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temps pour limiter le pouvoir de la reine, qui allait être régente, par la nomination d'un conseil, «< par les avis duquel les grandes et importantes affaires de l'État seroient résolues à la pluralité des voix »; puis il s'éteignit, le 14 mai 1643, à l'âge de quarante-trois ans. « Il fut peu regretté, et il tardoit à tout le monde qu'il ne fût mort, même à ceux qui lui avoient le plus d'obligation. On étoit si las de son gouvernement, qui avoit toujours dépendu d'autrui plutôt que de lui-même, et on avoit si grande espérance de la conduite de la reine, que chacun désiroit du changement. Quand il fut mort, tout le monde croyoit avoir sa fortune faite; mais cette opinion dura peu. » (Montglat.)

ANNE D'AUTRICHE RÉGENTE.

Anne d'Autriche avait été l'une des beautés du siècle: elle touchait à sa quarante-deuxième année; mais elle était grande, majestueuse, et douée d'un aimable et doux regard qui prévenait les cœurs. On ne l'avait vue que persécutée par le feu roi, et on l'aimait pour ses disgrâces, pour sa patience. Lorsqu'elle quitta le château de Saint-Germain pour se rendre à Paris, « toute la campagne, depuis Nanterre jusqu'aux portes de cette grande ville, étoit remplie de carrosses, et ce n'étoit partout qu'applaudissements et bénédictions. » On respirait en se croyant enfin débarrassé du système de Richelieu, par lequel la France avait conquis un ascendant qui touchait beaucoup moins que les sacrifices par lesquels il avait fallu l'acheter. La noblesse comptait sur un gouvernement débonnaire et facile à exploiter; le peuple, sur un allégement des lourds impôts qu'il supportait; le Parlement vit poindre une de ces belles occasions qu'il ambitionnait de prendre part au maniement des affaires politiques. Le 48 mai, la reine se rendit au sein du Parlement assemblé, vêtue d'habits de deuil et accompagnée du jeune roi en robe et en bavette, porté par le duc de Chevreuse, son grand chambellan. « Messieurs, dit-elle, je serai toujours aise de me servir des conseils d'une si auguste compagnie; ne les épargnez donc, je vous prie, ni à mon fils ni à moi-même. » Le Parlement rendit grâces au ciel, par la bouche du chancelier Séguier, «d'avoir donné à la France une régente de qui on devoit espérer la paix générale et le repos de l'État. Il demanda ensuite les voix sur l'article de la régence. Monsieur, oncle du roi, tout d'un coup et sans hésiter, donna la sienne en déclarant, de sa propre volonté, qu'il remettoit à la reine tout le pouvoir que, comme frère unique du feu roi, il pouvoit prétendre dans le royaume, pour rendre la régence plus absolue et ses volontés sans bornes. Le prince de Condé dit à son tour que, puisque Monsieur le désiroit de cette manière, il y consentoit aussi. » (Mme de Motteville.) Dès lors le conseil de régence tout entier ne pouvait que renoncer à ses droits, et les précautions du feu roi tomberent

d'elles-mêmes.

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Les anciens ennemis du cardinal, ayant à leur tète le duc de Beaufort, petit-fils légitimé de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, se crurent les maîtres, et affectèrent d'interpréter en faveur de leurs desseins, dont le principal était de rendre aux grands leur antique influence, les premières condescendances et les premières hésitations de la régente. Avant d'être les dispensateurs de l'autorité, ils en affectaient déjà la hauteur. On les appelait les importants, et l'on raillait finement cette première période de la régence en disant « qu'il n'y avoit plus que quatre petits mots dans la langue françoise La reine est si bonne! » (Mém. du card. de Retz.)

Mais la reine sentait bien, maintenant qu'elle tenait dans ses mains le pouvoir, l'impossibilité de l'immoler à toutes les ambitions privées. Elle commençait de rendre justice à la mémoire de Richelieu. L'homme que les importants lui avaient donné pour premier ministre était Potier de Blancmesnil, évêque de Beauvais, prélat plein de droiture et de piété, mais esprit simple et incapable; il inaugura son ministère en envoyant aux Hollandais une sommation d'avoir à rentrer dans l'obéissance du pape et de l'Église catholique s'ils voulaient conserver l'alliance de la France. Le cardinal de Retz, qui n'était encore alors que coadjuteur de l'archevêque de Paris, l'appelait une bête mitrée et le plus idiot des idiots. Sa faiblesse n'échappant à personne, Anne d'Autriche, dont la nature indolente s'effrayait du travail et des fonctions continuelles de la régence, chercha de suite un homme habile et dévoué à qui elle pût en remettre le fardeau.

Celui que ses antipathies devaient le plus repousser était Mazarin. Giulio Mazarini, né dans le royaume de Naples, en 1602, était une créature de Richelieu, qui l'avait appelé en France (1639), lui avait confié de grandes affaires, avait apprécié en lui de grands talents, lui avait fait donner le chapeau de cardinal (1644), et l'avait enfin recommandé à son maître comme l'homme le plus capable de continuer leur politique. Louis XIII l'avait en effet nommé président de ce conseil qu'il destinait à tenir sa veuve en tutelle. Cependant Anne d'Autriche, à qui l'on vanta son rare mérite, voulut le consulter, spécialement sur les affaires étrangères, dont il possédait tous les secrets, et fut gagnée dès l'abord par cet esprit vif, aimable, pénétrant, persévérant, dont les défauts étaient voilés et presque rachetés par des mœurs douces et un caractère ennemi de toute violence. La séduction était son arme favorite. En cela il était bien, comme on l'avait dit à la reine, tout l'opposé de Richelieu aussi fut-elle, en peu de temps, entièrement subjuguée. Elle justifiait sa préférence en disant qu'étranger, Mazarin était purement dévoué aux seuls intérêts de l'État, indifférent entre tous les partis, et que, d'ailleurs, le choisir pour son premier ministre était obéir au feu roi. Mazarin, reconnaissant et plus ambitieux que jamais,

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18 mai 1643.- Séance du Parlement où est déclarée la régence d'Anne d'Autriche.

a, M. le maréchal de Guiche.b, M. le maréchal de Châtillon.c, M. le maréchal de Bassompierre.d, M. le maréchal d'Estrées.-e, M. le maréchal de Vitry.f, M. le duc de la Force.9, M. le duc de la Rochefoucauld. -h, M. le duc de Lesdiguières., M. le duc de Sully., M. le duc de Ventadour.-k, M. le duc d'Uzès.-1, M. le duc de Vendôme.-m, M. le prince de Conti.-n, M. le prince de Condé, -o, M. le duc d'Orléans.-p, M. de Chevreuse.1, M. Molé.2, M. le chancelier.-3, M. Potter.--4, M. de Mesme.-5, M. de Bailleul.-6, M. l'évêque de Beauvais, comte et pair de France. 7, M. de Nesmond.-8, M. de Bellièvre.-9, M. de Longueil. x, M la princesse de Condé. -y, M de Longueville.-3, Mis de Vendôme.

ombrage à sa faveur, comme Bouthillier de Chaéloigna d'elle les gens habiles qui pouvaient faire

vigny, qui avait partagé avec lui la confiance de

Richelieu, et l'ancien chancelier Chasteauneuf;

mais il lui inspira de sages mesures celle de ne point sévir contre les anciens partisans de Richelieu et de s'en faire plutôt des amis, puis celle de dissiper la cabale des importants. On envoya les principaux en exil et le duc de Beaufort dans la prison de Vincennes (2 septembre).

Ces heureux commencements concouraient avec une prospérité extraordinaire des affaires extérieures.

VICTOIRES DE ROCROI, DE FRIBOURG, DE NORDLINGEN, DE LAVINGEN, DE SUMMERHAUSEN, DE LENS.

Quand les Espagnols surent Richelieu mort, le rei à toite extrémité et la France près de tomber danz les embarras d'une minorité, ils conçurent l'espoir 'en tirer profit. Ils rassemblèrent des troupes sur la frontière de Champagne, et fondirent sur Rocroi qu'ils firent investir par le comte d'Isembourg, auquel vint se joindre don Francisco de Melos, gouverneur des Pays-Bas. Rocroi pris, la route de Paris était ouverte. Il n'y avait pour opposer à l'ennemi qu'une arinée de vingt-deux mille hommes postée en Picardie, sous la conduite de Louis, duc d'Enghien, fils du prince de Condé, jeune homme de vingt-deux ans qui s'était concilié la faveur de Richelieu en epousant une de ses nièces. Bien conseillé par Gassion, vieux guerrier intrépide qu'on lui avait donné pour mentor, et par sa propre audace, le duc d'Enghien courut présenter la bataille. C'était quatre jours après la mort du roi. Le lendemain, 19 mai, à l'aurore, Gassion attaqua la gauche des Espagnols, pendant qu'un autre des maréchaux de camp, la Ferté Senecterre, sous les ordres de Lhospital, maréchal de France, attaquait la droite. Ces deux derniers furent mis en déroute; mais, à l'autre côté, Gassion mit en fuite l'aile qui se trouvait devant lui, et manœuvra, en évitant le centre, pour prendre l'aile victorieuse par derrière. « Cependant le duc d'Enghien manda à Sirot, qui commandoit le corps de réserve, de donner, et de secourir le maréchal de Lhospital; mais il répondit qu'il n'étoit pas temps; et le duc arrivant là-dessus, il lui fit voir l'état de toutes choses; et comme Gassion, après avoir battu l'aile gauche, alloit attaquer l'autre, qu'il falloit avoir un peu de patience; ce que le duc trouva bon. Et aussitôt que Gassion chargea d'un côté, Sirot en fit autant de l'autre; de sorte que les Espagnols, surpris, ne songeant qu'à piller, et croyant la victoire à eux, furent facilement défaits; tellement que, de victorieux, ils devinrent vaincus en un moment, car ils ne purent jamais se rallier, et toute cette aile fut tuée ou prisonnière. La FertéSenneterre, prisonnier, fut délivré, le canon repris, et toute l'armée entièrement défaite. Il n'y eut que l'infanterie espagnole naturelle (nationale) qui tint ferme jusqu'au bout; car elle serra tellement ses bataillons, hérissant les piques contre la cavalerie, qu'on fut contraint de faire rouler du canon pour la rompre ; mais voyant la bataille perdue, et qu'il

n'y avoit plus de ressource, ceux qui la commandoient, aux premiers coups de canon, demandérent quartier, qui leur fut accordé avec éloge. Le comte de Fontaine, lieutenant général de l'armée, fut tué dans sa chaise, dans laquelle on le portoit à cause de la goutte. Toute la campagne étoit couverte de morts, et il y eut sept mille prisonniers. Tout le canon, bagage et drapeaux des Espagnols furent pris, et, par cette grande victoire, le duc d'Enghien commença d'acquérir cette grande réputation qu'il augmenta depuis par quantité d'autres qui ont suivi celle-ci, et il signala le commencement du règne de Louis XIV par le gain de cette bataille, comme un présage de la grandeur future et de la prospérité de ce jeune monarque. » (Mém. du marq. de Montglat.)

Les hostilités se poursuivaient en même temps en Catalogne, en Piémont, et la guerre de Trente ans continuait à désoler l'Allemagne. D'excellents généraux, les maréchaux de Guébriant, de la Meilleraye, d'Harcourt, de Rantzau, les amiraux de Brézé et de Sourdis, Turenne surtout, soutenaient glorieusement sur tous les points la réputation des armes françaises; mais l'ardeur du duc d'Enghien semblait électriser les armées qu'il commandait. Après avoir délivré Rocroi et chassé de France les Espagnols, il entra en Flandre, menaça Bruxelles, et, tournant du côté de Thionville, il s'en empara (48 août 4643); puis il franchit le Rhin, se réunit à Turenne, qui, à la tête d'une poignée d'hommes, luttait péniblement contre une armée impériale aux ordres de François de Mercy, habile officier lorrain au service de Bavière. Mercy venait de prendre Fribourg en Souabe. Le duc d'Enghien et Turenne, qui, réunis, avaient environ vingt mille hommes, se portent au-devant de lui et l'attaquent sous les murs de cette ville, dans une position formidablement défendue. Mercy est obligé de céder et de retirer ses troupes; mais il les établit le lendemain à quelque distance, dans un poste encore plus redoutable. D'Enghien, qui avait essuyé cinq coups de mousquet à Rocroi, et qui ménageait aussi peu les autres que lui-même, donna immédiatement l'ordre de recommencer l'attaque, quoique Turenne eût préféré temporiser. Leurs soldats firent des prodiges de courage et d'entrain, mais sans pouvoir déloger l'ennemi; cependant celui-ci, se sentant le plus faible, décampa de lui-même quelques jours après, et finit par se retirer à marches forcées, abandonnant canons et bagages, pour chercher asile dans la Forêt-Noire. Fribourg resta aux Impériaux; mais ils perdirent tout le reste de la contrée, de Philipsbourg à Mayence (10 août 1644).

Turenne s'engagea, l'année suivante, au cœur de l'empire. Les Suédois, qui venaient encore une fois d'en parcourir victorieusement toutes les provinces du nord, l'appelaient à terminer hardiment la guerre en marchant sur Vienne avec eux. Turenne poussa devant lui les Bavarois jusqu'à Wurtzbourg; mais l'indiscipline s'étant mise dans son armée, principalement composée de soldats recrutés en

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HISTOIRE DE FRANCE.

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19 mai 1643.-Bataille de Rocroi. - D'après

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