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Assemblée des États généraux (États de la Ligue); 26 janvier 1593. D'après une caricature du temps.

(Collection Hennin.)

A droite, un comité essayant de fabriquer un roi, à gauche, le garçon meunier fustigé par les carrefours de Paris pour avoir dit à son âne : Allons, Gros-Jean, aux Etats!» (Voy. le chap. I de la Satyre Menippée, et Lestoile, janv. 1593.)

qui est à l'Église. » De son côté, l'ambassadeur d'Espagne fit connaître les prétentions de Philippe II, et revendiqua hautement, de droit naturel et de droit divin, le trône de France pour l'Infante (20 mai). Une protestation immédiate de Molé fut appuyée par une partie de l'assemblée, et bientôt par le corps entier du Parlement. La séance du 44 juin fut encore plus décisive contre l'étranger. Invité à déclarer quel mari Philippe II destinait à sa fille, l'ambassadeur nomma l'archiduc Ernest, frère de l'empereur d'Autriche. L'effet fut désastreux. En vain, continuant ses instructions, essayat-il de revenir en proposant, l'Infante élue pour reine, de lui laisser un délai de deux mois pour choisir parmi les princes français, désignant mème le duc de Guise. Les huées qui accueillirent à leur sortie des États les auteurs et les soutiens de ces offres étranges témoignèrent assez haut du sentiment populaire, et. le Parlement y répondit hardiment en rompant tout d'un coup les hésitations et les secrets calculs de l'assemblée, et en proclamant par un arrêt célèbre (28 juin) « tous traités faits ou à faire pour l'établissement de

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prince ou de princesse étrangers, nuls et de nul effet et valeur, comme faits au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume. >> Ce ne fut qu'un cri, répété par tous les cœurs et bien rendu par cette apostrophe indignée de la Satyre Ménippée : « Allons, monsieur le légat, retournez à Rome et emmenez avec vous vos porteurs de rogatons; allons, messieurs les agents et ambassadeurs d'Espagne, nous sommes las de vous servir de gladiateurs à outrance et vous entretenir pour vous donner du plaisir. Allons, messieurs de Lorraine, avec vostre hardelle de princes, nous vous tenons pour fantosmes de protecteurs, sangsues du sang des princes de France, hapelourdes, fustes évantées, reliques de saincts, qui n'avez ne force ne vertu; et que monsieur le Lieutenant ne peut pas nous empescher ou retarder par ses menaces, nous luy disons bien haut et clair et à vous tous, messieurs ses cousins et alliez, que nous sommes François, et allons avec les François exposer nostre vie et ce qui nous reste de bien pour assister nostre roy, nostre bon roy, nostre vray roy, qui vous rangera aussy bientost à la mesme

recognoissance par force ou par un bon conseil, que Dieu vous inspirera, si en estes dignes.

Henri n'en était plus à déclarer sa résolution d'en finir. L'assemblée des docteurs convoquée pour l'instruire dans la foi catholique se réunit le 22 juillet, à Saint-Denis. Le vendredi 23, au matin, avant toute conférence, il écrivait à Gabrielle d'Estrées : « Ce sera dimanche que je fairay le sault périlleux. A l'heure que je vous écris, j'ay cent importuns sur les espaules qui me feront hair SaintDenys.» Ensuite il écouta cinq heures durant une harangue de l'archevêque de Bourges, fit quelques objections, et tant bien que mal se déclara satisfait. A vrai dire, il avait pris ses convictions ailleurs. Les instances de Crillon, de Termes, Saint-Luc, Sancy; les conseils de Biron, de Schomberg, de Turenne, de Mornay, de Rosny surtout, et aussi de Gabrielle, qui déjà espérait de faciles accommodements avec les prélats catholiques pour ses desseins futurs, lui avaient fait une conscience disposée à se payer de peu de raisons. Le 24, «ses ministres protestants prenant congé de luy, il leur dit, en « pleurant, qu'ils priassent bien Dieu pour luy, qu'ils l'aimassent tousjours, et qu'il les aimeroit et ne permettroit jamais qu'il leur fust fait tort ni violence aucune à leur religion. » Le 25, avant de se lever, il parla, dans son lit, quelque temps au ministre la Faye, « aiant sa main sur son col », et l'embrassa deux ou trois fois. Puis, par les rues tapissées et jonchées de fleurs, il se dirigea vers l'église. L'archevêque de Bourges l'y attendait sur le seuil avec son clergé : « — Qui êtes-vous? Je suis le roi. —Que demandez-vous? Je demande être reçu au giron de l'Église catholique, apostolique et romaine. Le voulez-vous sincèrement? Oui, je le veux et le désire. » Et à l'instant le roi se mit à genoux et fit sa profession de foi, reçut l'absolution et la bénédiction, puis fut conduit à l'autel, où il répéta son serment, et, pendant le Te Deum, fut ouï en confession par l'archevêque de Bourges. Douce et sainte humilité qui touche dans les âmes candides et courbées par la foi; exemple ici de la politique de duplicité, qui répugnera toujours aux honnêtes gens, et dont souffrit sans doute autant que personne le brave soldat qui écrivait autrefois à Rosny cette bonne et grande parole: « Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, et moi, je suis de celle de tous ceux-là, qui sont braves et bons. >>

La conversion de Henri ralliait à sa cause tous les indifférents, tout le tiers parti, tous les ligueurs restés Français de cœur, et tant de « pauvres villes affligées, lasses de la guerre et de la pauvreté, qui ne demandoient autre chose que cette couleur et bonne occasion pour se retirer et couvrir ou colorer leur repentance. » (Ménippée.) Des le 30 juillet, Mayenne et Henri conclurent une trève. Le 8 août, les députés des États de Paris tinrent une séance qui fut à peu près la dernière, et regagnerent pour la plupart leurs provinces. Quelques

jours après, une ambassade royale, dont le duc de Nevers était le chef, partait pour Rome; mais avant même d'arriver dans la ville pontificale, le duc de Nevers reçut avis officieux qu'il ne serait pas admis comme ambassadeur. Il n'en poursuivit pas moins sa route, et vint s'installer à son poste. Il en repartit le 4 janvier 4594, protestant hautement contre les procédés inexplicables de cette cour servile et dominée par l'étranger. «Vederemo (Nous verrons). » C'était toute l'assurance qu'il avait pu, dans des audiences presque secrètes, obtenir du pape. Cependant, en France, le parti de la Ligue s'en allait en dissolution. Tout en dirigeant de son mieux les négociations lointaines, le roi s'étudiait à pratiquer autour de lui des intelligences et à se préparer l'accès aux consciences faciles de la noblesse. Les plus honnéètes des partisans de Mayenne le conjurérent de hater la crise et de ne pas attendre qu'il se trouvat seul à traiter. Vitry, Villeroy, la Chastre, l'en avertirent; attaqué tout à la fois par le parti de l'étranger, qui lui attribuait la défection des peuples et des grands, outragé par les sermonneurs, raillé par la Satyre Ménippée, Mayenne, jouant de ruse, n'en persistait pas moins à traiter avec l'Espagnol. Henri, ayant saisi au passage des dépêches qui lui livraient toutes les trames, se refusa à toute prolongation de la trève et publia les motifs de sa détermination. Dès le 24 décembre, trois jours avant la déclaration du roi, Vitry, gouverneur de Meaux, annonça aux habitants qu'il se ralliait à la cause royale, et sortit de la ville. Immédiatement les habitants se réunirent aux cris de Vive le roi! et, par un double manifeste adressé d'une part à la noblesse de France, d'autre part aux Parisiens, les sollicitèrent à suivre l'exemple qu'ils donnaient. Henri leur confirma tous les priviléges que leur avait concédés la Ligue, toutes les confiscations prononcées par Mayenne, interdit dans la ville l'exercice du culte réformé, remit l'arriéré des taxes, et promit pour l'avenir des modérations. Dès le lendemain, il se rapprocha de Paris pour être mieux à portée de tirer parti des événements. Le 7 janvier, la ville et le Parlement d'Aix lui envoient leur soumission. Villeroy, n'ayant pu décider Mayenne à traiter, se sépara solennellement de sa cause et livra Pontoise (1er fév.). Michel d'Estourmel, qui tenait de la Ligue Péronne, Roye, Montdidier, s'y fit confirmer par le roi. Les habitants de Lyon, exaspérés par l'orgueil et les exactions du duc de Nemours, étaient en révolution depuis six mois. Ils avaient enfermé prisonnier leur gouverneur à Pierre-Encise, et mis à sa place leur archevêque, autre agent de Mayenne. A l'instigation et avec l'appui d'Alphonse d'Ornano, commandant en Dauphiné, ils refirent leurs barricades, déposèrent leurs échevins et ouvrirent les portes aux troupes royales (8 fév.). Peu après, le baron de la Chastre, oncle de Vitry, assemble les bourgeois d'Orléans, et, aux acclamations de la ville entière, arbore l'écharpe blanche. Il avait pris soin au préalable de se faire confirmer par le roi dans

Typ. de J. Best, que St-Maur-Seb. 13.

sa dignité de maréchal de France et allouer 250 000 livres pour ses frais de guerre. Bourges et toute la partie du Berry et de l'Orléanais jusqu'alors inféodée à l'Union passèrent du même coup au même parti.

Le roi, par une dernière démonstration, s'efforça de rallier autour de lui les sympathies populaires. Il se fit sacrer. Reims et la sainte ampoule manquaient. Les antiquaires et les légistes démontrèrent par l'histoire de l'Église et du droit canon, « pour les raisons à plein déduictes par Yvo,

évêque de Chartres au sacre du roy Louis le Gros »>, que nulle église n'avait le privilége de cette solennité; et quant au saint chrème, il fut reconnu que l'abbaye de Marmoutier près Tours, quoique saccagée dans les dernières guerres par les protestants, conservait encore une sainte ampoule d'authenticité mieux attestée même que celle de Reims. Une députation des moines, conduite par M. de Souvray, gouverneur de Touraine, l'apporta pour la cérémonie, qui se célébra le 27 février 4594, dans l'église de Chartres, choisie par le roi entre

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Entrée de Henri IV à Paris, par la porte Neuve (près les Tuileries, rue Saint-Nicaise prolongée), le 22 mars 1594.

D'après une estampe du temps.

toutes autres églises... pour la péculière dévotion que ses ancestres ducs de Vendosmois, comme diocésains et principaux paroissiens, y avoient toujours portée» (Victor Cayet); surtout aussi à cause du dévouement bien connu de l'évèque, Nicolas de Thou.

REDDITION DE PARIS. DÉFAITE DE LA LIGUE.

Mayenne, de son côté, luttait en vain contre les défections; les intrigues gagnaient chaque jour sur lui. En dépit de cause, il essaya d'un retour vers les Scize, appuyés sur les bataillons espagnols et les recrues populaires enrôlées par quartiers et soldées, exila quelques bourgeois, et crut avoir beaucoup fait contre les plans des politiques en

remplaçant au gouvernement de Paris M. de Bélin par le comte de Brissac, héros des premières barricades. Se croyant ainsi bien assuré de la grande ville, il partit pour presser l'arrivée des troupes que lui amenait trop lentement Charles de Mansfeld. Il n'était pas à Soissons que Brissac, par l'intermédiaire du président Lemaistre, du procureur général Molé, surtout de Lhuillier, prévôt des marchands, et de l'échevin Langlois, passait un traité avec le roi. Henri garantissait au comte 200 000 écus une fois payés, 20 000 livres de pension, le bâton de maréchal, le gouvernement de Mantes et de Corbeil; à la ville de Paris, il accordait ammistie absolue, maintien de ses priviléges, interdiction du culte protestant dans un rayon de dix lieues, enfin libre sortie pour le légat, les ambassadeurs d'Es

pagne et la garnison étrangère. Ces négociations pourtant n'avaient pu rester entièrement secrètes. Le duc de Feria redoublait de vigilance; la nuit du 21 au 22 mars, il manda Brissac qui joua l'étonnement, et le fit accompagner dans sa ronde sur les remparts de plusieurs officiers espagnols, «< avec charge, au premier bruit qu'ils entendroient au dehors, de le tuer. » Tout était prêt : les échevins, les capitaines des milices bien avertis, les troupes des ligueurs cantonnées sur la rive gauche, mais les bourgeois en force sur le pont Saint-Michel pour barrer le passage. Brissac et Langlois attendaient aux portes le roi, qui tardait bien à venir. A quatre heures passées, enfin, Vitri se présenta à la porte Saint-Denis, Saint-Luc devant la porte Neuve; avec ce dernier étaient Henri et ses principaux capitaines. Quatre corps de troupes s'acheminèrent aussitôt le long des remparts, des quais, de la rue Saint-Honoré, ralliant les milices bourgeoises, et occupant avec leur aide les carrefours et les rues. Un seul poste de lansquenets, près l'école SaintGermain, aujourd'hui le quai de l'École, fit résistance et fut massacré. Avant le jour, le Louvre, le Palais, le grand Châtelet, les principaux centres de la ville, étaient au pouvoir des royaux, les corps de garde espagnols cernés dans leurs quartiers et sans communication entre eux. « Le roy estoit dans Nostre-Dame auparavant que l'on sceust assurément en l'Université qu'il fust dans Paris. » Dans le quartier Saint-Jacques, quelques-uns des Seize se voulurent mettre en armes, le curé Hamilton, le capitaine Crucé; ils se trouvèrent isolés et réduits à l'impuissance. Brissac, Langlois, les principaux meneurs de l'entreprise, couraient les rues, commandant de prendre l'écharpe blanche, et semant à pleines mains « des billets qui avoient esté imprimés le jour d'auparavant à Sainct - Denis », suivis partout << de nombre de petits enfants criant: << Vive le roi ! » ces enfants de Paris qu'on retrouve dans les émotions populaires de tous les temps. « Le roy, estant sorty de Nostre - Dame, monta à cheval, et s'en alla au Louvre au mesme ordre qu'il estoit venu. Sur son chemin, les rues, les maisons, les boutiques et les fenestres, estoient remplies de personnes de tout sexe, de tout àge et de toutes qualités, et n'oyoit-on partout que le mesme cri de: « Vive le roy ! » Pour conclusion, en moins de deux heures après, toute la ville fut paisible, excepté la Bastille, et chacun reprit son exercice ordinaire; les boutiques furent ouvertes comme si changement quelconque n'y fust advenu, et le peuple se mesla sans crainte et avec toute privauté parmy les gens de guerre, sans recevoir d'eux, en leurs personnes, biens et familles, aucune perte, dommage ni desplaisir.» (V. Cayet).

Suivant sa promesse, le roi fit offrir un sauf-conduit aux Espagnols. Sur les deux heures, il alla les voir sortir de Paris, quatre à quatre, tambours battants, les drapeaux au vent, les armes sur l'épaule, avec tout leur bagage. «Il salua courtoisement tous les chefs des compagnies, selon le rang

qu'ils tenoient, mesme le duc de Feria, Ibarra et Taxis, auxquels il dit : « Recommandez-moi à vostre maistre, mais n'y revenez plus. » Quelques Wallons restèrent avec leur capitaine; on en forma une compagnie au service de la France. Le soir même, le roi jouait, au Louvre, sa partie avec Mme de Montpensier, non sans scandale de nombre de gens de bien. Le lendemain, M. d'O fut réintégré dans le gouvernement de l'Ile-de-France, et reçut le serment des officiers municipaux. Le 27, la Bastille et Vincennes se rendirent. Le 28, des lettres patentes, sans même attendre le retour du Parlement fidele de Tours, réinstallèrent le Parlement de Paris, qui s'empressa à son tour de révoquer «< tous actes et serments donnés, faits et prêtés depuis le 29 décembre 1588 » au préjudice de l'autorité des rois et des lois du royaume, et chargea Pierre Pithou et Antoine Loisel d'en purger ses registres. La Sorbonne, enfin, qui hésita presque tout un mois, se soumit le 22 avril; les Jésuites seuls et les Franciscains tinrent bon et attendirent l'absolution du pape.

Henri, comme le dit Lestoile, avait trouvé « au Louvre, dans un coffre, les clefs des villes de son royaume ». Il n'était pas encore entré à Paris qu'il y pratiquait Rouen et marchandait sa soumission, en dépit des agents de Mayenne et de l'Espagne. Mais les exigences étaient telles que le prudent Rosny, chargé de l'affaire, hésitait. «Mon amy, lui écrit le roi dans une lettre qu'on voudrait rapporter tout entière comme l'exposé net et sincère d'une situation et d'une politique, vous êtes une beste d'user de tant de remises et apporter tant de difficultés et de mesnage en une affaire de laquelle la conclusion m'est de si grande importance pour l'establissement de mon autorité et le soulagement de mes peuples. Ne vous souvient-il plus des conseils que vous m'avez tant donnés, m'alléguant pour exemple celuy d'un certain duc de Milan au roi Louis XI, au temps de la guerre nommée du Bien public, qui étoit de séparer par intérêts particuliers tous ceux qui étoient liguez contre luy sous des prétextes généraux, qui est ce que je veux essayer de faire maintenant, aimant beaucoup mieux qu'il m'en couste deux fois autant, en travaillant avec chaque particulier, que de parvenir à mesmes effects par le moyen d'un traité général faict avec un seul chef... qui pust par ce moyen entretenir toujours ung party formé dans mon Estat. Partant, ne vous amusez plus à faire le respectueux pour ceux dont il est question, lesquels nous contenterons d'ailleurs, ni le bon mesnager, ne vous arrestant à de l'argent; car nous payerons tout des mesmes choses que l'on nous livrera, lesquelles, s'il nous falloit prendre par la force, nous cousteroient dix fois autant. Concluez au plus tôt avec M. de Villars; puis, lorsque je seray roy paisible, nous userons de bons mesnages, dont vous m'avez tant parlé, et pouvez vous assurer que je n'espargneray travail ni ne craindray péril pour eslever ma gloire et mon

Estat en leur plus grande splendeur. Adieu, mon amy. (8 mars 1594.) Villars livra Rouen, le Havre, Harfleur, Pont-Audemer, Montivilliers, Verneuil; il reçut en échange, outre le gouvernement en chef des bailliages de Rouen et de Caux, la charge d'amiral de France, qu'on ôta pour lui à Charles de Biron, en le dédommageant par le bâton de maréchal, qu'avait si glorieusement tenu son père; il reçut de plus 3 477 800 livres (près de 43 millions, valeur de nos jours). Le 6 avril, le prince de Joinville est chassé de Troyes par les habitants, qui appellent Biron; Sens, Abbeville, Montreuil-sur-Mer, en Picardie, se donnent de même au roi par le vœu libre des bourgeois. Au midi, Riom, la capitale de la ligue d'Auvergne, Périgueux, Agen, Marmande, ouvrent leurs portes avant la fin d'avril.

Cependant, le 22, le comte de Mansfeld s'empare de la Capelle. Le roi, accouru trop tard au secours de la place, se rejette sur Laon, qu'il bloque et assiége avec douze mille fantassins et deux mille chevaux. Une lettre du duc de Feria à Philippe II, où le général espagnol accuse de lâcheté et de trahison Mayenne, «qui ne fait rien qui vaille », interceptée par le roi et renvoyée à Mayenne, exaspère celui-ci, mais ne le décourage pas de tenter avec Mansfeld de ravitailler la ville. Ses attaques échouent devant les bonnes dispositions et l'énergie de Biron. Laon, défendue par le baron du Bourg et le président Jeannin, capitule le 22 juillet, et le 2 août est rendue au roi. Amiens, Château-Thierry, Beauvais, Noyon, ne résistent plus. C'est à peine si, dans toute la Picardie, Soissons, Ham, la Fère, tiennent encore. Le duc de Guise lui-même, par les conseils de sa mère et de sa grand'mère, fait son accommodement au mois de novembre. Il remet au roi Reims, Saint-Dizier, Rocroy, Guise, Fismes, Joinville, et reçoit, avec le gouvernement de la Provence, repris à d'Épernon, près de quatre millions. Vitry, Mézières, viennent d'elles-mèmes, et le reste de la Champagne. Le 16 novembre, enfin, le chef de la maison de Lorraine, le duc de Lorraine, fait la paix avec Henri et abandonne la coalition contre la France, compensant à peu près la perte de ses espérances par une allocation, qu'il se fait verser, de 3766 826 livres. Il faut citer ces chiffres, cyniquement exacts, pour apprécier l'esprit de ces temps et la conscience de ces grands seigneurs qui avaient tant combattu pour la gloire du catholicisme. En détail comme en somme, le roi en sut bien le prix, et ce ne furent pas 30 millions qui suffirent à racheter pièce à pièce les lambeaux sacrés de la mère patrie. «< Ventre-saintgris disait-il, mon royaume, on ne me l'a pas rendu, à moi, on me l'a vendu! »

LES CROQUANTS. LES JÉSUITES.

Ce que les puissants arrachaient d'un seul coup au roi, les gentillåtres des campagnes l'extorquaient jour par jour aux paysans. Peu s'en fallut que les

temps des Jacques ne revinssent, quand par le Poitou, la Marche, le Limousin, l'Angoumois, le Périgord, le Querci, l'Agénois, des milliers de croquants se soulevèrent contre ces percepteurs et ces gens de guerre qui de toutes parts «< croquaient >> le peuple. La soumission des bonnes villes à la royauté fit cesser peu à peu le principal prétexte de ces désordres; le roi acheva en remettant les arrérages des tailles et des subsides, ou en faisant disperser par la force ces rassemblements mal armés; ailleurs, bon nombre d'insurgés volèrent au service du roi contre les ligueurs et l'Espagnol (4593-95).

Peu s'en fallut que la tentative désespérée d'un fanatique ne mît fin à la fois aux projets et aux embarras de la situation nouvelle. Déjà, en 1593, Pierre Barrière, convaincu d'avoir voulu tuer le roi, avait été rompu vif. Le 27 décembre, comme Henri, arrivant d'Amiens, entrait chez Gabrielle d'Estrées, au milieu d'un groupe de courtisans, un jeune garçon de dix-huit ans, nommé Jean Châtel, fils d'un marchand de Paris et élève des Jésuites, le frappa d'un coup de couteau. Le roi se baissait à ce moment pour embrasser les chevaliers de Ragny et de Montigny, inclinés devant lui, et au lieu d'atteindre la gorge, « le coup porta dans la face, sur la lèvre haute, du costé droict, et coupa une dent. » (Corresp. de Henri IV.) L'instruction démontra que le criminel n'avait été excité que par la dépravation de ses idées religieuses. Se tenant pour condamné par ses vices à la damnation éternelle, il avait cru se racheter en assassinant un roi «< qui n'étoit pas approuvé du pape », et qu'il avait entendu tant de fois maudire autour de lui. Le 29, il fut tenaillé et tiré à quatre chevaux en la place de Grève, ses membres jetés au feu, ses cendres au vent.

Cet attentat fournit au Parlement l'occasion depuis longtemps cherchée de sévir contre les Jésuites, autour desquels s'accumulaient, avec les haines populaires, les accusations envieuses des ordres rivaux et les soupçons trop bien fondés des politiques. Dans ce moment même, ils soute naient contre l'Université et contre les curés de Paris un fameux procès, suspendu pendant trente ans, repris encore, de nouveau « appointé », où leurs sombres constitutions, pour la première fois dévoilées, leur esprit d'intrigue et d'envahissement servi par l'abnégation la plus absolue de moralité personnelle et de patriotisme, leurs ambitions et leurs priviléges également exorbitants, soulevaient la frayeur et l'indignation. Le jour mème du supplice de Châtel, le Parlement, pressé par les ordres du roi, rendit un arrêt qui déclarait les religieux de la compagnie de Jésus corrupteurs de la jeunesse, ennemis du roi et de l'État, leur enjoignant de sortir sous trois jours de Paris, et dans la quinzaine du royaume. Le père Guéret, qui avait enseigné la philosophie à Jean Chatel, et le père Alexandre Haym, Écossais, furent mis à la question et bannis; le père Gui

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