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qui les foudroyoient dans un terrain d'environ quatre cents toises de large. Des rangs entiers tomboient morts à droite et à gauche; ils étoient remplacés aussitôt, et les canons qu'ils amenoient à bras, vis-à-vis Fontenoy et devant les redoutes, répondoient à l'artillerie françoise. En cet état, ils marchoient fièrement, précédés de six pièces d'artillerie et en ayant encore six autres au milieu de leurs lignes. Vis-à-vis d'eux se trouvèrent quatre bataillons des gardes françoises ayant deux bataillons de gardes suisses à leur gauche, le régiment suisse de Courten à leur droite, ensuite celui d'Aubeterre, et plus loin le régiment du roi, qui bordait Fontenoy, le long d'un chemin creux, jusqu'à celui où les Anglois se formoient. Le terrain s'élevoit à l'endroit où étoient les gardes françoises. Les officiers des gardes françoises se dirent alors les uns aux autres : «Il faut aller >> prendre le canon des Anglois.» Ils y monterent rapidement avec leurs grenadiers, mais ils furent bien étonnés de trouver une armée devant eux. L'artillerie et la mousqueterie en couchèrent par terre près de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs.

» Cependant les Anglois avançoient, et cette ligne d'infanterie, composée des gardes françoises et suisses et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du roi, s'approchoit de l'ennemi. On étoit à cinquante pas de distance... Les officiers anglois saluèrent les François en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s'étoient avancés, et tous les officiers des gardes françoises, leur rendirent le salut. Milord Charles Hai, capitaine aux gardes angloises, cria: «Messieurs les gardes » françoises, tirez. » Le comte d'Auteroche, alors lieutenant des grenadiers et depuis leur capitaine, leur dit à voix haute: «Messieurs, nous ne tirons » jamais les premiers; tirez vous-mêmes.» Les Anglois firent un feu roulant, c'est-à-dire qu'ils tiroient par divisions; de sorte que le front d'un bataillon sur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon faisoit sa décharge, et ensuite un troisième, tandis que les premiers rechargeoient.» Dix-neuf officiers des gardes tombèrent à cette seule charge, onze officiers suisses, le colonel de Courten, son lieutenant-colonel, et dix-huit de ses officiers. Le premier rang ainsi emporté, le reste se débanda. Les Anglais avançaient à pas lents comme à l'exercice; on voyait les majors appuyer leurs cannes sur les fusils des soldats pour les faire tirer bas et droit. Déjà la tête de la colonne dépassait de quelques centaines de pas Fontenoy et la redoute de Barry, qui la battaient en flanc, et s'avançait au centre même des lignes françaises, longue et pressée et par sa masse même inébranlable, repoussant par un feu terrible toutes les attaques confuses des corps épars d'infanterie et de cavalerie qui se venaient jeter sur elle.

Le maréchal de Saxe, quoique brisé par la ma

ladie, voyait tout, à cheval ou traîné dans une carriole d'osier, et se promenant au pas au milieu du feu. Il passa deux fois sous le front de la colonne anglaise, et, s'assurant qu'à Barry, à Fontenoy, sur toute la ligne du combat, la journée était fort compromise, donna des ordres pour assurer la retraite du roi et de l'armée. L'inaction des Hollandais, qui en passant par Authoin pouvaient donner la main aux Anglais et rendre la victoire décisive et irréparable pour la France, laissait encore au maréchal l'espoir de tenter un suprême effort, dont il ne se dissimulait pas la chance incertaine. Heureusement cette infanterie anglaise, dont la profondeur semblait toujours égale, était elle-même en pleine confusion, tout étonnée de se trouver, sans cavalerie, au milieu des Français, immobile et sans direction, fière pourtant de contenance, et comme en possession du champ de bataille. Ce que des attaques isolées n'avaient pu faire, Maurice de Saxe l'espéra d'un mouvement d'ensemble et bien concerté. Il ne restait en réserve que la maison du roi et quatre canons. On les pointa de manière à prendre en écharpe la tête des ennemis; en même temps une charge générale d'infanterie, de cavalerie, de front et sur les deux flancs, pêle-mêle et dans un entraînement irrésistible, s'abat sur la colonne anglaise. «En sept ou huit minutes tout ce corps formidable est ouvert de tous côtés; le général Ponsomby, le frère du comte d'Albermale, cinq capitaines aux gardes, un nombre prodigieux d'officiers étaient renversés morts. Les Anglais se rallierent; mais ils cédèrent, et quittèrent le champ de bataille sans tumulte, sans confusion, et furent vaincus avec honneur. Le roi de France allait de régiment en régiment; les cris de Victoire! et de Vive le roi! les chapeaux en l'air, les étendards et les drapeaux percés de balles, les félicitations réciproques des officiers qui s'embrassaient, formaient un spectacle dont tout le monde jouissait avec une joie tumultueuse... Le maréchal de Saxe, au milieu de ce triomphe, se fit porter vers le roi, il retrouva un reste de force pour embrasser ses genoux et pour lui dire ces propres paroles «Sire, j'ai assez vécu; je ne souhaitais de >> vivre aujourd'hui que pour voir Votre Majesté >> victorieuse. Vous voyez, ajouta-t-il ensuite, à quoi tiennent les batailles.» (Voltaire.) C'était un grand succès, et qui enivra la France, d'autant mieux peut-être qu'elle le devait moins encore au génie des généraux qu'au courage des soldats (40 mai 1745).

BATAILLES DE RAUCOUX ET DE LAWFELD. SIÉGE

DE MAESTRICHT.

Ce triomphe fit tomber Tournai (22 mai), Gand, Bruges, Oudenarde (10-24 juillet), Dendermonde, Ostende, Nieuport (42-30 août), en mème temps que la victoire de Bassignano, remportée par les Espagnols sur les Piémontais, ouvrait Alexandrie,

Tortone, Parme, Plaisance, tout le Milanais (27 septembre). De son côté, Frédéric, par une succession d'admirables manœuvres et une série de victoires, avait reconquis la Silésie, la Bohème, la Saxe; mais, délaissé par ses alliés lointains, qui 'affectaient de dégager leurs opérations des siennes, il crut le temps venu de traiter, comme il le pouvait, avec l'Autriche, fit renouveler à son profit la 'cession de la Silésie, et reconnut comme empereur François Ier, l'époux de Marie-Thérèse, nouvellement élu (3 janvier 1746). La France se trouva de nouveau isolée, sans un allié en Allemagne, en face de l'Autriche libre de toutes ses ressources, et de l'Angleterre qu'une tentative un moment heureuse du prétendant Charles Stuart avait failli paralyser, mais que la victoire de Culloden dégageait pour toujours de ces dangers et rendait à ses ambitions continentales.

Toutes les forces de Marie-Thérèse se portèrent sur l'Italie, où quarante-cinq mille Autrichiens se trouvèrent bientôt réunis sous la main de Lichtenstein, en face de trente mille Français à peine, commandés par Maillebois, et des Espagnols du comte de Gages. Sans entente, sans plan concerté, les deux corps d'armée, battus à Plaisance (1746, 46 juin), resserrés entre les Autrichiens et les Piémontais, ont peine à se frayer passage sur Tortone par un nouveau combat, et, dans leur retraite précipitée, se réfugient en désordre derrière le Var, laissant Gènes abandonnée ouvrir ses portes à l'ennemi (septembre). La Provence est envahie, Vence, Grasse, livrées au pillage, Antibes bloquée, pendant que les Anglais, jetant six mille soldats sur les côtes de Bretagne, tentaient un coup de main sur Lorient, qu'une terreur panique changeait en déroute. Les mesures énergiques du maréchal de Belle-Isle, surtout le soulèvement irrésistible des Génois contre l'oppression étrangère, délivrèrent la Provence des Autrichiens, qui se haterent de rétrograder, et, de concert avec les Anglais, reportèrent tous leurs efforts contre Gênes; mais des troupes, de l'argent, des ingénieurs, un général, le duc de Boufflers, arrivérent à propos cette fois, de France, pour soutenir et diriger l'enthousiasme populaire, laissant le temps au maréchal de Belle-Isle de s'emparer du comté de Nice, et, par son approche, de débloquer enfin les héroïques Génois.

Pendant qu'au midi les frontières de la France étaient ainsi dégagées et couvertes, le maréchal de Saxe, au nord, poursuivait ses rapides succès. Bruxelles avait capitulé au bout de trois semaines, livrant douze mille soldats hollandais prisonniers (24 février 4746); Anvers, Mons, Charleroi, Namur, se rendirent aux Français avec leurs garnisons. Il ne restait plus qu'à dissiper ou à battre l'armée des alliés, campée en deçà de la Meuse, entre Liége et Maestricht, derrière cinq villages retranchés. Le maréchal de Saxe l'y attaqua, et enleva de vive force Raucoux avec trois des villages qui couvraient le front de l'ennemi (44 octobre);

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mais ce succès resta sans résultat. L'armée battue s'avança même jusqu'à Tongres; les Français, maîtres de tout le pays entre la Meuse et la mer, se mirent en quartiers d'hiver.

Après chaque victoire, Louis XV, qui avait hâte de reprendre sa. banale oisiveté, offrait la paix à l'Europe; mais son désintéressement n'était pas accepté. On regardait toutes ses démarches pacifiques et tous ses ménagements tantôt comme des preuves de faiblesse, tantôt comme des piéges. Le roi se décida enfin à envahir la Flandre hollandaise, toutefois non sans protester qu'il n'entendait pas rompre avec les Provinces-Unies, mais seulement s'assurer d'une garantie, qu'il restituerait, contre l'alliance ouverte prétée à ses ennemis. Un soulèvement populaire, consacré bientôt par les États généraux, répondit à l'invasion en arborant le drapeau du prince d'Orange, nommé, «en considération des tristes circonstances où l'on était, >> stathouder, capitaine et amiral général pour faire face aux dangers suprêmes. Pour la seconde fois, comme en 4672, la Hollande sacrifiait la liberté à l'indépendance. Entrainée à son tour, la Russie envoyait contre la France cinquante vaisseaux et trente-sept mille hommes (juin 1747) stipendiés par l'Angleterre. Maurice de Saxe comptait bien décider les événements avant toute diversion; mais pour investir Maestricht, but désigné de toutes ses manœuvres, et qui lui ouvrait la route de Nimègue, il lui fallait débusquer le duc de Cumberland d'une position formidable qu'il avait prise en avant de Maestricht, à Lawfeld. Il l'y aborda résolûment, chargeant lui-même à la tète de quelques brigades, et, après une lutte sanglante, resta maître du terrain (2 juillet); mais les coalisés purent se replier sans désordre et repasser la Meuse. Dans l'impuissance de mieux faire, Maurice de Saxe envoya sur ses derrières Lowendahl assiéger BergOp-Zoom, ville réputée imprenable, mais dont l'audace française eut bientôt raison. Après trois semaines de tranchée ouverte, les brèches à peine praticables, en pleine nuit, un des forts et deux bastions sont assaillis à la fois, emportés, la ville envahie, ce qui résiste taillé en pièces (16 septembre). La consternation fut extrême dans les Provinces-Unies et dans l'armée des alliés. « La paix est dans Maëstricht», disait le maréchal de Saxe. Il fallut pourtant remettre cette entreprise à la prochaine campagne. Mais dès le printemps suivant on s'y prépara, et le maréchal, par une feinte marche sur Bréda, déroute les combinaisons ennemies et parvient, en présence des quatre-vingt mille hommes du duc de Cumberland, à investir complétement Maestricht des deux côtés de la rivière, sans qu'aucun secours gardat chance d'y pénétrer (avril 4748). La chute de cette ville ne pouvait que précéder la ruine de la Hollande, menacée de désastres plus grands qu'elle n'en eût éprouvé jamais. La paix, repoussée depuis si longtemps, allait devenir une nécessité pour ce pays, et la France de son côté, si facile à la proposer

jusque-là, devait l'accepter avec plus d'empressement que jamais, car ce qu'elle gagnait d'un côté, elle l'avait perdu de l'autre. Ses colonies étaient exposées, son commerce compromis, sa marine de guerre anéantie.

DUPLEIX ET LA BOURDONNAIS.

Dès le début de la guerre, la France se trouvait réduite, avec trente-cinq vaisseaux de ligne, à lutter contre cent trente que possédait l'Angleterre. Attaqué, le 3 mai 4747, à la hauteur du cap Finistère, par dix-sept navires, le marquis de la Jonquière tint tête avec six, pour protéger le convoi qu'il conduisait au Canada; il fut fait prisonnier, mais reçut des Anglais eux-mêmes des témoignages d'admiration. Un autre convoi, de deux cent cinquante voiles marchandes, conduit par de Lestanduère, fut de même attaqué, près Belle-Isle, par l'amiral Hawke, et se sauva tout entier, mais perdit toute son escorte, après un combat acharné. En Amérique, depuis deux ans, Louisbourg, qui avait coûté trente millions à fortifier, et l'île importante du cap Breton, au débouché du golfe Saint-Laurent, étaient au pouvoir des Anglais, qui déjà cernaient le Canada.

Aux Indes, au moins, deux hommes représentaient le génie de la France, qui, s'ils eussent pu s'entendre, ou seulement faire taire des rivalités indignes d'eux, auraient rétabli la fortune, et, par d'éclatants dédommagements de trésors et de gloire, racheté l'honneur compromis et le prestige du pavillon national.

Mahé de la Bourdonnais, enfant de Saint-Malo, comme Duguay-Trouin, embarqué pour les mers du Sud dès l'âge de dix ans (1709), était entré à vingt ans comme lieutenant au service de la compagnie des Indes. Il s'était signalé en prenant une part active à la conquête de Mahé, sur la côte de Malabar, et bientôt, armant pour son propre compte, il avait acquis, par d'habiles spéculations commerciales, une fortune colossale. Nommé en 1735, par le contrôleur général Orry, gouverneur des îles de France et de Bourbon, il y créait tout, les cultures, les arsenaux, les fortifications, des chantiers pour les constructions navales, des casernes, des hôpitaux, des moulins, des boutiques, et son aptitude universelle le rendait tour à tour ingénieur, général, marin, administrateur, industriel ou marchand, et en toutes choses également habile. Aux premiers indices de guerre avec l'Angleterre, il soumit aux ministres des plans qui les frappèrent par leur justesse et l'idée d'un projet où, comme il le dit lui-même, il devait «faire le plus grand coup qu'on ait jamais fait sur mer. » Mais c'est à peine s'il put obtenir trois vaisseaux et deux petites frégates portant quinze cents matelots et cinq cents soldats (avril 1744); encore avait-il ordre de maintenir la neutralité, que l'on espérait voir garder par les Anglais entre les deux compagnies des Indes, et avec la nouvelle de la déclaration de

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guerre il lui fut envoyé injonction formelle de désarmer, quand déjà les vaisseaux anglais s'apprêtaient à tout piller. Lorsqu'on vit le commodore Burnett et le capitaine Peyton arrêter les bâtiments de commerce et s'attaquer aux établissements français, la France était trop loin pour changer ses ordres en temps utile. Tout ce que la Bourdonnais put obtenir, ce fut un seul vaisseau de ligne et quelques bâtiments marchands. A ses frais, il équipa une flotte de neuf vaisseaux, montés par trois mille hommes. Assailli par une violente tempête, il se réfugie sous la côte de Madagascar, avec ses navires désemparés et pour la plupart démåtés, puis en quarante-huit jours, par des prodiges d'industrie et d'opiniâtreté, il se retrouve prêt à tenir la mer et à poursuivre les Anglais. Il les atteint en vue de Négapatnam, dans le golfe de Bengale, les aborde, les bat, et les force à s'aller cacher dans la baie de Trinquemalé, en laissant la mer des Indes libre aux Français (24 septembre 1746). Le vainqueur en profita pour aller mettre le siége devant Madras, principal centre des colonies anglaises.

A cette même époque, l'homme qui commandait les possessions françaises des Indes était JosephFrançois Dupleix, que des étourderies de jeunesse avaient fait s'expatrier pour aller, dans ces établissements lointains ouverts à toutes les audaces, tirer parti du crédit de son père, un des administrateurs de la compagnie des Indes. Il fut ainsi nommé, dès 1720, premier conseiller au conseil supérieur de Pondichéry, et, dix ans après, directeur du comptoir français de Chandernagor. Tout en s'acquittant de ses devoirs d'administrateur avec une habileté infinie et une activité singulière, qui donnèrent tout d'un coup aux établissements qu'il avait mission de diriger un développement extraordinaire, il eut l'idée, comme la Bourdonnais, d'exploiter à son profit le commerce particulier d'Inde en Inde, et d'unir ainsi les intérêts du colon et de la colonie. Lui qui, à son arrivée, n'avait pas trouvé à Chandernagor une seule chaloupe, eut bientôt des chantiers où il put armer quinze bâtiments à la fois. Soixante-douze navires frétés par Dupleix, par ses parents, par ses amis, par les manufacturiers français attirés habilement et du même coup associés à ses spéculations, couraient pour leur compte la mer Rouge, le golfe Persique, Surate, Goa, les Maldives, Manille, toutes les mers où quelque intérêt les pouvait appeler. Depuis douze ans il avait renouvelé toutes les traditions timides du commerce français, et créé, au centre du Bengale, des sources inouïes d'avenir et de prospérités. De si magnifiques résultats firent rappeler Dupleix à Pondichery, en qualité, cette fois, de gouverneur général des colonies françaises de l'Inde (1742). Il fut libre alors de donner l'essor à ses projets dès longtemps médités. Sou plan, qu'il soumit à la compagnie, était de donner pour base à la domination française de grandes possessions territoriales, de la transformer en puissance

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