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par des forces supérieures et réduits à capituler | dans la ville de Lintz; les hordes hongroises, grossies des bandes sauvages de la Drave et de l'Adriatique, inondaient la Bavière; les Autrichiens restaient à Munich. Le typhus, l'indiscipline, la désertion, les rivalités jalouses, entravaient les opérations des alliés, pendant que le prince Charles de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, soutenu par les peuples de la Bohème, commençait une guerre de partisans dans les défilés boisés, inconnus et infestés par ses bandes de Talpaches, de Croates, de houzards et de pandours. Frédéric II menaçait encore la Moravie, et battit les Autrichiens à Czaslau, en Bohême; mais MarieThérèse, saisissant l'occasion d'un sacrifice habile, sut faire sa paix avec le vainqueur, en lui proposant la cession complète de la Silésie. Le traité fut signé à Berlin, le 28 juillet 1742, avec la garantie de l'Angleterre. «Songez à vous; ma partie est gagnée!» dit Frédéric au comte de Belle-Isle.

Tous ces brusques retours des hommes et des choses désorientaient l'esprit routinier du vieux Fleury. Cette guerre, qu'il avait eu tant de répugnance à subir, il eût voulu plus que jamais en rejeter la responsabilité, et écrivit une lettre des plus humbles au général autrichien Koenigseck:

Bien des gens savent, disait-il, combien j'ai été étranger aux résolutions que nous avons prises, et que j'ai été en quelque façon forcé d'y consentir. Votre Excellence est trop instruite de tout ce qui se passe pour ne pas deviner celui qui mit tout en œuvre pour déterminer le roi à entrer dans une ligue qui étoit si contraire à mon goût et à mon principe.» Marie-Thérèse lut la dépêche et la fit imprimer. Fleury s'en plaignit au général, et lui déclara, dans une seconde lettre, «qu'il ne lui écriroit plus ce qu'il pensoit. » Ce nouvel aveu, rendu public, couvrit l'honnête ministre de risée. En même temps, Marie-Thérèse recrutait d'autres alliés. Pendant que l'électeur de Saxe se retirait de la guerre, le roi de Sardaigne prenait parti pour l'Autriche, et l'Angleterre, délivrée enfin de l'administration dépravante de Walpole, en haine de l'Espagne et par jalousie pour la France plus encore que par respect pour son propre honneur, mettait 12 millions à la disposition de Marie-Thérèse, trois flottes dans la Méditerranée, une armée dans les Pays-Bas, ralliait la Hollande à la cause impériale, rejetant sur la France, par cette restauration des coalitions pas sées, tout le poids d'une guerre où, seule, elle n'avait aucun intérêt d'avenir.

Le maréchal de Belle-Isle, harcelé par des forces supérieures, n'avait pu, après d'habiles mancuvres, que se renfermer dans Prague, aussitôt investie, bombardée par les Autrichiens, et que des sorties journalières n'avaient aucune chance de délivrer. Son collègue, le maréchal de Maillebois, qui opérait en Franconie avec quatre mille hommes, avait ordre avant tout d'éviter une action

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décisive, et, ainsi entravé par ses instructions secrètes, ne put que s'emparer d'Egra, préparant du moins par là une ligne de retraite aux assiégés. Belle-Isle, en effet, sortit de Prague (16 décembre 1742); il eût pu s'y maintenir jusqu'au printemps, un ordre du cabinet de Versailles lui enjoignit d'évacuer la ville à tout prix; par des chemins affreux, à travers les glaces et la neige, sans habits, sans vivres, harcelé, traqué par les bandes ennemies, il parvint, après dix journées affreuses, à gagner Egra. Des douze mille hommes qui avaient commencé cette terrible retraite, quatre mille étaient tombés en route de froid ou de faim; le reste arrivait harassé, malade, et le petit nombre de ceux qui revirent la patrie y devaient mourir des suites de leurs souffrances. La France fut longtemps à se consoler de la perte d'un jeune et brave officier, dont la santé chancelante ne se releva pas de ces fatigues inouïes; âme douce et aimante, esprit solitaire et recueilli au milieu du tumulte des camps, dont quelques cuvres, recueillies par lambeaux, ont suffi à consacrer dans les lettres le nom sympathique de Vauvenargues. Chevert, laissé seul à Prague avec les infirmes et les blessés, cut à cœur de n'en sortir qu'en dictant lui-même ses conditions, et ramena à travers l'ennemi son convoi d'invalides au complet.

Quelques jours après ces tristes événements, qui n'étaient pas au moins sans honneur, le cardinal de Fleury mourut à l'âge de quatre-vingt-dix ans, après dix-sept années de ministère. Avec des intentions honnêtes, pour avoir manqué d'initiative et de décision, et à force d'exceller aux ménages de collége et de séminaire, et, qu'on me pardonne ce mot bas, aux ménages de bouts de chandelle» (Saint-Simon), il avait traîné en longueur une guerre qu'il subissait et qu'une résolution hardie eût terminée, et d'une politique de paix à tout prix fait une source incessante de luttes sans fin (29 janvier 1743).

Louis XV déclara de nouveau, comme à l'avénement de Fleury, qu'il entendait régner par luimême, et se contenta pour le prouver de ne point nommer de principal ministre. Il en résulta l'absence complète d'unité dans le gouvernement, à la merci le plus souvent d'un intrigant, le cardinal de Tencin, qui parvint presque à faire regretter le cardinal Dubois, et du vieux maréchal de Noailles, honnête au moins, mais impuissant. Derrière eux et sans titre aucun, un troisième personnage, le duc de Richelieu, courtisan des vices du roi, s'assurait, par sa frivolité même et la cynique insouciance de ses doctrines, une influence qu'il exploitait de son mieux.

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serrait entre ce fleuve et les montagnes, lui coupait les vivres et les passages au-dessus et au-dessous du camp, la bloquait, l'affamait dans Aschaffenbourg. Les ennemis songèrent à retourner en arrière et à se retirer sur Hanau; mais le maréchal n'avait pas manqué de jeter des ponts sur leur route qu'il connaissait, et, pendant que des batteries dominaient de la rive gauche tous les mouvements des Anglais, les escadrons de la maison du roi, les dragons, les hussards, passant le fleuve, allaient

prendre position derrière Dettingen, en deçà d'un ravin profond où les Anglais devaient pénétrer. Un autre corps occupa Aschaffenbourg, sur la piste de ces derniers qui en sortaient et qui se trouvaient ainsi enfermés entre deux chances désespérées.

Le maréchal, au moment d'aller donner un dernier coup d'œil au dernier mouvement des troupes, recommanda au duc de Grammont, son neveu, lieutenant général et colonel des gardes, d'attendre que l'ennemi vint lui-même se livrer:

« On ne devoit fondre sur eux qu'avec un avantage certain; le roi d'Angleterre pouvoit être pris luimême; c'étoit enfin un de ces moments décisifs qui sembloient devoir mettre fin à la guerre.» Mais à la vue du premier bataillon anglais Grammont partit comme un fou, franchit le ravin, et força du même coup les batteries françaises à éteindre leur feu qui, depuis trois heures, mitraillait les masses anglaises. C'en était fait de cette belle combinaison de Noailles, qu'un moment d'impatience avait déjouée. La maison du roi à cheval, les carabiniers d'abord, enfoncèrent par leur impétuosité deux lignes entières d'infanterie, mais ces lignes se reformèrent en un moment et enveloppèrent les Français : « On voyait ici une troupe de gens d'armes, là une compagnie des gardes, cent mousquetaires dans un autre endroit, des compagnies de cavalerie s'avançant avec des chevau- légers, d'autres qui suivaient les carabiniers ou les grenadiers à cheval et qui couraient aux Anglais le sabre à la main... Le combat dura trois heures, mais il était trop inégal: le courage seul avait à combattre la valeur, le nombre et la discipline. (Voltaire.) Noailles ordonna la retraite (27 juin 4743). Les pertes pourtant restaient égales des deux côtés, et les Français auraient pu reprendre l'offensive; mais la retraite de Broglie sur le Rhin entraîna celle de Noailles, qui dut se borner à couvrir l'Alsace. Déjà des partis de Croates et de pandours, pénétrant jusque par delà la Sarre, entamaient les frontières de la Lorraine, et le féroce Mentzel, leur chef, faisait annoncer aux habitants qu'il pendrait les récalcitrants, « après les avoir forcés à se couper eux-mêmes le nez et les oreilles. »

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C'est à ce moment que Louis XV vint se montrer aux troupes toujours exaltées par la présence de. leur roi. Il était alors sous l'influence nouvelle d'une quatrième sœur de la maison de Nesle, Mme de la Tournelle, récemment nommée duchesse de Châteauroux. Belle entre toutes, et jalouse autant que belle, elle avait commencé par s'assurer le cœur de son royal amant sans partage par le renvoi définitif de Mme de Mailly, son aînée; puis, sentant tout son pouvoir et prise de sentiments de fierté et presque de patriotisme, elle s'essayait à tirer de ce prince, «qui n'avoit jamais marqué de volonté et à qui tout paroissoit égal, quelque retour d'énergie virile et quelque émulation généreuse. Une activité inconnue s'était tout d'un coup emparée de tous les esprits. Pendant que le comte d'Argenson, secrétaire d'État de la guerre, réorganisait les services intérieurs des vivres militaires et du recrutement, Maurice de Saxe, fils naturel d'Auguste II, roi de Pologne, et dont le génie et dix ans de services signalés allaient lui conquérir, malgré son titre de protestant, le bâton de maréchal de France, introduisait dans l'armée française la réforme de l'armement et de la discipline, si heureusement accomplie déjà dans l'armée prussienne. Il prépa

rait ainsi ses victoires futures, pendant qu'un traité nouveau, conclu secrètement à Francfort (5 avril 1744), réunissait dans une alliance commune la France, la Prusse, l'empereur, la Suède et l'électeur palatin.

Une tentative isolée contre l'Angleterre n'avait pas abouti. Le prince Charles - Edouard, fils aîné de Jacques III, rappelé de Rome pour diriger une flotte de vingt et un vaisseaux et vingt-quatre mille hommes de débarquement, ne put qu'avancer en vue des côtes, protégées par des vaisseaux anglais et par une violente tempête (janvier 4744). Tout l'effort se reporta contre les Pays-Bas, où se dirigèrent deux armées l'une de soixante mille hommes, commandée par Noailles; l'autre de quarante-cinq mille hommes, manœuvrant, avec le maréchal de Saxe, pour les couvrir. Le rol et Mme de Châteauroux vinrent joindre l'armée de Noailles, et, dès les premiers jours, y reçurent les députés des Hollandais. Le roi prend Courtrai et Menin en présence des députés (18 mai-5 juin); Ypres se rend le 25 juin, Furnes le 14 juillet. Au milieu de ces succès que rien ne semblait devoir arrêter, la nouvelle arrive de l'entrée des Autrichiens en Alsace, en Lorraine, de la prise de Lauterbourg, même de Weissembourg, reprise pourtant, puis abandonnée par le maréchal de Coigny, que l'invasion force à se replier jusque sur Strasbourg.

Louis XV, sans hésiter, envoie en avant le maréchal de Noailles et prend le parti d'aller droit à l'ennemi; ce bon mouvement transporte la France d'enthousiasme. Le 5 août (1744), il est à Metz; le 7, il y reçoit le maréchal Schmettau, qui, de la part du roi de Prusse, venait annoncer au roi de France que son nouvel allié, devançant ses engagements, marchait sur Prague avec quatrevingt mille hommes, en envoyait vingt-deux mille en Moravie, et par cette diversion allait forcer les Autrichiens à quitter précipitamment l'Alsace, et dissiper tous les dangers présents. Le lendemain, le roi ressentait les premiers frissons d'une fièvre qui, dès la nuit du 44, le mit à l'extrémité. Coup sur coup, ces nouvelles si étranges et si diverses, répandues par toute la France, y produisirent, à Paris surtout, les manifestations les plus exaltées. «On se lève, tout le monde court en tumulte sans savoir où l'on va. Les églises s'ouvrent en pleine nuit; on ne connaît plus le temps ni du sommeil, ni de la veille, ni du repas. Paris était hors de lui-même; toutes les maisons des hommes en place étaient assiégées d'une foule continuelle; on s'assemblait dans tous les carrefours. Le peuple s'écriait : «S'il meurt, c'est pour avoir marché à >> notre secours. » Tout le monde s'abordait, s'interrogeait dans les églises sans se connaître. Il y eut plusieurs églises où le prêtre qui prononçait la prière pour la santé du roi interrompit le chant par ses pleurs, et le peuple lui répondit par des cris. Le courrier qui apporta le 49 à Paris la nouvelle de la convalescence fut embrassé et presquo

étouffé par le peuple; on baisait son cheval, on le menait en triomphe. Toutes les rues retentissaient d'un cri de joie «Le roi est guéri!»> Quand on rendit compte à ce monarque des transports inouïs de joie qui avaient succédé à ceux de la désolation, il eu fut attendri jusqu'aux larmes; et, en se soulevant par un mouvement de sensibilité qui lui rendait des forces : « Ah! s'é» cria-t-il, qu'il est doux d'être aimé ainsi! et » qu'ai-je fait pour le mériter?» (Voltaire.) De

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fait, lui seul avait raison; cet enthousiasme irréfléchi de toute une nation pour un roi indigne devait être la dernière fete de la monarchie, et le surnom de Bien-Aimé, que Vadé, le poète favori des halles, accolait au nom de Louis XV, allait poursuivre le prince, comme un reproche amer, jusqu'au bout des hontes de son règne.

Profitant du désarroi causé par la maladie du roi de France, le prince Charles, qui avait passé le Rhin malgré Noailles, le repassa presque sans perte

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sait sous le couvert de pudeur et de vertu le renvoi de la duchesse de Châteauroux; mais, à peine la peur de la mort éloignée, Louis XV n'eut rien de plus pressé que de rappeler sa fière maîtresse, qui, à son tour, exigea l'exil de ses ennemis. Un triomphe éclatant lui était promis, quand la joie même de ce succès presque inespéré développa en elle les germes d'une maladie inflammatoire. Le 8 décembre 1744, Mme de Châteauroux était morte; et ce fut bientôt dans la cour un concours d'ardeur cynique à remplacer la favorite disparue. «Les hommes ambitionnoient l'honneur d'en présenter une, leurs parentes, s'ils pouvoient; les femmes, celui d'ètre choisies.» (Duclos.) Dans les fètes qui furent célébrées à Paris pour le mariage du Dauphin, on commença à parler d'une jeune femme nommée Mme d'Étiolles, femme de M. le Normand, seineur d'Étiolles, près Corbeil, qui est dans les sous-fermes... Elle a vingt-deux ans, et est réellement une des jolies femmes de Paris. On dit que le roi l'avoit vue à la chasse dans la forêt de Sénart, et que depuis elle a été à tous les bals et à toutes les fêtes de Versailles; ce qui a fait présumer qu'il y avoit quelque chose de particulier, quoique sans rien de marqué.» (Barbier.) Le mois suivant (avril 4745), elle occupait à Versailles l'appartement qu'avait Mme de Mailly, « en sorte que cela fait maîtresse déclarée. Le roi soupe dans son appartement avec Mme la duchesse de Lauraguais et la marquise de Bellefond, et les seigneurs favoris, comme le duc d'Ayen, le duc de Richelieu, le duc de Boufflers et autres; ce sera dans peu des princesses et dames de la cour à qui y soupera... Cette dame d'Étiolles est bien faite et extrêmement jolie, chante parfaitement et sait cent petites chansonnettes amusantes, monte à cheval à merveille et a eu toute l'éducation possible.» Nommée marquise de Pompadour, la nouvelle maîtresse fut bientôt la dispensatrice des graces, des honneurs et des trésors de la France, et devint, comme elle l'avait prétendu, «un personnage d'État.» Seulement, le temps était déjà passe de ces instincts d'ardeur patriotique et de velléités généreuses que Mme de Châteauroux parvenait à réveiller dans le cœur inerte du roi; ce ne fut plus qu'une politique de coquetterie et de vanité, de fantaisie prodigue ou d'élégante indifférence accessible à tous les caprices et à toutes les frivolités, qui, sinon tout d'un coup, au moins après la guerre, établit à la cour de France le règne, comme l'écrivait brutalement Frédéric, « des cornettes et des cotillons. >>

Sur ces entrefaites, l'empereur Charles VII était mort (20 janvier 4745). Son fils, jeune homme de dix-sept ans, que son âge excluait de l'empire, achète la paix, en renonçant, moyennant la restitution de ses domaines, à toutes prétentions à la succession d'Autriche, et en engageant mème sa voix pour l'élection du grand-duc de Toscane, François-Étienne (22 avril). La France n'avait plus dès lors d'intérêt à la guerre; elle offrit la

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les excès de tous genres, il semblait incapable de rejoindre l'armée; mais le moment était suprême : «Il ne s'agit pas de vivre, dit-il à Voltaire, mais de partir. » Le 25 avril, soixante-quinze mille hommes investissaient Tournai, qu'une armée des coalisés se hâtait de secourir.

Le roi et le Dauphin venaient d'arriver au camp, lorsqu'on annonça l'approche de soixante mille Anglais, Hanovriens et Hollandais. Le maréchal de Saxe, laissant vingt mille hommes devant Tournai, alla s'établir dans une plaine triangulaire, appuyant sa droite à Anthoin et à l'Escaut, son centre à Fontenoy, sa gauche au bois de Barry; les deux villages et le bois étaient garnis de cent pièces de canons comme un vaste camp retranché, et flanqués de redoutes. La canonnade commença de part et d'autre dès six heures du matin. Une des premières volées emporta le duc de Grammont. Les Anglais attaquèrent trois fois Fontenoy par leur gauche, mais ne parvinrent pas à dépasser la ravine d'Anthoin, et les Hollandais, qui essayèrent à deux reprises d'aborder les redoutes françaises de droite, n'osèrent bientôt plus s'y présenter. A leur seconde attaque, d'un escadron

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