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essaye de se rapprocher du Nil, Dugua l'en sépare. Il fuit; son infanterie, assiégée dans le village d'Embaseh, est jetée dans le Nil. Ibrahim prend aussitôt la route de la Syrie, et découvre le Caire, où bientôt entre Bonaparte. Telle fut la bataille illustrée par ces paroles : «Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent! >> Les Arabes ne regrettèrent pas les mameluks; ils célébrèrent comme la prunelle d'Allah le favori de la Victoire et les braves de l'Occident. Bonaparte prit part à la fète du Nil, et, les jambes croisées sur un coussin, dans l'attitude des fidèles, il assista aux cérémonies du culte. Il s'acquit ainsi

l'admiration des grands cheiks et se fit déclarer par eux envoyé d'Allah; puis, tandis que ses généraux soumettaient le Delta et la haute Égypte, il favorisa le commerce et les caravanes, forma au Caire un conseil municipal, et fonda l'Institut d'Égypte, autant pour étudier les besoins de la colonie nouvelle que pour enrichir la science.

Cependant Nelson, furieux de n'avoir pu troubler notre débarquement, bloquait, tournait et détruisait notre flotte dans la rade d'Aboukir (1er août). Une imprudence de Brueys, qui négligea la garde d'un étroit passage vers sa gauche, entre un îlot et la côte, mais plus encore l'inac

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tion de Villeneuve, furent la cause de ce désastre; Brueys fut tué sur son banc de quart. Nelson triomphant alla se reposer à Naples.

En apprenant cette défaite, Bonaparte s'écria : «Il faut mourir ici ou en sortir grands comme les anciens!» En effet, le sultan, dont la France recherchait l'alliance, ne tarda pas à se donner aux Anglais. Deux armées turques se formerent durant l'hiver, l'une à Damas, l'autre à Rhodes, pour envahir l'Égypte. Bonaparte songe à détruire la première, en Syrie, avant que la seconde ait pris la mer; il le peut sans imprudence. Mourad, battu à Sédiman, par Desaix, a fui en Nubie (octobre); la haute Égypte est conquise et organisée; enfin, après une révolte sévèrement punie, le calme règne au Caire. Bonaparte marche contre les Syriens sans laisser d'ennemis derrière lui (40 février 4799).

El-Arish et Gaza ne peuvent résister; les défenseurs de Jaffa sont passés au fil de l'épée. Mais le pacha Djezzar, enfermé dans Acre, repousse tous les assauts; l'amiral anglais Sidney-Smith nous observe et nous canonne. L'armée turque passe le Jourdain, fait reculer Junot et atteint Kléber au pied du mont Thabor; Djezzar tente une sortie pour la rejoindre. Bonaparte, refoulant les assiégés, vole au secours de Kléber, qui, formé en carré, brisait depuis six heures le choc de douze mille cavaliers. Prise entre Bonaparte et Kléber, attaquée de face par Bon, la cavalerie turque se rompt et s'enfuit; Murat l'attend au passage du Jourdain. L'infanterie, retranchée dans un village, est taillée en pièces. Six mille Français ont détruit une cohue de trente mille hommes (46 avril 1799).

Bonaparte, sans artillerie, s'obstine devant Acre

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Au départ de Bonaparte pour l'Égypte, une coalition terrible s'était préparée. Si le Directoire avait obtenu la neutralité de la Prusse et de l'Empire, l'Autriche avait gagné la Russie et mettait sur pied deux cent mille hommes. Le Directoire était accablé sous le poids des affaires extérieures et sous les efforts des partis : il avait à réprimer en Hollande les patriotes, en Cisalpine les brouillons et les généraux, en Helvétie les cantons aristocratiques, enfin dans les conseils les royalistes et les jacobins. Il obtint quelques ressources tardives: l'impôt des portes et fenêtres, la vente de

425 millions de biens nationaux, la conscription, proposée par Jourdan, et une levée de deux cent mille hommes.

L'inepte roi de Naples, gouverné par sa femme et par l'Anglais Acton, commença follement la guerre. L'Autrichien Mack conduisit quarante mille Napolitains dans les États de l'Église, et entra dans Rome; mais, partout battu, il dut reculer jusqu'au Volturne. Le roi s'était enfui, armant les lazzaroni pour la défense et le pillage de sa capitale (novembre-décembre 1798). Championnet, général de l'armée de Rome, recueillit Mack chassé par ses propres soldats, et, s'emparant de Naples, y proclama la république parthénopéenne (23 janvier 1799). Mais ses rapines obscurcirent sa gloire, et il fut remplacé par son lieutenant Macdonald. Pendant la guerre de Naples, Joubert avait dû occuper 1: Piémont, dont le

roi s'entendait avec nos ennemis. La Toscane seule restait libre en Italie.

La France s'étendait trop pour se défendre de Calais aux îles Ioniennes, des bouches du Rhin à celles de l'Adige, il lui fallait faire face à l'Europe coalisée. Elle lutta cependant avec énergie. Jourdan prit l'offensive sur le Rhin, Schérer sur l'Adige; au centre, Masséna avec Lecourbe occupa la Suisse et menaça le Tyrol.

Jourdan rencontra l'archiduc sur le haut Danube; battu à Stokach malgré son courage, il se replia sur le Rhin et quitta le commandement (4 er. 25 mars). Schérer, après un succès à l'entrée du Tyrol, ne put forcer ni le haut ni le bas Adige; vaincu près de Vérone, à Magnano (5 avril), il perdit la tête et recula jusqu'à l'Adda.

La France, indignée par l'assassinat inouï de ses envoyés à Rastadt, crée des ressources, envoie

des renforts; mais la fortune a tourné. Masséna seul résiste; encore n'a-t-il pu défendre le grand angle que forme le Rhin de Coire à Bale, et, malgré son succès à Fraunfeld, deux armées ennemies ont opéré leur jonction en deçà du lac de Constance. Il s'arrête sur la Limmath qui, coulant du sud au nord, forme le lac de Zurich et se jette dans l'Aar. Vainqueur de l'archiduc en avant de Zurich, il croit cependant devoir abandonner la ville pour s'établir sur la rive gauche de la Limmath et s'appuyer aux monts de l'Albis. Il garde ainsi les positions où bientôt il fixera la victoire. La Reuss, parallèle à la Limmath, lui assure une seconde ligne de retraite.

Les Russes étaient arrivés en Italie, et Souvarow, général barbare et ignorant, célèbre par des massacres de Turcs et de Polonais, conduisait quatre-vingt-dix mille coalisés. Moreau, à qui

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9 floréal an 7 (28 avril 1799). - Assassinat des plénipotentiaires français à Rastadt (1). D'après Duplessi-Bertaux.

Schérer laissait une armée en désordre, défendit l'Adda avec courage; battu à Cassano, il se replia sur Milan, d'où les amis de la France sortirent avec lui, s'établit un moment au confluent du Pô et du Tanaro, et, franchissant l'Apennin par des routes impraticables, transporta saine et sauve sa petite armée en Ligurie. Macdonald, rappelé de Naples, arrivait enfin sur l'Apennin pour se joindre à Moreau; mais Souvarow l'arrèta sur la Trebbia et, après trois jours de lutte acharnée (17-18-19 juin), le rejeta en désordre au delà des monts. On a dit que Macdonald perdit du temps en Toscane, et que Moreau eût dù prendre le commandement. Tous deux furent destitués, et Moreau remplacé par Joubert, qu'il voulut bien aider de ses conseils. L'armée, portée à quarante mille hommes, reprit l'offensive en août; elle fut attaquée le 15, à Novi, par Souvarow, et tua vingt mille coalisés. Mais le nombre l'emporta. Le brave Joubert avait été tué dès les premières charges; Moreau ramena l'armée vers Gênes.

La présence des Russes à Corfou, des Anglais en Hollande, la rentrée du roi de Naples dans ses États, l'insurrection de la Vendée, grossirent encore

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Sieyes se rapprocha de Barras, l'élection de Treilhard, qui datait d'un an, fut cassée pour vice de forme. Laréveillère et Merlin, hués et menacés, donnèrent enfin leur démission (30 prairial-48 juin); c'étaient deux honnètes gens, et le premier avait su deviner Bonaparte et lui tenir tète. Les vides furent comblés par des personnages moffensifs : Gohier, Moulin, Roger-Ducos. Les conseils, et la société entière, tombèrent alors dans l'apathie et l'indifférence, et quand Jourdan proposa de déclarer la patrie en danger, il ne fut pas écouté. Cependant, la faiblesse a ses excès comme la force: le Directoire prit une mesure digne de la terreur; il fit rendre une loi qui rendait les parents d'émigrés responsables des brigandages commis par les chouans en Vendée. C'est la loi des otages (42 juillet 1799).

Le

principe vital de la patrie n'existait plus alors, il faut l'avouer, que dans l'armée, énervée par des excès d'intelligence et de force, la France aspirait au repos. Peu lui importait la liberté d'agir et de penser elle n'en avait pas besoin; l'abus qu'elle en avait fait la réduisait à l'engourdissement. Elle était prête à se livrer à qui voudrait agir et penser pour elle; Sieyès le savait, et, dans son orgueil, s'associant d'abord Joubert, ensuite Bonaparte, il disait : « Plus de bavards, il faut une tête et une épée. » Il ne songeait pas que son futur allié possédait l'une et l'autre

Tandis que le maître arrivait, évitant les croisières anglaises, Brune et Masséna battaient la coalition en Hollande et en Suisse.

Les Russes et les Autrichiens, cédant à de réciproques mécontentements, avaient fait la faute de séparer leurs forces. Souvarow dut laisser à Mélas le commandement en Italie, et, par la vallée de Reuss, joindre Korsakof, qui l'attendait à Zurich; l'archiduc, qui bordait la basse Limmath, fut rappelé sur le Rhin. Masséna saisit le moment où le départ de l'archiduc isole Korsakof, passe la Limmath et enferme les Russes dans Zurich (25 septembre). Le lendemain, la ville est emportée, et Korsakof désespéré perd treize mille hommes dans sa fuite. Des corps autrichiens sont aussi battus par Soult et par Lecourbe vers la Limmath et la Reuss. Cependant Souvarow a franchi le Saint-Gothard. Jonchant de ses morts les précipices de la Reuss, il arrive à Altorf sur le lac de Lucerne. Il s'y croyait attendu par une flottille elle lui manqua. Il se jette à l'est vers Schwitz; harcelé par Lecourbe, il est surpris par Masséna, qu'il croyait prendre à dos. Furieux, il renverse devant lui la division Molitor, mais il abandonne ses canons et ses bagages. Il fuit vers Glaris. Il y est prévenu. Enfin, après des fatigues épouvantables, il ramène à Core quelques milliers d'hommes (octobre).

Jamais victoire plus éclatante, campagne mieux conçue et plus heureuse, n'avaient été plus nécessaires. Trente mille alliés sont morts ou pris; la coalition est dissoute; la patrie est sauvée.

18 BRUMAIRE AN 8 9 NOVEMBRE 1799).

Bonaparte est débarqué à Fréjus le 9 octobre; il traverse la France en triomphateur. A Paris, une folle joie l'accueille: ministres, conseils, directeurs, l'assiégent, le consultent: tous les partis le sollicitent; il les ménage tous et reprend ce rôle de réserve qui l'a rendu populaire. Mais il n'en écrit pas moms à Brune, en Hollande, «< qu'il se félicite de trouver un de ses lieutenants à la tête d'une armée victorieuse » : qu'eût dit de plus César?

S'il avait aimé chez Robespierre les tendances despotiques, il détestait chez les patriotes l'anarchie et l'indiscipline; quant aux vicieux, aux fats, aux pourris, dont Barras était le chef, il n'en avait que faire. Ce fut donc aux modérés qu'il s'attacha. Talleyrand et Roederer le rapprochérent de Sieyes, tout-puissant aux Anciens.

Les deux conspirateurs s'aidèrent de Fouché, ministre de la police, homme sans for mi loi, et d'autant plus utile; repoussèrent avec dédam les avances de Barras, et maintinrent dans l'ignorance Moulin et Gohier. Roger-Ducos se réunit à eux. Il fut convenu que les Anciens, sous prétexte d'un complot patriote, transféreraient les conseils à Saint-Cloud, proposeraient un consulat provisoire et un changement de constitution. Sieyes se chargeait du Corps législatif; Bonaparte, des troupes et de Paris.

Le 48 brumaire, une foule d'hommes d'État et de généraux se pressent dès huit heures à la porte de Bonaparte, entre autres Talleyrand, Berthier, Lannes, Moreau; il leur lit le décret des Anciens qui lui donne le commandement à Paris. Tous promettent de marcher avec lui. Suivi d'un magnifique état-major, il va prêter serment aux Anciens; puis il passe une revue et s'installe aux Tuileries. Sieyes, Roger-Ducos, Barras, donnent leur démission; Moulin et Gohier, qui la refusent, sont gardés au Luxembourg. Paris est calme. Bonaparte, enivré, demande déjà compte de la république comme de son bien. « J'ai laissé la paix, disait-il, je retrouve la guerre; les millions d'Italie, je retrouve la misère! Où sont cent mille Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire? »

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Mais le jour décisif était le lendemain. Les CinqCents, atterrés de leur translation, forcés de se soumettre au décret des Anciens, se réunirent à Saint-Cloud. Indignés de se voir entourés d'une armée, ils se souvinrent de leur dignité trop oubliée et renouvelèrent avec enthousiasme le serment à la constitution. Les Anciens étaient déjà ébranlés par l'attitude des Cinq-Cents, lorsque Bonaparte parut; après avoir calomnié les patriotes et la constitution, flatté le conseil, il menaça : « Si quelque orateur vendu parlait de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous, braves soldats! je m'en remettrais à votre courage et à ma fortune!» Il entra ensuite aux Cinq-Cents; mais, accueill

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par les cris: « A bas le dictateur! hors la loi le tyran!» il voulut parler, balbutia, et sortit. « Etranger au spectacle imposant que présente une assemblée constituée d'après les lois du pays, il fut peut-être alors plus frappé qu'il ne l'avait été au début de la hardiesse de son entreprise.» (Raguse.) Il ne put cacher son trouble à ses amis. Si le décret de mise hors la loi eût été rendu sur-lechamp, qui peut savoir ce qui serait arrivé? Mais Lucien Bonaparte, président des Cinq-Cents, résiste, jette l'indécision parmi les plus acharnés, enfin quitte le fauteuil et rejoint son frère; il le

presse d'employer la force, et harangue les soldats « Le conseil est dissous, s'écrie-t-il, la majorité est opprimée par des assassins! » Murat et Leclerc ébranlent un bataillon, et font évacuer la salle; les tambours ont couvert les cris des députés, et aucun n'a pu mourir sur la chaise curule. Est-il une pire insulte pour l'intelligence que le dédain et la pitié de la force brutale?

Mais Bonaparte veut en finir. Cinquante députés des Cinq-Cents, réunis à grand'peine, rendent un décret bientôt adopté par les Anciens. Les conseils sont suspendus jusqu'au 4er ventôse; le soin de

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Dès le premier jour, Bonaparte prit le pas sur ses collègues, et Sieyès disait : « Nous nous sommes donné un maître qui sait, qui peut, qui veut tout faire. Mais si rien n'est méprisé comme la tyrannie capricieuse de la faiblesse, rien n'est mieux accueilli que le despotisme résolu de la force glorieuse. Le Directoire allait sans but; les tergiversations plus que les coups d'État causèrent sa ruine. Bonaparte marcha directement au pouvoir absolu, et l'accord de ses intérêts avec les besoins du moment aplanit sa route. Rien ne pouvait l'ar

rêter, ni la constitution de l'an 3 qu'il renversa, ni celle de l'an 8 qu'il fit réformer à son usage.

Sieyes était enfin à même de mettre au jour ce système élaboré dix ans, sur lequel repose encore notre administration civile, et dont quelques éléments politiques, détachés de l'ensemble, ont servi tour à tour le régime absolu et la monarchie constitutionnelle. Aussi éloigné de la royauté discréditée que de la démocratie brutale, Sieyes place en bas le suffrage universel et la confiance, en haut le choix et la direction unique. Il n'admet aux emplois qu'une aristocratie intelligente, choisie par le pouvoir constituant dans trois listes de notabilités. Ces listes sont tirées l'une de l'autre au moyen de réductions progressives; la dernière ne comprend que cinq à six mille noms, seuls destinés aux fonctions supérieures.

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