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verain, et celui-ci le récompensa du succès de son expédition, qui avait été fructueuse, en lui concédant le gouvernement de ces îles à titre de souveraineté féodale. Jean de Braquemont, devenu ainsi prince des Canaries », se lassa cependant bientôt d'une dignité que n'avaient nullement reconnue les indigènes par qui les Canaries étaient habitées, et se démit de sa principauté en faveur d'un autre gentilhomme normand, son parent, Jean de Béthencourt. Celui-ci obtint la royauté africaine des sept iles Fortunées en échange de quelques bonnes terres qu'il possédait en basse Normandie. Il partit du port de la Rochelle, le 1er mai 1402, à la tête d'une sorte de

Cependant un simple marin, doué d'un esprit profondément scientifique et d'un cœur enthousiaste, avait déjà surpassé Vasco de Gama dans la voie des grandes découvertes. Il avait conjecturé qu'au lieu de chercher la route des Indes à l'est, comme les Portugais, on devait les rencontrer plus aisément et plus promptement en naviguant droit à l'ouest. Cet homme, « qui mérita par ses admirables élans vers l'unité du genre humain en Dieu d'être choisi pour relier les deux moitiés du globe » (H. Martin, vii, 294), était Christophe Colomb, né sur le territoire de la république de Gènes, vers l'an 4440. Pendant vingt ans il mûrit sa pensée, il étudia les anciens qui parlaient de la forme sphé-petite cour féodale, de quelques vaillants chevaliers rique de la terre, il consulta les savants de son temps, il eut soin de recueillir jusqu'en Islande les anciennes traditions scandinaves sur la découverte du Groenland au dixième siècle, et lorsqu'il fut fort de toutes les données qui assuraient à son hypothèse un certain degré de certitude, il l'offrit à ceux qui étaient assez puissants pour lui fournir les moyens de la vérifier. Personne ne le comprit : Gènes sa patrie, Venise encore la reine des mers à cette époque, le Portugal, repousserent son projet. On le traitait de fou. Il écrivit vainement aux gouvernements de France et d'Angleterre. Enfin le roi et la reine d'Espagne, Ferdinand le Catholique et Isabelle, après huit années d'hésitations et de délais, lui accordèrent trois navires, avec lesquels il s'embarqua à Palos, en Andalousie, le 3 août 1492. Au bout de soixante-cinq jours de navigation, Colomb rencontra, non pas, comme il le crut, l'archipel du Japon, mais une moitié de la terre jusque-là ignorée de l'autre. Il aborda à l'île de Guanahani (San-Salvador), l'une des îles Lucayes, à l'entrée du golfe du Mexique, puis découvrit les grandes Antilles, et revint en Espagne au mois de mars 1493.

Deux ans après, un navigateur vénitien au service du roi d'Angleterre, Jean Cabot, pensant avec raison qu'on arriverait plus rapidement encore par la route du nord-ouest, sortit du port de Bristol et dirigea une expédition qui reconnut le continent septentrional du nouveau monde, et s'arrêta sur la côte du Labrador.

Si l'on en croyait les Dieppois et les Rouennais, leurs aventureux marins auraient précédé d'un siècle la première arrivée des Portugais à la côte de Guinée, et touché la terre du Brésil un peu avant la grande découverte de Colomb. Mais leurs prétentions ne reposent que sur des traditions. Ce qui est plus certain, c'est qu'un Dieppois nommé Robert de Braquemont, étant amiral de Castille, fut chargé en cette qualité de reconnaître l'extrémité des côtes du Maroc. On était en 1392. Dans le cours de cette expédition, l'amiral aborda aux îles Canaries. Ce n'était pas une découverte, car elles étaient bien connues des navigateurs espagnols et portugais; les anciens eux-mêmes les avaient visitées et leur avaient donné le nom d'iles Fortunées; mais l'amiral de Castille en prit possession au nom de son sou

de ses amis, et d'une armée de deux cent cinquante hommes. Il fallait, en effet, commencer par soumettre les sauvages. En arrivant à Lanzarote, la première des Canaries qui se présente au nord, Béthencourt n'avait plus en fait de soldats que cinquantetrois hommes. Cependant il occupa cette première île, s'y maintint, éleva quelques fortifications où sa garnison put se mettre à l'abri, et repartit seul pour aller quèter des secours en Europe. Les conseillers de Charles VI ne voulurent ou plutôt ne purent rien lui accorder; Henriquez III, roi de Castille, lui fournit un navire et quatre-vingts hommes; le pape Innocent VII, qu'il alla trouver à Rome, voulut bien créer, à sa demande, un évèché des Canaries. A son retour, il fit la conquête de la deuxième île de ses États, Fuerteventura, après quoi sa puissance resta stationnaire durant une douzaine d'années. En 4417, il revint en Normandie avec une suite de soixante-cinq personnes, montée sur deux petits bâtiments qui débarquèrent à Harfleur. Les Normands accueillirent leur compatriote comme un triomphateur et un grand roi. Tous ses amis et ses vassaux d'autrefois voulaient repartir avec lui pour aller dans son île. Il en emmena cent soixante, dont vingt-trois avec femmes et enfants, et, de retour à Lanzarote, il se trouva assez fort pour s'emparer de deux autres îles, l'île de Fer et Gomera. Enfin il revint en France en 4425, et y mourut. Son neveu Matthieu de Béthencourt lui succéda; mais il fut dépossédé, moitié de gré, moitié de force, par les Espagnols, à qui la proximité de ces Normands commençait à déplaire.

Un capitaine dieppois nommé Cousin passe pour avoir touché quelque terre australe vers 1488; un autre, Vincent Pinson, qui avait accompagné Co lomb dans son premier voyage, entra dans le fleuve des Amazones en 1499; un troisième, Binot Paulmier, de Gonneville, doubla le cap de Bonne-Espérance en 4503, six ans après Vasco de Gama; les frères Jean et Raoul Parmentier, de la meme ville, familiarisaient leurs compatriotes avec la navigation de la mer des Indes dès le commencement du seizième siècle. Les marins de Honfleur faisaient le voyage de Terre-Neuve en 4498, deux ans après la découverte de cette contrée; ceux de Rouen les y suivirent; ceux de Saint-Malo, sous la conduite de Jean Cartier, pénétrant dans l'Amérique du Nord,

fondaient les établissements de la Nouvelle-France et du Canada. Ainsi aux légions de pèlerins et de guerriers qui, pendant plusieurs siècles, s'étaient constamment dirigés vers la Palestine, succédaient des voyageurs qui s'engageaient avec ardeur sur toutes les routes inconnues du globe.

L'esprit nouveau ne montrait pas moins de hardiesse et d'impatiente curiosité dans ses explorations du monde intellectuel. On le vit sonder d'un regard plus libre et d'une volonté plus énergique les traditions et les enseignements du passé. L'organisation de l'Église et les dogmes mêmes du christianisme commençaient à être un objet d'examen et de contestation, non plus pour quelques penseurs isolés, sûrs d'avance d'expier sur les bûchers leur audace, mais pour des masses chrétiennes tout entières. Luther était né en 1483. En même temps, l'étude plus approfondie des doctrines d'Aristote, de Platon et des autres chefs d'école de l'antiquité, préparait des hommes d'une intelligence supérieure à poser les fondements de la philosophie moderne.

Les beaux-arts enfin, qui sont aussi l'expression des sentiments généraux, jetèrent un vif éclat sur cette période de l'histoire. On a quelquefois attribué trop exclusivement leur épanouissement en France à l'initiative de l'Italie. On a vu dans le cours du précédent volume comment, à mesure que notre génie national s'était avancé à travers les siècles, nos artistes, ainsi que nos lettres, avaient toujours été de plus en plus intelligents, de plus en plus capables de grandes œuvres, sans avoir besoin de demander à l'Italie les premières notions du bon goût. Mais il est juste de reconnaître que le voyage chevaleresque de Charles VIII à Milan, å Florence, à Rome, à Naples, en 4495, puis les expéditions de Louis XII et de François Ier dont le récit va suivre, eurent chez nous une grande influence. Elles électrisèrent les soldats comme les chefs, et la nation elle-même se montra dès lors, non plus par les œuvres de quelques esprits d'élite, mais par l'intelligence publique, une amie passionnée des grands souvenirs et des belles choses. L'aspect de l'Italie, de ses élégantes cités brillant sous un ciel admirable, des chefs-d'œuvre de l'antiquité qu'elle avait conservés quand elle seule les aimait, le contact de sa population d'artistes et de poëtes, saisirent nos pères comme ces parfums étrangers qui enivrent. Ce n'était pas la première fois que les armées françaises voyaient l'Italie, mais pour la première fois elles étaient capables de la comprendre.

Leur admiration ne trouvait pas de termes assez pompeux pour s'exprimer, et avec cette légèreté caractéristique dont l'histoire gauloise fournit tant de preuves, commence aussitôt à poindre un injuste dédain pour les œuvres purement françaises. Le cardinal Briçonnet écrivait de Naples à la reine Anne de Bretagne : «Madame, je vouldroye que vous eussiez veu ceste ville et les belles choses qui y sont, car c'est ung paradis terrestre. Le roy, de

sa grâce m'a voulu tout monstrer à ma venue de Florence et dedans et dehors la ville; et vous asseure que c'est une chose incréable que la beaulté de ces lieux bien apropriez en toutes sortes de plaisances mondaines. Vous y avez esté souhaitée par le roy. A ceste heure icy il n'estime Amboyse, ne lieu qu'il ait par dela. » — Avant que le roy entrast en la ville de Capoue, écrit un autre, il a couchié une nuyt à Poge-Royal, qui est une maison de plaisance que le roy Ferrand et ses prédécesscurs ont fait faire, qui est telle que le beau parler de Chartier, la subtilité de maistre Jehan de Meun et la main de Fouquet ne sauroient dire, escripre ne paindre. » - Charles VIII lui-même écrivait de son côté au duc de Bourbon, son beau-frère (28 mars 4495): «Vous ne pourriez croire les beaulx jardins que j'ay en ceste ville, car, sur ma foy, il semble qu'il n'y faille que Adam et Eve pour en faire ung paradis terrestre, tant ils sont beaulx et plains de toutes bonnes et singulières choses, comme j'espère vous en compter dès que je vous voye. Et avecques ce j'ay trouvé en ce pays des meilleurs paintres, et auxdits vous envoyerés pour faire aussi beaulx planchiers qu'il est possible, et ne sont les planchiers de Bauxe, de Lyon et d'autres lieux de France en rien approchans de beaulté et richesses ceux d'icy. Pourquoy je m'en fourniray et les mèneray avecques moi pour en faire à Amboyse. »

LOUIS XII.

Charles VIII n'avait pas laissé d'enfants. Trois fils et une fille que lui avait donnés Anne de Bretagne étaient morts au berceau.

«Estant déceddé Charles VIIIe en la fleur de son aage et de ses prouesses et victoires, luy avoi succeddé au royaume Louys XIIe, duc d'Orléans, en tout heureux présaige et acclamation de tous les subjectz ; et lequel à son avénement (1498) se demonstra tant benin et clément qu'il ne mit hors de charge et office et diguité aucun de ceux qu'il y treuva et qui en avoient été honnorez par son prédécesseur, encores que du vivant de son dict prédécesseur ilz luy eussent faict plusieurs outrages; de sorte qu'on ne treuvoit rien changé en l'estat des affaires et du royaume, forz que à un prince très-libéral estoit succeddé un roy très-prudent.» (Humb. Vellay.)

La prudence, la modération, la bonté, tels furent en effet les traits principaux de ce règne. Duc d'Orléans, Louis avait été le chef turbulent des grands vassaux et l'ennemi armé de la monarchie. Roi de France à son tour, il fut le premier représentant du gouvernement incontesté et unitaire qui devait régir la France jusqu'en 1789, et imposer pendant trois siècles aux institutions, aux mœurs, aux tendances du pays, cette discipline, toujours lourde à supporter, particulière à la monarchie absolue. Louis XII tempérait du moins l'iniquité d'un pouvoir sans bornes par la doaceur de ses qualités personnelles. Il accueillit généreusement tous ceux qui avaient été ses enne

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laisser prendre pied ce monstre infernal de vengeance. » Il combla de faveurs son ancienne ennemie Anne de Beaujeu et toute la maison de Bourbon. Le sire de la Trémouille, qui avait perdu en Charles VIII un ami et qui jadis avait fait le duc d'Orléans prisonnier à la bataille de Saint-Aubin du Cormier, se lamentait doublement. « Mais tout vint au contraire de son ymaginacion, car ledit duc d'Orléans, incontinent après le décès dudit roy Charles et avant son couronnement, manda ledit seigneur de la Trémouille, et de son propre mouvement, sans aulcune requeste, le confirma en tous ses états, offices, pensions et biensfaictz, le priant luy estre aussi loyal que à son prédécesseur. » (J. Bouchet.) Les bourgeois de la ville d'Orléans, se rappelant qu'il n'avait pas eu à se louer d'eux lorsqu'il était prisonnier dans leurs murs, lui envoyèrent timidement des députés chargés de solliciter son pardon; ce fut à eux qu'il fit cette réponse restée célèbre : « Qu'il ne seroit décent et à honneur à un roi de France de venger les querelles, indignations et inimitiés d'un duc d'Orléans, et qu'il oublioit le passé et les retenoit pour ses bons et loyaux sujets. » (Nicol. de Lange.)

«L'affaire qui plus fist d'ennuy à l'esperit du roy, au commancement de son règne, fut que dès ses jeunes ans avoit espousé Madame Jehanne de France, fille du feu roy Louis XI, par la crainte d'iceluy roy qui sévère estoit à ceux de son sang plus que la raison ne vouloit.» (J. Bouchet.) « Laquelle dame, dit un autre chroniqueur, estoit princesse accomplie de tout honneur et vertu, mais difforme, en ce qu'elle estoit bossue. » (H. Vellay.) Ce mariage, que Louis XII avait contracté à l'age de quatorze ans, était complétement stérile, quoiqu'il durat depuis vingt-deux années. Les répugnances et l'infidélité du mari ne pouvaient pas en autoriser la rupture, mais les raisons d'État y fournirent largement prétexte. La veuve de Charles VIII s'était retirée dans son duché de Bretagne. D'après les clauses de son contrat de mariage, elle en reprenait l'autorité souveraine; mais elle ne pouvait donner de nouveau sa main qu'au successeur de Charles VIII ou à l'héritier présomptif de la couronne. Le mirage de cette combinaison, à l'effet duquel se joignaient les gràces de la belle duchesse, éblouit la raison juste et droite de Louis XII. II s'assura du consentement d'Anne, acheta la connivence du pape (Alexandre VI), et entama contre son épouse un procès en divorce par-devant trois commissaires du saint-siege complétement à sa dévotion: l'un était l'évèque d'Albi, Louis d'Amboise, frère de son principal conseiller; l'autre, un évêque du Mans; le troisième, un Italien. On invoquait pour faire casser le mariage : la proximité des deux époux, qui étaient parents au quatrième degré; la fraternité spirituelle créée entre eux par suite de ce que le père de la femme avait été le parrain du mari; la contrainte qui avait présidé au mariage, il est vrai, mais contre laquelle ni l'un i l'autre des époux n'avaient jamais réclamé; enfin la

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difformité physique de l'épouse, qui la rendait incapable, disait-on, d'être mère. Aucun de ces motifs n'était sérieux. Jeanne de France se défendit noblement, simplement, en s'attachant à la vérité par devoir de conscience, et elle eût gagné sa cause si les juges n'eussent d'avance prononcé. La nullité du mariage fut déclarée par les commissaires le 17 décembre 4499, et «< licence donnée par autorité

son décès, Dieu a fait plusieurs miracles ès personnes, d'aucuns malades qui l'ont priée et réclamée. » (J. Bouchet.)

Tout en faisant régler à son gré cette grande affaire, Louis XII s'efforça d'alléger la charge des impôts qui pesaient sur le peuple, d'introduire de sages réformes dans l'administration de la justice, et de porter au delà des frontières de la France l'humeur guerrière de sa noblesse. Il parvint à réaliser à peu près cette utopie de tous les Valois, qu'il avait été jusque-là impossible d'atteindre et qu'on ne revit plus après lui, de faire vivre la royauté du revenu de son domaine sans demander de subsides. L'ordonnance de Blois, sorte de code comprenant cent soixante articles, rédigée sous l'influence du chancelier Gui de Rochefort et publiée au mois de mars 4499, amenda de grands abus judiciaires; elle soumit les magistrats à des examens de capacité et à une certaine discipline; elle obligea les notaires à donner des garanties de la sincérité de leurs actes, et les procureurs ou huissiers à modérer leur zèle. On réprima aussi les priviléges exorbitants de l'Université de Paris, dont il résultait «d'incommensurables fautes et abus »>; car vingt-cinq mille personnes dans cette ville trouvaient un moyen assuré de se soustraire à l'action des tribunaux en invoquant le titre d'étudiants, quoiqu'il n'y eût pas plus de cinq à six mille étudiants véritables. Ce fut l'occasion d'une émeute qui gronda dans Paris, mais qui trouva le roi et son ministre Georges d'Amboise pleins de fermeté.

Enfin Louis XII s'assura la neutralité de ses voisins, surtout celle de l'empereur Maximilien, qui avait fait quelques démonstrations hostiles en Franche-Comté, et il put dès lors se livrer entièrement, comme Charles VIII, à ses espérances de conquête en Italie. Il prétendait faire valoir les droits de ses prédécesseurs au royaume de Naples, et ceux qu'il tenait personnellement du chef de sa grand'mère, Valentine, sur le duché de Milan. La jurisprudence féodale pouvait autoriser ces sortes de revendications, et une sorte de fièvre aveugle entraînait le Nord à vouloir s'approprier l'Italie; mais c'était une voie injuste et fausse où la France consuma trois

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Anne de Bretagne assistée de sainte Anne, de la Bretagne générations pour ne réussir à fonder, par ses dé

et de la Religion.

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Miniature tirée du livre d'heures d'Anne de Bretagne conservé au Musée des Souverains, au Louvre (1).

apostolicque au roy Loys de povoir prendre par mariage telle femme que bon luy sembleroit. Après laquelle sentence donnée, il espousa madame Anne, duchesse de Bretaigne, et bailla pour appanage à madame Jehanne de France le duché de Berry avec beau et honneste train qu'il luy entretint jusques à son décès, qui fut en l'an 1505, en la ville de Bourges, où elle fit tousjours depuis sa principalle résidence et vesquit en si grant saincteté que, après

(') Cette gravure a été exécutée d'après une photographic de la miniature.

sastres, que l'oppression espagnole et allemande sur cette terre maternelle qu'elle devait plutôt protéger. La France s'était jusqu'alors augmentée sans cesse, et comme par instinct, en absorbant successivement dans son vaste sein tous les membres épars de la famille gauloise; il lui restait à compléter son œuvre en s'assimilant peu à peu la Belgique, la Suisse et la Savoie. Mais l'enthousiasme de la renaissance l'éblouit; elle se trompa de route, et son grand travail de fusion du sang gallofrank s'arrêta; il resta imparfait et inachevé.

CAMPAGNES D'ITALIE SOUS LOUIS XII.

Cette fois, l'armée française ne se jeta pas à l'étourdie sur la Péninsule. Le roi ne s'était pas

seulement assuré l'adhésion du pape et la neutralité de l'empereur; il s'était allié au duc de Savoie et aux Vénitiens en leur promettant une partie du Milanais, aux Florentins en s'engageant à leur soumettre Pise révoltée, au duc de Ferrare luimême, qui était le beau-père de Ludovic Sforza; et tout en s'occupant de priver celui-ci de ses soutiens les plus naturels, il fit pour l'attaquer de formidables préparatifs. On subvint aux dépenses, sans paraître grever le peuple, en donnant le mauvais exemple de vendre les offices royaux. L'armée, rassemblée à Lyon, se composait d'environ vingt

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quatre mille hommes, accompagnés de cinquantehuit canons, fauconneaux et coulevrines, qui formaient la plus belle artillerie de campagne qu'on eût encore vue. Après avoir paisiblement traversé le Piémont, elle déboucha d'Asti le 13 août 1499, et entra sur les terres milanaises. Elle était commandée par un Lombard ennemi personnel des Sforza, le seigneur Jean-Jacques Trivulce; par Louis de Luxembourg, comte de Ligny; par Stuart d'Aubigny, Chabannes et d'autres célèbres capitaines. « Là étoit en somme toute la fleur de la chevalerie et noblesse de France, avec telle bande de Nor

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Médaille de Louis XII et d'Anne de Bretagne, en argent, conservée au cabinet des médailles de la grande Bibliothèque de Paris (1).

mands, Picards, Suisses, Gascons, Savoisiens et autres nations de Gaule, que qui à un les eût voulu tous nombrer, plus tôt eût trouvé commencement d'ennui que fin de compte. Et qui aux rayons du soleil eût vu les armes reluire, les étendarts au vent branler, les gros chevaux aux champs bondir et faire carrière à toutes mains; tant de lances, piques, hallebardes et autres enseignes de guerre par le chemin; tant de gens d'armes, piétons, artillerie et charrois en avant marcher, bien eût pu dire sûrement qu'assez de force y avoit pour tout le monde conquérir.» (Jean d'Auton.)

Le premier jour, on arriva devant la petite forteresse d'Arezzo, qui refusa de se rendre. Le lendemain, au chant du coq, la canonnade commença. Cinq heures après, les assiégés, effrayés de voir déjà

(') Cette médaille paraît être l'œuvre de Nicolas et de Jean de Saint-Priest, artistes de Lyon, qui modelèrent une semblable médaille en or, offerte par la ville de Lyon à Anne de Bretagne, en 1499.

Voici la traduction des deux légendes:

« Sous l'heureux règne de Louis le douzième, nouveau César, la nation tout entière se réjouit. »>

Je fus ainsi fondue en 1499, comme la commune de » Lyon se réjouissait sous le second règne de la bonne reine » Anne. »

soixante brasses de leurs remparts jetées par terre, se rendirent; mais, pendant qu'on parlementait, une partie des assaillants s'introduisirent par la brèche, et passèrent au fil de l'épée tous les défenseurs de la place, jusqu'au dernier. Annone, la seconde place que les Français trouvèrent sur leur passage, eut absolument le mème sort; huit à neuf cents Lombards qui la défendirent bravement furent tous égorgés sans merci, à la réserve de leur commandant, seul prisonnier que les assaillants voulurent bien faire.

La terreur commença à glacer le cœur des amis du duc de Milan. Le général de l'armée chargée d'arrêter les Français et qui les égalait à peu près en nombre, Galéas de San-Severino, n'osa pas tenir la campagne et s'enferma dans Alexandrie, tandis que de tous les lieux qui se trouvaient sur le passage de Trivulce ou à sa portée, « les plus solennels messires de chaque ville envoyoient faire l'obéissance et rendre les clefs. » L'armée française n'avait plus.d'obstacle devant elle, jusqu'à Milan, que la ville d'Alexandrie et quelques escadrons d'estradiots, cavalerie légère de mercenaires grecs et albanais qui venait sans cesse escarmoucher sur ses flancs. Alexandrie fut bientôt investie, et le quatrième jour du siége l'artillerie française avait

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