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tait (dans les cérémonies) un habit superbe de velours violet... et parfois une épée d'or ornée des plus beaux diamants de la couronne », entre autres le Régent. (Miot.)

Jamais Napoléon, parvenu aux limites extrêmes de l'ambition légitime, n'eut un rôle plus digne de son génie. La moitié de l'Europe était à ses pieds. Déjà, sur son inspiration, la Hollande s'est reconstituée à l'image de la France; une consulte réunie par lui à Lyon a changé le gouvernement de la Cisalpine et lui en a conféré la présidence (janvier 1802). Il érige la Toscane en royaume et annexe le Piémont à la France. Il conseille à la Suisse, déchirée depuis trois ans par les discordes civiles, une organisation fédérative fondée sur l'égalité de droits entre cantons, et l'enchaîne à la France par une alliance intime (septembre 1802).

Ce n'est pas assez; il remanie la carte d'Allemagne.

A Lunéville, l'Autriche avait, malgré le droit de l'Empire et sur les exigences formelles du premier consul, stipulé pour tout le corps germanique; mais elle empêchait la diète de régler les indemnités promises aux princes dépossédés. Toute-puissante dans les États ecclésiastiques et les villes impériales, elle répugnait à les partager avec ses ennemis; Napoléon, assiégé de réclamations, se porta médiateur, de concert avec la Russie (maidécembre 1802).

La Prusse, qui avait perdu le duché de Clèves, reçut cinq villes impériales, six abbayes et quatre évêchés sécularisés; à ce prix, elle s'engageait à garantir à la France l'Italie et la Hollande. La Bavière s'accrut de quinze villes libres, douze abbayes, quatre évêchés. Le stathouder, les ducs de Toscane et de Modène, à force de courtiser Talleyrand, eurent leur part. Les princes de Hesse-Cassel, Bade, Wurtemberg, acquirent rang d'électeurs. Des électorats ecclésiastiques, un seul fut conservé, celui de Mayence, et transféré à Ratisbonne. Le partage fut si bien accueilli que chacun se hâta de mettre la main sur son lot.

L'Autriche seule se vit oubliée. Elle voulut se saisir de Passau, cédé à la Bavière, et ne se calma que moyennant deux évêchés, Trente et Brixen (26 décembre 1802).

Quand les indemnités furent réellement distribuées, on soumit à la diète un plan qu'elle ne put qu'approuver.

SAINT-DOMINGUE. RUPTURE DE LA PAIX D'AMIENS. CAMP DE BOULOGNE.

Arbitre du continent, Napoléon voulut rendre à la France sa puissance coloniale. Le général Decaen alla dans l'Inde observer les Anglais et les indigènes; Sébastiani fut chargé de renouer des relations dans le Levant. Enfin, une flotte porta le général Leclerc à Saint-Domingue.

On a vu comment les haines de race avaient excité à Saint-Domingue de terribles désordres

pendant la révolution, comment le massacre et l'incendie avaient ruiné la plus belle colonie du monde. Le nègre Toussaint-Louverture dispersa les mulâtres, renvoya les noirs au travail et rendit aux blancs qui restaient leurs propriétés; il soumit la partie espagnole de l'île, ouvrit les ports au commerce de toutes les nations, et se fit nommer gouverneur à vie (1800-1802). Toussaint admirait le premier consul et l'imitait puérilement; mais lorsque la métropole lui envoya un supérieur, à lui qui ne voulait que des commissaires pour parler avec lui, il se retira dans les montagnes, faisant tout brûler et tuer par ses lieutenants. La rapidité française sauva le Port-au-Prince, mais le Cap fut saccagé. Trois mois d'une guerre acharnée, sans quartier, détruisirent l'armée noire et forcèrent Toussaint à se rendre (mai 1802). Bientôt enlevé et transporté en France, avant l'explosion d'une révolte qu'il avait préparée, le premier des noirs, comme il se nommait lui-même, légua sa vengeance à une terrible alliée, la fièvre jaune. Les Français virent rapidement diminuer leur nombre et croître la fermentation; les événements d'Europe ne permirent pas de les renforcer, et l'expédition finit tristement en novembre 1803. Leclerc était mort; sept mille Français à peine avaient échappé au climat, à la fièvre, aux noirs (janvier 1804). Le farouche Dessalines succéda à Toussaint, mort de froid dans le fort de Joux.

Notre prospérité intérieure, les débuts heureux de nos lointaines entreprises, avaient tout d'abord alarmé la jalousie anglaise. Partout, depuis un an, les deux nations rivales s'étaient rencontrées : en Suisse, où l'Angleterre avait soutenu l'oligarchie; en Égypte et à Malte, d'où elle ne voulait pas sortir; à Saint-Domingue, où elle espérait entrer.

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L'esprit envahissant de la France était dénoncé au parlement par les amis de Pitt. Des pamphlets, des intrigues de chouans à Londres, d'aigres paroles échangées entre les deux cabinets, avaient rendu impossible la conclusion d'un traité de commerce. La situation se tendait de jour en jour, et une tentative de rapprochement ne put parer à la rupture.

L'ambassadeur anglais, lord Withworth, ne se prêta pas aux avances de Napoléon; son gouvernement ne voulait d'ailleurs faire aucune concession, et prétendait que le Cap, Gorée, Malte, n'étaient qu'une faible compensation des conquêtes

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paix; mais la paix lui est arrachée, et alors le génie guerrier, deux ans maîtrisé, s'empare de lui; il ne songe plus qu'à l'anéantissement de l'Angleterre. Tous les Anglais trouvés en France sont arrêtés comme otages. Mortier occupe le Hanovre (juillet); six camps se forment au bord de l'Océan; le royaume de Naples, la Toscane, l'Elbe, la Corse, la Hollande, reçoivent des garnisons. Les ports du continent sont fermés sur une grande étendue aux marchandises venues d'Angleterre. La Louisiane est cédée aux États-Unis pour 60 millions; l'Espagne fournit un subside au lieu de contingent ainsi sont évités les embarras d'une défense lointaine et d'une alliance onéreuse. Le

Portugal achète sa neutralité au prix de 42 millions.

Napoléon se propose d'attaquer l'Angleterre à Londres, de lui imposer la liberté des mers, et, dit-il, de couper dans sa racine mème la guerre éternellement renaissante. Sous son active impulsion, une armée se forme; plus de deux mille bateaux plats, protégés par des ouvrages de défense, se rassemblent à Boulogne, Étaples, Ambleteuse, et s'exercent chaque jour contre les vaisseaux ennemis. Des flottes s'apprêtent à couvrir la descente et à soulever l'Irlande. Pour écarter toute chance mauvaise, Napoléon, malgré son impatience, remet l'expédition au printemps de 4804.

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on apprit la présence du duc d'Enghien sur le territoire de Bade. Par ordre de Napoléon, le malheureux prince fut enlevé le 45 mars, enfermé à Vincennes, jugé sans défenseur par une commission militaire, et fusillé le 24. Les formes iniques du procès, la violation d'un territoire neutre, la jeunesse et le courage du condamné, ont inspiré aux historiens et aux poëtes une pitié légitime. Napoléon fut un moment troublé de ce meurtre, mais il en assuma bientôt toute la responsabilité. J'ai fait arrêter le duc d'Enghien dans le margraviat de Bade, disait-il; qui sait si je n'aurais pu faire également enlever à Varsovie les autres Bourbons? Croit-on que c'est sans mon aveu qu'il en existe à Varsovie?... On veut détruire la

révolution en ma personne. Je la défendrai, car je suis la révolution, moi!» (Miot.)

La mort du duc d'Enghien, défi jeté aux ennemis intérieurs, fut pour les anciennes dynasties, qui commençaient à oublier la révolution, un signal d'alarme. Le czar prit le deuil, et la Prusse, qui hésitait, se tourna vers la Russie. L'Autriche, sans récriminer sur les faits, envahit la Bavière, alliée de la France, et troubla l'Allemagne par des violences. La diete elle-même s'agita. Napoléon dédaigna la diete, intimida l'Autriche, offensa le czar: il lui rappela les bons procédés de la France et les exigences des envoyés russes, les désastres de Souvarow et la mort de Paul Ier. Quant à l'Angleterre, il la nota d'infamie, en dé

nonçant la part prise au complot de Georges par les agents Drake, Smith et Taylor; le cabinet britannique eut l'audace de les avouer.

Le procès des conspirateurs s'instruisait. Pichegru aurait pu, s'il eût voulu, retourner à Cayenne, non en déporté, mais en gouverneur ; l'exécution du duc d'Enghien, le doute, la honte d'être confondu avec des assassins, troublèrent son esprit, et il s'étrangla. Une prompte soumission aurait de même sauvé Moreau; mais sa réserve et la roideur du grand juge Regnier contrarièrent les intentions bienveillantes du premier consul. Moreau fut condamné à deux ans de prison, et demanda l'exil. Les flatteries de ses amis l'avaient jeté dans la voie funeste qui conduit à la trahison. MM. de Rivière et de Polignac durent leur grâce à l'intervention de Murat et de Joséphine. Enfin Georges Cadoudal, chouan convaincu, subit courageusement la peine de mort (juin 1804).

NAPOLÉON EMPEREUR.

Tous ces conspirateurs avaient cru renverser la république au profit des Bourbons et d'eux-mêmes. La république était morte; elle avait remis son héritage à celui qui d'abord l'avait défendue. L'esprit public sacrifiait la conquête de la liberté, qui avait coûté tant de sang, au désir d'un pouvoir stable. Les nombreuses adresses des assemblées électorales et de l'armée offraient au premier consul la royauté héréditaire.

Fouché, qui avait perdu le ministère de la police pour avoir combattu le consulat à vie, s'employa énergiquement cette fois à diriger l'opinion. Quand le Sénat fut préparé, Napoléon sonda la Prusse et l'Autriche; sûr de deux adhésions, il se prêta aisément aux vœux de ses amis. Il n'y eut partout que plate adulation. Seul, au Tribunat, Carnot défendit, sans aucune déclamation, avec noblesse, la forme républicaine, et prédit les effets désastreux d'une ambition toujours croissante; il ⚫ ne fut pas écouté.

Le Sénat sut bientôt adapter au nouveau régime la constitution de Sieyes.

La république est changée en empire héréditaire. L'empereur, à défaut d'héritier direct, choisit son successeur parmi les princes de sa famille.

Un grand électeur, deux archichanceliers, un architrésorier, un connétable, un grand amiral, inamovibles, irresponsables, dirigent de haut les assemblées, la justice, la diplomatie et le cérémonial, les rapports de l'État avec ses créanciers, l'armée et la marine. Ces six grands dignitaires, destinés à devenir rois ou princes, tiennent lieu des électeurs allemands et forment le conseil privé.

Vingt maréchaux de France, dont quatre honoraires, un amiral, des colonels généraux, un grand chambellan, un grand maître des cérémonies, etc., prennent rang parmi les grands officiers de l'empire.

Les six grandes dignités échurent aux princes Joseph, Louis, Eugène, Murat, aux consuls Cambacérès et Lebrun; Jourdan, Masséna, Augereau, Lannes, Ney, Davoust, Bernadotte, etc., eurent le bâton de maréchal; Bruix fut amiral; Junot, Marmont, Saint-Cyr, colonels généraux; Talleyrand, qui avait espéré l'archichancellerie d'État, se résigna mal à n'être que grand chambellan; Fouché eut la joie de reprendre le portefeuille de la police.

Lorsqu'on eut entouré le trône d'un si brillant appareil, on donna quelques apparences de garantie à la liberté. Si le Tribunat resta plus que jamais une section du conseil d'État, le Corps legislatif, jadis muet, eut la permission de parler à huis clos. Le Sénat fut constitué gardien de la liberté des personnes et de la presse non périodique; quant aux journaux, on les laissa franchement à la merci de la police. Enfin l'empereur dut prononcer un serment dont le texte consacrait les grands principes de la révolution et les institutions du consulat.

Le 18 mai 1804, le Sénat porta la constitution à Saint-Cloud et proclama Napoléon empereur des Français. La loi de l'hérédité, soumise à la sanction du peuple, fut peu après accueillie par un vote unanime, et le Moniteur livra au public étonné une protestation de Louis XVIII.

La grandeur et le nombre des dignités et des emplois, la richesse des traitements, l'aspect singulier d'une cour où les plébéiens glorieux coudoyaient la noblesse ralliée, la splendeur de l'ensemble, ne purent dérober aux railleries de la foule l'àpreté des solliciteurs, le désappointement des ambitions trompées, les petitesses de détail. Cependant cette aristocratie démocratique, ouverte à tous les citoyens, à tous les mérites, et les attributions données au Sénat, auraient peut-être suffi, sous un chef moins despote et moins dédaigneux de la dignité humaine, pour transformer la royauté absolue en une monarchie constitutionnelle, où une opposition utile se serait formée dans une minorité intelligente et forte.

EMPIRE. ULM. - AUSTERLITZ. PRESBOURG.

Reconnu par toutes les puissances excepté la Russie, la Suède et l'Angleterre, l'empereur résolut d'humilier ses ennemis par une solennelle consécration de sa puissance. A sa demande, Pie VII quitta Rome et vint le sacrer à Paris dans NotreDame (4 décembre 4804); c'était à la fois, pour le saint-siége, payer le concordat et acquérir des droits sur la France; mais le pape, retenu à Paris tout l'hiver, n'obtint que des cadeaux et des promesses, et repartit mécontent (novembre-avril). La majesté de Napoléon se couronnant lui-même, et l'humilité des princes attachés aux pans du manteau impérial, firent du sacre un spectacle grandiose, mais seulement un spectacle. Les Français ne goûtèrent pas ces pompes royales, et les

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