyé, il voulait, réunissant les garnisons du haut Weser, courir à Berlin, à Vienne; les alliés, enfermés entre la capitale et l'insurrection nationale, eussent été exterminés. Ce n'était pas trop augurer du patriotisme des masses, appelées aux armes par le décret du 5 mars. « Les moyens de défense ne manquaient pas » à Paris; les troupes, la garde nationale, les volontaires, « pouvaient présenter un effectif de soixante-dix mille combattants qu'il était facile de rassembler en quelques heures et d'utiliser, mème en ne leur donnant qu'un armement incomplet. » (Vaulabelle.) Mais la hame active de Talleyrand, la tiédeur de Clarke, l'effroi de Joseph, en attirant l'ennemi, en refusant des armes au peuple, en abandonnant la partie avant la fin, ouvraient fatalement Paris aux alliés. Déjà Marmont et Mortier, avec quelques milliers de gardes nationaux, avaient perdu la bataille terrible de Fère-Champenoise (23 mars). Cent quatre-vingt mille Autrichiens, Russes, Prussiens, investirent Paris à Batignolles (30). MarieLouise et le roi de Rome étaient partis dans la matinée du 29, emportant l'enthousiasme des soldats, la confiance des citoyens, enfin « la fortune de l'empire. » A la même heure arrivaient Marmont et Mortier vers Charenton, et l'avant-garde ennemie débouchait par Bondy. La physionomie de la ville était étrange. Par les portes du midi fuyait l'aristocratie; par les barrières du nord entraient avec leurs troupeaux et leurs meubles les habitants des environs, encore rançonnés au passage par l'octroi; les oisifs étaient assis sur les boulevards, devant Tortoni; le peuple écoutait les crieurs qui annonçaient l'arrivée de Napoléon victorieux; quelques braves enfin demandaient des armes que le gouvernement leur vendait. Marmont et Mortier n'avaient que douze mille hommes; ils firent tout un jour une résistance héroïque, admirable. « C'était le soixante-septième engagement depuis janvier. » La Villette, Belleville, Pantin, furent témoins des derniers exploits de Marmont. Mortier tenait la Chapelle et Montmartre. Moncey et la garde nationale firent à Clichy une résistance si opiniâtre que l'ennemi, furieux, pilla le village. Mais la jonction de Schwarzenberg avec Blücher ne laissait plus d'espoir. Aucune direction, aucun encouragement ne venait du gouvernement. Joseph, s'armant

d'une vieille lettre de l'empereur, s'enfuit dans l'après-midi; atteint dans le bois de Boulogne par un aide de camp de Napoléon porteur d'ordres pressants, «l enfonça les éperons dans le ventre de son cheval. » (Vaulabelle.) A six heures, Marmont obtint une suspension d'armes; vaincu par les prières d'une aristocratie qui devait tout à l'empereur, en l'absence de toute autorité, il prit sur lui de capituler. Lorsque Napoléon, parti le 28 de Saint-Dizier, arriva, le 30 au soir, à Fontainebleau, il apprit la triste nouvelle. Combien il dut alors regretter d'avoir laissé « des médiocrités en face d'un péril au-dessus de leurs forces, plutôt que de confier le commandement suprême de Paris à un maréchal énergique et dévoué!» Il se serait jeté le lendemain sur Paris, et aurait troublé le triomphe des alliés, sans les nouveaux cris de ses généraux. «Si la chute de l'empire n'avait pas été le résultat de la campagne, aucune autre de nos temps n'aurait été vantée avec plus de raison. » La joie indécente des traîtres accueillit l'entrée des rois alliés, une cavalcade de nobles se ridiculisa par des vociférations inutiles et bafouées; d'autres essayèrent d'abattre la statue de la place Vendôme aux pieds des vainqueurs, qui rougissaient de tant de bassesse; nos comtesses jetèrent des lauriers aux Kalmouks et montèrent en croupe derrière des Cosaques. «< Les saturnales de la rue et de la place publique, ce jour-là, appartinrent aux dames riches et titrées. »> (Vaulabelle.) Talleyrand, corrupteur du Sénat et chef du gouvernement provisoire, fit déclarer Napoléon et sa famille déchus du trône. Ses complaisances pour les puissances étaient « le prix d'un salaire splendide. Trente ans auparavant, Mirabeau disait : « C'est de la boue et de l'argent » qu'il lui faut; il vendrait son âme, et il aurait » raison, car il troquerait son fumier contre de » l'or.» (Vaulabelle.) Le Corps législatif confirma l'acte de déchéance (4-3 avril). «En général, on semblait d'accord sur ce point, que la chute de Napoléon était le seul moyen de salut »; mais ce furent les insinuations de Talleyrand et la bruyante intervention de l'abbé de Pradt qui décidèrent les alliés à rétablir les Bourbons, à qui on ne pensait guère. Le czar aurait plutôt désiré une élection nouvelle. « Nous ne voulons imposer personne, disait-il; mais nous ne voulons plus de lui. N'est-ce pas vous qui l'avez nommé? pourquoi n'en choisiriez-vous pas un autre? N'avezvous pas Bernadotte? vous pouvez bien le choisir comme compatriote, quand les Suédois l'ont pris quoique étranger.» (Thibaudeau.) Le choix proposé était d'ailleurs bizarre et peu sérieux.

Cependant le peuple laissait sans écho les cris des royalistes. « La poignée d'intrigants qui s'étaient vautrés au-devant de l'étranger n'étaient rien moins que la nation française. » (Thibaudeau.) Eux seuls ne sentaient pas l'humiliation de voir les Cosaques bivouaquer dans les Champs-Élysées. L'armée n'était pas ébranlée; et lorsque Napoléon

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