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paraient à « mourir courageusement. » Toutefois, ils mirent hors la loi Henriot et la commune. Ce mot seul, contre toute attente, paralysa la résolution des artilleurs. La Convention reprit alors résolûment l'offensive; elle fit appel à la « fidélité des sections de Paris », et leur donna Barras pour commandant général : les bataillons réunis par ordre de la commune se prononcèrent pour l'Assemblée. Cependant une foule en armes couvrait la place de Grève; elle paraissait menaçante; mais, comme les artilleurs de Henriot, en entendant publier le décret de mise hors la loi porté contre tous les rebelles, et à la nouvelle que les sections s'étaient déclarées contre Robespierre, les rassemblements se dispersèrent, et les bataillons conduits par Barras investirent sans résistance le palais municipal. Les conjurés se virent perdus. Lebas se tua d'un coup de pistolet; Robespierre jeune se jeta d'un troisième étage; on le releva vivant encore; Couthon fut frappé d'un coup de sabre par un gendarme; Coffinhal accusa Henriot de lâcheté, le précipita par la fenêtre dans une cour et s'enfuit; Saint-Just resta calme; Robespierre, ajusté par un gendarme, eut la mâchoire fracassée; d'après une autre version contestée, il se serait tiré lui-même un coup de pistolet. On les emporta sanglants et défigurés aux Tuileries, prés de la salle de la Convention, et de là ils furent emmenés, le 40 thermidor, à la Conciergerie. Ce jour même, comme ils avaient été mis « hors la lo», le tribunal révolutionnaire se contenta de constater leur identité, ainsi que celle de Henriot et des membres de la commune et du tribunal révolutionnaire arrêtés avec eux. Ils étaient au nombre de vingt-deux aussitôt après, vers quatre heures du soir, ils furent tous conduits à l'échafaud. Robespierre, agonisant, mais dédaigneusement impassible au milieu des malédictions de la foule, mourut le dernier. Une salve d'applaudissements faisait retentir la place du Trône chaque fois que tombait une des vingt-deux têtes.

REACTION CONTRE LE RÉGIME DE LA TERREUR.

Le 44 thermidor, on fit sortir des prisons un grand nombre de détenus, et Fouquier-Tainville fut décrété d'accusation. Carnot, Barère, Lindet, Prieur (de la Côte-d'Or), Billaud, Collot, furent seuls maintenus au comité de salut public; l'Assemblée en écarta les autres membres et les remplaça par Treilhard, Tallien, Fleuriot, etc. Le personnel du comité de sûreté générale fut également modifié. On diminua d'importance et d'autorité les attributions des deux comités; et l'on décida qu'ils seraient désormais renouvelés chaque mois par quart. Le tribunal révolutionnaire subit de même un renouvellement et une réorganisation. La loi du 22 prairial fut abolie. On ne reconstitua point la commune, dont soixante-huit membres avaient été envoyés à l'échafaud le lendemain de la mort de Robespierre. La multitude cessa d'être

payée pour assister aux assemblées de sections. Joseph Lebon, Carrier, furent mis en jugement. On interdit aux jacobins la correspondance de la société mère avec les sociétés affiliées. La réaction contre eux alla plus loin que l'Assemblée. La « jeunesse dorée de Fréron », rédacteur de l'Orateur du peuple, portant « le costume à la victime », armée de bâtons plombés, se mit à poursuivre avec acharnement les clubistes revêtus de « la carmagnole. » Elle envahit leur réunion, et, en réponse aux plaintes des jacobins, la Convention suspendit leurs séances pour qu'il fût procédé à une épuration. Ils

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voulurent se réunir en armes, les « muscadins » les dispersèrent brutalement. Le lendemain les commissaires de l'Assemblée mirent les scellés aux portes du club (24 brumaire). Bientôt les soixantetreize députés du côté droit exclus à la suite du 34 mai furent réintégrés (48 frimaire); ils obtinrent, à leur tour, le rappel de ceux qui survivaient d'entre les girondins proscrits (Isnard, LanJuinais, Louvet, etc.). La constitution de 4793 fut annulée; enfin Collot, Billaud, Barère et Vadier furent mis en prévention comme coupables d'avoir tyrannisé le peuple et opprimé la Convention.

Cependant le peuple souffrait de la disette, la suppression du maximum (3 nivôse an 3, 23 décembre 1794) avait amené les accaparements et l'agiotage le plus effréné. Les assignats, dont il avait été émis pour plus de huit milliards, tombèrent au quinzième de leur valeur nominale. La détresse publique venait en appui au mécontentement provoqué par la rapidité de la réaction. Un mouvement populaire avait eu lieu le 1er germinal; le 42 (1er avril 1795), les faubourgs envahirent l'Assemblée en demandant « du pain, la constitution de 4793, la liberté des patriotes. » Les insurgés ne sortirent que repoussés par les sections aristocratiques. La Montagne affaiblie avait en vain voulu les soutenir. Billaud, Barère, Collot, Vadier, furent condamnés à la déportation dans la Guyane; dix-sept montagnards furent arrêtés. Le 47 floréal (6 mai 1795), FouquierTainville et quinze juges ou jurés du tribunal révolutionnaire et agents de la police furent condamnés à mort. Le 1er prairial (20 mai), une nouvelle insurrection faillit convertir la salle des séances en un champ de bataille. Le président Boissy d'Anglas, demeuré sur son fauteuil, immo

bile et couvert, vit tuer le député Féraud sur les marches de la tribune. On lui présenta la tête de la victime au bout d'une pique; il s'inclina devant cet odieux trophée. L'armée conventionnelle ne parut qu'à onze heures du soir, quand déjà les représentants de la minorité vaincue unis aux insurgés avaient voté le rappel des députés arrêtés depuis thermidor, et la suppression du comité de sûreté générale. La Convention délivrée annula aussitôt les décrets, prononça l'arrestation de seize montagnards, chargea les sections de désarmer « les buveurs de sang. » Les principaux acteurs de cette journée furent condamnés à mort; lè faubourg Saint-Antoine dut livrer ses canons. Le parti montagnard était définitivement défait et presque anéanti.

CAMPAGNES DE 1794 ET 1795.

Sous l'impulsion d'un gouvernement « qui ne demandait ou plutôt n'ordonnait que la victoire », nos armées firent l'immortelle campagne de 1794, et leur élan survécut à la dictature. Pichegru et Jourdan, dirigés par Carnot, envahirent simultanément la Belgique. Le premier battit Clerfayt et le duc d'York à Courtrai et à Hooglède, et les refoula Jusqu'en Hollande. Jourdan remporta sur Cobourg la décisive victoire de Fleurus (26 juin 1794); les Impériaux abandonnèrent Valenciennes et Condé, perdirent Bruxelles, et, toujours repoussés et battus, repassèrent le Rhin; Jourdan prit Cologne et Bonn, donna la main aux armées de la Moselle et du haut Rhin, victorieuses également des Prussiens. Maîtresses de la Belgique, de la rive gauche du Rhin, nos troupes entraient dans leurs quartiers d'hiver, lorsque le gouvernement français, répondant à l'appel des patriotes hollandais, leur ordonna d'aller renverser le stathouder. Le 8 nivôse an 3, par 17 degrés de froid, Pichegru traversa la Meuse gelée avec des soldats à demi nus, sans souliers, sans pain, réduits à camper sous des huttes de branchages; il battit complétement l'armée hollandaise, passa le Wahal sur la glace, et, le désordre se mettant parmi les Anglo-Hollandais, Utrecht, la Haye, Gertruydemberg, Rotterdam, ouvrirent leurs portes. Pendant un hiver « comme on n'en avait pas vu d'exemple depuis un siècle », les soldats républicains, semblables à des « spectres décharnés », attendaient le froid « avec autant d'impatience que d'autres troupes désirent la belle saison... » « Amsterdam vit avec admiration dix bataillons de ces braves sans souliers, sans bas, privés même des vêtements les plus indispensables et forcés de couvrir leur nudité avec des tresses de paille, entrer triomphants dans ses murs, placer leurs armes en faisceaux et bivouaquer pendant plusieurs heures sur la place publique, au milieu de la glace et de la neige, attendant avec résignation et sans un murmure qu'on pourvût à leurs besoins et à leur casernement.» (Jomini.) La flotte du Texel, immobile

dans les glaces, fut cernée par quelques escadrons; « c'était la première fois qu'on eût imaginé de prendre une flotte avec des hussards. » ( Ibid.) Le stathouder s'enfuit en Angleterre, et la « république batave » contracta une alliance avec la république française (24 mai 4795).

L'arinée des Pyrénées orientales avait gagné, le 47 novembre 1794, la bataille de la MontagneNoire, qui avait duré trois jours; Dugommier, tué le second jour, fut remplacé par Pérignon, qui contraignit Figuières à capituler. Moncey, avec l'armée des Pyrénées occidentales, s'empara du Guipuscoa, et s'apprêtait à passer l'Ebre. La Prusse et l'Espagne demandèrent la paix, qui fut conclue à Bale (5 avril et 22 juillet 4795). La Toscane avait traité dès février.

La campagne de 1795 fut moins heureuse sur les bords du Rhin, où Luxembourg et Mayence étaient les seules places de ce côté du fleuve au pouvoir de la coalition. Luxembourg tomba. Jourdan avec l'armée de Sambre et Meuse, Pichegru, avec celle de Rhin et Moselle, devaient agir concentriquement pour faire réussir le blocus de Mayence; mais Pichegru, qui se faisait marchander une trahison par Condé, laissa battre une partie de ses troupes et prendre Heidelberg. Jourdan, tourné par les Autrichiens devant Mayence, se mit en retraite; Pichegru lui-même se rejeta en désordre sur les lignes de Wissembourg: il fut destitué après avoir conclu un armistice.

En Piémont, les deux armées des Pyrénées réunies à celles des Alpes maritimes, sous Scherer et ses lieutenants Masséna et Augereau, remporterent l'importante victoire de Loano (23-24 novembre 4795), qui livra le passage des Apennins et désarma le Piémont.

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L'Autriche, l'Empire et l'Angleterre restaient seuls en ligne. La dernière de ces puissances, voulant ranimer la guerre civile dans nos provinces de l'ouest, débarqua sur les côtes de la Bretagne un corps de 3600 émigrés qui, enfermés par Hoche dans la presqu'île de Quiberon, furent ou écrasés pendant le combat, ou passés par les armes après la capitulation. Mais le principal espoir des royalistes était moins dans les restes de la Vendée ou dans la chouannerie que dans le mouvement antirévolutionnaire devenu royaliste même à Paris, de thermidorien qu'il avait été d'abord. « La perte de la république se tramait publiquement. » Les compagnies « de Jésus » et « du Soleil », formées dans le Midi par Jonard et d'autres députés, faisaient la chasse à quiconque avait pris part à la révolution. Les assassinats de Lyon, d'Arles, de Tarascon, furent aussi odieux que les septembrisades. Enfin, dans Paris, aux émeutes démocratiques répondit l'insurrection royaliste de vendé

miaire.

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Les royalistes, croyant venger le désastre de Quiberon, s'émurent à l'appel de la section Lepelletier; un gouvernement provisoire organisa la révolte; et, le 5 octobre (43 vendémiaire), vingt mille insurgés menacèrent les Tuileries.

Barras, à qui la Convention a remis son salut, cherche un lieutenant qui sache remporter la victoire et lui en laisser l'honneur; il s'adresse au jeune Bonaparte, destitué comme terroriste malgré ses succès à Toulon et en Italie. Bonaparte hésite: «Défendre la Convention, c'est se dévouer à être le bouc émissaire de ses crimes; mais si elle succombe... l'étranger triomphe et nous gouverne en ilotes!» (Mémorial.) Il se décide, et, déclinant le contrôle de trois représentants, prend en main le commandement absolu.

En peu d'heures, il a muni les Tuileries de troupes et de canons, armé le faubourg SaintAntoine, ménagé une retraite vers Samt-Cloud. Les sections de la rive droite, après une vive at

taque, sont mitraillées et battues à Saint-Roch; celles de la rive gauche ne peuvent franchir le pont Royal. L'insurrection est comprimée le soir même.

La cruauté n'était plus dans les mœurs, et la Convention indulgente laissa échapper presque tous les prisonniers. Elle renouvela seulement, avant de se dissoudre, les lois contre les émigrés et les prêtres déportés, proclama la réunion de la Belgique à la France, et décréta une amnistie entière pour tous les faits relatifs à la révolution, ainsi que l'abolition de la peine de mort dès le rétablissement de la paix (26 octobre 1795).

Les conseils institués par la constitution de l'an 3 procédèrent à l'élection des directeurs. Ils choisirent Rewbell, Barras, et, au refus de Sieyes, Carnot; enfin Laréveillére-Lépeaux et Letourneur.

Des divisions éclatèrent de bonne heure au sein du Directoire entre Barras, Rewbell et Laréveillère d'une part, Carnot et Letourneur de l'autre.

Ces deux derniers avaient un profond mépris pour Barras, homme vénal, dissolu, et ne le dissimulaient guère. Ils étaient souvent froissés dans leurs rapports avec Rewbell, esprit rude et chicaneur, et ils en voulaient à Laréveillère, esprit

honnête, mais étroit, de s'être laissé entrainer dans la sphère des deux autres. Du reste, l'opposition était plutôt dans les mœurs et les caractères que dans les principes politiques. La tâche du Directoire était difficile. Il avait pour devoir

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Le Directoire décréta la réduction des assignats au centième du titre, la perception de l'impôt foncier et des douanes en denrées, en numéraire, en assignats réduits; enfin, les capitalistes consentirent à des prêts garantis par des hypothèques spéciales. Bientôt ces mesures devinrent insuffisantes; la planche aux assignats fut brisée, et 800 millions de mandats payables, sans enchère,

13 brumaire an 4 (4 novembre 1795). Installation du Directoire. Les cinq directeurs. D'après une estampe du temps.

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13 brumaire an 4 (4 novembre 1795). - Une audience du Directoire au Luxembourg. D'après Duplessi-Bertaux.

Le plan était vaste, mais divisait les forces et la direction; l'Autriche opposait à nos deux généraux l'archiduc Charles, commandant seul des forces égales.

L'armée d'Italie, victorieuse à Loano (novembre 4795), mais réduite à l'impuissance par l'hiver et la famine, était dispersée vers Nice et Savone, entre la mer et les Apennins. Elle était chargée de conquérir la Lombardie pour l'offrir à l'Autriche en échange des Pays-Bas; mais que pouvaient, contre les forces combinées de l'Autriche et du Piémont, trente mille hommes sans armes et sans vivres? Par bonheur, la misère, loin de les user, les avait endurcis, et Bonaparte quittait pour les commander l'armée de l'intérieur, la cour de Barras, et sa femme, qu'il aimait « à la folie. »>

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LODI ET CASTIGLIONE; WURTZBOURG.

Bonaparte est à Nice le 26 mars 4796. Froidement accueilli d'abord, il relève les cœurs par des

proclamations: « Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage?» et, ne pouvant donner que des promesses, il leur fait entrevoir dans les plaines du Po la gloire et l'abondance.

Déjà le général autrichien Beaulieu a dirigé sa réserve vers les Piémontais - campés à Ceva, et manœuvre sur les Apennins pour en disputer le passage; mais Bonaparte force le col de Montenotte et franchit les monts (12 avril). Il bat à Millesimo les Piémontais, à Dego les Autrichiens, et les sépare au moment où ils se joignaient. Il poursuit les Piémontais chez eux, les atteint à Mondovi (22 avril), prend Cherasco, menace Turiu, se fait remettre Coni, Tortone, Alexandrie. Le Directoire, honoré par l'envoi des drapeaux conquis, reçoit les ambassadeurs et décerne une fète à la Victoire.

Sans perdre le temps à renverser une faible royauté, Bonaparte longe la rive droite du Pô. Pour éviter le passage du Tessin, et transporter la guerre au cœur de la Lombardie, il ne passe

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