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plateau; un détachement tourne la position par le village; un autre, avec du canon, occupe la rive gauche.

Bonaparte a pris position avant le jour; il a groupé les dix mille hommes de Joubert en face du mont Baldo et d'Incarnale, entre lesquels il se maintient d'abord avec peine; mais, renforcé par Masséna, au moment où l'ennemi croit le tenir enfermé, il se dégage par deux coups décisifs. Il rejette à droite la colonne d'Incarnale dans la rude descente, où chevaux et canons roulent pêle-mêle; puis il lance toutes ses forces sur l'infanterie, balaye le plateau, sème de fuyards les sentiers du mont Baldo, et, se rabattant vers l'extrême gauche au moment où arrive sa réserve, désarme le corps qui pensait le tourner (14 janvier 4797).

Laissant à Rey et à Joubert le soin de ramener les prisonniers, il court, avec Masséna qui marche depuis trois jours, anéantir Wurmser et Provera sous les murs de Mantone, près du château de la Favorite. Provera se rendit avec six mille hommes le jour même où Joubert détruisait Alvinzi à la Corona (16 janvier). Wurmser capitula le 2 février. Trois victoires, vingt-trois mille prisonniers, la ruine d'une troisième armée, la conquête de Mantoue, quels résultats pour une campagne de trois jours!

TOLENTINO. LEOBEN.

Vainqueur de l'Autriche, Bonaparte se tourne contre le saint-siège. Il disperse Colli, et s'avance jusqu'à Tolentino. Le pape achète la paix au prix d'Avignon, d'Ancône, des légations et des Romagnes, et de 30 millions en argent, tableaux, pierreries, manuscrits. Le Directoire eût voulu la destruction du pouvoir temporel; mais Bonaparte, indifférent aux questions de principe, ménageait tous les pouvoirs, surtout le clergé. A Tolentino mème, il enjoignit aux couvents de recevoir avec honneur les prètres émigrés.

De retour sur l'Adige, et menacé d'une quatrième invasion, Bonaparte songe à terminer la guerre en Autriche; Hoche et Moreau, partant du Rhin, doivent le seconder. Il laisse Kilmaine avec dix mille hommes en Italie; lance vers le nord les soixante mille qui lui restent, et, tandis que Joubert en Tyrol fait six mille prisonniers en trois combats, tandis que Masséna, s'emparant du col de Tarwis, domine, du haut des Alpes Noriques, la route de Carinthie, lui-même franchit la Piave, bat l'archiduc Charles au passage du Tagliamento (16 mars), prend Gradisca (49 mars) et remonte l'Isonzo.

L'archiduc voulait couvrir la Carniole; mais, poussé par Bernadotte qui occupa derrière lui Trieste et Laybach, il rallia deux divisions à Villach, pour disputer au moins à Masséna le col de Tarwis et la route de Carinthie. Après des succès divers, il fut repoussé, au moment où Bonaparte

rejoignait Masséna. On s'était battu au-dessus des nuages.

Les Alpes entières sont à nous; mais l'inaction de l'armée du Rhin arrête un instant Bonaparte; il envoie au Directoire une lettre furieuse et malveillante pour Moreau: «En ne voulant jamais exposer sa gloire, dit-il, on la perd quelquefois. » L'état de l'Italie aussi était alarmant les idées libérales et la réaction se heurtaient dans les États de Venise. La révolution avait éclaté à Bergame, Brescia, Salo, Crème; de son côté, le sénat, armant les paysans contre les Français isolés, demandait secours à Bonaparte, sans vouloir accepter son alliance. Enhardis par l'absence de nos armées, par l'apparition en Lombardie d'un petit corps autrichien échappé à Joubert, excités par les moines, les paysans entrent dans Vérone, massacrent les familles françaises, assiégent la garnison. Les autorités vénitiennes encouragent les meurtriers par leur silence (47 avril), et la ville n'est reprise qu'après un violent combat. Pour comble, l'équipage d'un bateau français est égorgé dans les lagunes, et l'assassin récompensé.

Venise ignore sans doute que Bonaparte a repris sa marche, vaincu l'archiduc à Neumarkt, occupé, le 7 avril, Leoben, à vingt-cinq lieues de Vienne; que princes et trésors sont déjà embarqués pour la Hongrie ; quel sort enfin lui réservent le général qu'elle irrite et la cour qu'elle a servie.

Sans nouvelles du Rhin, inquiet de Venise et de la Carniole insurgée, heureux d'ailleurs d'humilier seul toute la coalition, Bonaparte, sans même attendre notre envoyé Clarke, se prète aux ouvertures de l'Autriche et signe des préliminaires de paix (48 avril). En échange de la Belgique, des lignes du Rhin et de l'Oglio, il offre une partie du territoire vénitien; l'Autriche n'hésite pas à dépouiller son alliée. Un nuage d'orgueil et de colère a dérobé l'avenir à ces yeux si lucides: rendre à l'Autriche un pied en Italie, c'est remettre au hasard de guerres sans fin le sort d'une nation qui eût pu être fondée au profit de la France. Un pas de plus, Bonaparte était à Vienne; quelques jours encore, Hoche et Moreau l'y joignaient. Déjà Hoche, vainqueur à Heddesdorf, marchait sur Francfort, et Moreau s'avançait par les montagnes Noires. Ils furent arrêtés en plein succès (23 avril), et sans l'enthousiasme du peuple à la nouvelle d'une paix prochaine, le Directoire n'aurait pas ratifié les préliminaires de Leoben.

Bonaparte avait appris par des courriers les atrocités de Vérone, et la vengeance que Kilmaine en avait tirée. Mais les représailles ne lui suffisaient pas; il disait aux députés que Venise osait lui envoyer « Vous m'attendiez pour me couper la retraite; eh bien, me voici!... Je veux faire la loi... Je serai un second Attila... Votre gouvernement est trop vieux, il faut qu'il s'écroule! »> Bientôt, instruit du crime commis au Lido, il déclare la guerre à Venise, et concentre autour des

lagunes toutes les troupes d'Italie. Sous le canon français, le sénat tremble, et propose une réparation et des réformes. La bourgeoisie, toute révolutionnaire, provoque un changement radical, et, le 12 mai 1797, le grand conseil assemblé, abolissant l'antique oligarchie des Dix, institue un conseil municipal. Le doge devient maire. Une garnison française contient la soldatesque et la populace, et une flottille cingle vers les îles Ioniennes pour y prévenir les Anglais. Le coup qui a frappé l'aristocratie à Venise l'ébranle à Gènes, et l'intervention française facilite l'établissement d'une république ligurienne.

De Milan, Bonaparte règne sur la haute Italie entière; il absorbe en lui la force et la splendeur de la France; la considération du gouvernement n'est plus qu'un reflet de sa gloire (4 septembre 1797).

LE 18 FRUCTIDOR.

Longtemps dominés par cette puissance, et fascinés par cette fortune éclatante, il nous faut maintenant retomber dans l'anarchie où flottent le Directoire et les conseils. La réaction avait obtenu la majorité dans les élections de l'an 5, et s'était introduite au Directoire dans la personne de Barthélemy, qui remplaça Letourneur. Le club de Clichy réunissait les opposants et les royalistes. Un complot, révélé par Duverne de Presles, avait été réprimé, sans que les agents principaux pussent être arrêtés; Pichegru, faiseur de dupes, qui savait promettre et recevoir, s'était tenu à l'écart, et, malgré des renseignements précis envoyés par Bonaparte, n'avait pu être inquiété; il présidait impunément le conseil des Cinq-Cents. Émigrés, chouans et prêtres affluaient à Paris et faisaient amender les lois qui les concernaient. L'enthousiaste Jordan demandait le rétablissement du culte, et la hiérarchie ecclésiastique se reformait secretement. Les journaux royalistes parlaient du retour des princes (mai-juillet 1797).

Le Directoire, accusé de tout mal, attaqué dans tous ses actes, très-inquiet de Pichegru, prépara la résistance. Les patriotes formèrent des clubs presque jacobins; un cercle constitutionnel réunit tous les esprits modérés qui ne voulaient ni trahir ni rester neutres; Mme de Staël prêta ses salons aux amis du gouvernement, et Talleyrand fut appelé au ministère.

L'appui des généraux était acquis. Bonaparte, dans une fète donnée à ses troupes, le 44 juillet, jurait « sur les drapeaux guerre implacable aux ennemis de la constitution de l'an 3»; serment depuis oublié. Que lui importaient d'ailleurs les principes du Directoire? il voulait seulement « la ruine du parti dynastique. » (Miot.) Augereau vint, de sa part, apporter à Paris des adresses exaltées. Hoche, appelé par Barras, avait quitté le Rhin; son entrée illégale dans le rayon de Paris exaspéra les Cinq-Cents: Pichegru proposa de réorganiser

les sections en garde nationale; et Laréveillère. président du Directoire, fut entouré d'assassins.

La majorité directoriale, résolue à tout, avoue l'entrée de Hoche, menace les agitateurs, donne à Augereau la garde de Paris, et prépare un coup d'État. Carnot, opposé aux vues de Barras, Rewbell et Laréveillère, persiste à croire que l'on peut contenir le mouvement sans sortir des limites de la Constitution. Il refuse de s'associer à tout acte illégal, le succès en fût-il assuré. Dès lors, son exclusion est résolue.

Pendant la nuit du 17 fructidor (3 septembre 4797), Augereau investit les Tuileries et affiche des proclamations. Pichegru, Boissy d'Anglas, Jordan, Portalis, le directeur Barthélemy, etc., sont arrètés. Les fidèles, assemblés à l'Odéon et à l'École de médecine, décrètent que le Directoire a sauvé la

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patrie, cassent les élections de quarante-huit départements, déportent les prisonniers, ajournent la garde nationale, remettent en vigueur les lois contre les émigrés, nomment directeurs Merlin de Douai et François de Neufchâteau, en remplacement de Carnot, qui se retire en Allemagne, et de Barthélemy. Le gouvernement, revêtu d'un pouvoir absolu, fait banqueroute aux rentiers; il décide que les deux tiers de la dette seront payés en bons sur les bieus nationaux, et que le troisième tiers sera inscrit au grand - livre et ainsi consolidé. Moreau, qui possédait depuis longtemps

les papiers de Pichegru, fut disgracié pour les avoir envoyés trop tard.

Le coup d'État, accompli sans violence et sans enthousiasme, est l'indice d'une indifférence croissante, et prépare la voie à l'audace armée.. Déjà Masséna et Augereau ont brigué la dignité directoriale. La triste mort de Hoche (septembre 4797), peut-être empoisonné, ôte à la république son plus franc défenseur : tout dans la vie de l'illustre jeune homme avait été rapide. Sergent et général dans la même campagne, il mourut en quarante - huit heures. Sa capacité était grande; mais sa fortune fut contrariée, en Irlande par la tempète, par Bonaparte en Allemagne.

LILLE ET CAMPO-FORMIO.

Les préliminaires de Leoben et l'épuisement des finances anglaises avaient décidé Pitt à reprendre des négociations. Des conférences entamées à Lille depuis mai allaient se terminer à notre avantage; pour conserver à l'Espagne et à la Hollande deux colonies, le Directoire refusa le traité. Il faillit de même rompre avec l'Autriche; mais Bonaparte voulait faire la paix et s'en assurer le mérite; il se récria, et tout lui fut abandonné.

La haute Italie, déjà organisée en république cisalpine, avait à Milan un directoire et des conseils. La Valteline, opprimée par les Grisons, avait voulu faire partie du nouvel État. Le goût des armes s'y répandait. Une route, dont les devis étaient faits, devait, par le Simplon et Genève, unir la Lombardie à la France. D'une station navale établie à Corfou, des flottes déjà pourvues d'armes et d'hommes devaient saisir Malte, neutraliser le Cap anglais par l'Égypte française, veiller sur la Turquie.

Bonaparte portait, selon Miot, bien plus haut ses pensées : « Ce que j'ai fait jusqu'ici, disait-il un jour, n'est rien encore. Croyez-vous que ce soit pour faire la grandeur des avocats du Directoire que je triomphe en Italie... ou pour fonder une république? Quelle idée! Il faut aux Français de la gloire; mais de la liberté! Ils n'y entendent rien. Un chef, et non des théories, des discours d'idéologues; des hochets cela leur suffit. » Il régnait, sévère pour l'étiquette, difficile dans le choix de ses convives, déjà fait à l'excès des honneurs. Son impatience despotique et souvent calculée éclata sans mesure à Campo-Formio, dans ses négociations avec l'Autriche.

Comme le plénipotentiaire se refusait à ses exigences, Bonaparte se leva, et, jetant sur le plancher un vase précieux : « La guerre est déclarée, dit-il; mais souvenez-vous qu'avant trois mois je briserai votre monarchie comme je brise cette porcelaine! L'Autrichien stupéfait céda tout ce qu'il refusait, et le traité fut conclu. Les lignes du Rhin et de l'Adige, Mayence et Mantoue, étaient acquises à la France; l'Autriche recevait les possessions et, malgré le Directoire, la ville même de Venise, jusqu'à présent réservée. Les Vénitiens durent ex

pier les crimes de leur gouvernement; Bonaparte les détestait d'ailleurs, et les jugeait mal : « Peuple mou, disait-il, sans terre ni eau! Nous n'en avons que faire.» (Octobre.)

Le traité de Campo-Formio fut porté à Paris par Monge et Berthier, acclamé par le peuple entier, enfin ratifié par le Directoire.

Il fallait s'entendre avec l'Allemagne sur la limite du Rhin; Bonaparte fut chargé d'achever au congrès de Rastadt son œuvre diplomatique. C'était l'arracher à son armée, à son Italie; mais l'homme qui disait : « Il n'y a que deux nations, l'Orient et l'Occident», ne pouvait songer à une royauté lombarde.

De Milan à Rastadt, où il passa peu de temps, sa route fut un triomphe; le concert universel étouffait les cris de Venise livrée. Talleyrand sut le premier son arrivée à Paris, et lui rendit visite. Solennellement reçu par le Directoire, il prononça quelques phrases sèches, sentencieuses, génées. Que pouvait-il dire à ceux qu'il voulait renverser? Le drapeau d'Italie, couvert de noms glorieux, fut accueilli par un enthousiasme unanime : des accolades, des chants, des discours, achevérent la cérémonie.

Une modestie feinte, un laconisme singulier, « une simplicité nullement dans ses goûts », augmentèrent la popularité de Bonaparte. Nommé à l'Institut, il prit l'habit vert et s'entoura de savants. Consulté, flatté, il se tenait à l'écart; mais « on pressentait bien que cet homme si jeune ne pouvait se contenter d'un rôle secondaire » (Raguse); et le Directoire le pressait de former une armée sur les côtes de l'Océan, pour vaincre l'Angleterre après l'Autriche.

Achever l'œuvre de Hoche ne pouvait plaire à Bonaparte, et d'autres projets l'occupaient : « Je ne sais plus obéir, disait-il à Miot... Si je ne puis être le maître, je quitterai la France. » Il proposa au Directoire d'attaquer l'Angleterre en Égypte : l'Égypte conquise valait Saint-Domingue et assurait l'empire de la Méditerranée. Une armée jetée de l'Égypte sur le Gange au secours de TippoSaïb tuait à la fois la puissance et le commerce anglais. Laréveillère trouva l'idée belle, mais l'instant mal choisi. Bonaparte, impatient, menaça de sa démission, sans l'offrir, car elle eût pu être acceptée; enfin l'expédition fut résolue.

Si le Directoire avait cédé au plaisir d'éloigner un serviteur impérieux, il dut s'en repentir. Il s'enlevait son meilleur général et le rendait nécessaire; il menaçait l'Angleterre et hàtait la coalition. Déjà la république était accusée d'envahissement. Le 48 fructidor avait eu son contre - coup en Hollande et en Lombardie, et l'intervention des généraux français'y était constante; à Milan, Berthier épurait les conseils. Enfin, l'assassinat du général Duphot par les dragons du pape, et la tyrannie exercée par les riches cantons sur les Vaudois et les campagnes, entraînèrent l'occupation

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son enthousiasme. « Les grands noms ne se font qu'en Orient», disait-il; et il songeait à César, à Alexandre. Tous ses héros étaient des conquérants: on lui donna les moyens de les imiter. Il eut cinq cents voiles, sa vieille armée d'Italie, des généraux comme Kléber, Desaix, Dugua, Caffarelli; des savants comme Monge et Berthollet.

Bonaparte est à Toulon le 9 mai, enflamme son armée, l'exhorte à triompher sur mer comme sur terre, à l'exemple des Romains. Il met à la voile le 19, enlève par intimidation Malte à l'ordre décrépit de Saint-Jean, évite Nelson qui le cherche jusqu'aux Dardanelles, débarque le 1er juillet, et s'empare d'Alexandrie. Par la pompe orientale de ses proclamations, par son respect du Coran et de Mahomet, il séduit les Égyptiens; il annonce aux autorités turques, aux propriétaires arabes, à la

- D'après Duplessi-Bertaux.

population cophte, la fin de la tyrannie militaire des beys mameluks. Ces mameluks, janissaires chargés par les sultans de surveiller les pachas, étaient devenus tout-puissants; ils s'attribuaient les impôts et rançonnaient les propriétés. Les fellahs, prolétaires arabes, leur servaient d'esclaves et, au besoin, de fantassins.

Bonaparte traverse le désert de Damanhour, atteint les bords du Nil, et rencontre à Chébreiss le bey Mourad. Déconcertés par la solidité de nos carrés, les brillants cavaliers mameluks se replient et nous attendent à Giseh. Leur droite s'appuie au Nil, leur gauche aux Pyramides. Sur, l'autre bord du fleuve, le bey Ibrahim, avec un corps de réserve, garde le Caire. Un mouvement de notre droite attire Mourad; il s'épuise à forcer les carrés hérissés de baïonnettes, et lorsqu'il

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