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Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique

L'ÉGLISE

ET LES ORIGINES

DE LA

RENAISSANCE

PAR

JEAN GUIRAUD

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS

LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE

RUE BONAPARTE, 90

1902

L'ÉGLISE

ET LES ORIGINES

DE LA

RENAISSANCE

CHAPITRE PREMIER

BONIFACE VIII

Le mouvement de la Renaissance a été produit par des causes si variées et s'est développé dans de si vastes domaines qu'il est difficile d'en distinguer avec certitude les premières origines. D'ailleurs, il y a eu plusieurs renaissances qui n'ont pas été sans influer les unes sur les autres et ont eu des sources distinctes, comme ces affluents qui, convergeant des points les plus différents vers une même direction, forment par leur réunion un grand fleuve.

Si l'on donne au mot de Renaissance son sens le plus étroit et le plus commun, et si, laissant pour quelque temps de côté les conséquences philosophiques, religieuses et sociales qu'elle a eues dans la suite, on

L'ÉGLISE ET LES ORIGINES DE LA RENAISSANCE.

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ne veut voir en elle qu'un renouveau littéraire et artistique, déterminé par l'étude de la nature et de l'antiquité, on peut en constater l'existence en Italie dès les dernières années du XIIIe siècle. N'était-ce pas alors que deux hommes de génie, Dante et Giotto, composaient les œuvres grandioses qui excitèrent l'admiration de leurs contemporains et servirent de modèles aux générations suivantes? Assurément, le poète de la Divine Comédie, et le peintre des fresques d'Assise étaient avant tout des hommes du Moyen Age: ils en partageaient les enthousiasmes et les préjugés, les passions politiques et les aspirations religieuses; la théologie et la scolastique restaient leurs principales sources d'inspiration, l'Évangile leur unique idéal. Cependant il y avait une grande différence entre la Divine Comédie et les poésies latines et provençales que Dante avait étudiées, entre les compositions de Giotto et les mosaïques byzantines qui avaient été ses premiers modèles; car l'un et l'autre avaient renouvelé les sources de l'inspiration poétique et artistique en faisant appel à la nature et à l'antiquité. En cela, ils étaient vraiment les grands précurseurs de la Renais

sance.

La papauté ne fut pas indifférente à ce mouvevement. Les lettres et les arts ne s'étaient-ils pas développés jusqu'alors à l'ombre du sanctuaire? L'antiquité qui allait les vivifier n'inspirait à l'Église aucune méfiance; c'était dans ses bibliothèques que les œuvres littéraires de la Grèce et de Rome avaient trouvé un asile contre la barbarie et l'art chrétien avait respecté les traditions de l'esthétique antique. Cette union de l'Église et de la Renaissance fut intime au XIVe siècle artistes et lettrés trouvèrent assez vaste pour leur activité le domaine de l'esprit et de la beauté et ils

s'y enfermèrent. Mais lorsque le culte de l'antiquité eut rencontré dans les humanistes ses fanatiques, la Renaissance se compliqua d'un réveil du paganisme. A l'idéal chrétien on essaya d'opposer celui de Zénon, de Plutarque ou d'Épicure et, au nom de la souveraineté de la raison et de la liberté de l'esprit, on prêcha la révolte contre le dogme et contre l'Église. Les papes du XVe siècle ne voulurent pas admettre ce divorce et cet antagonisme : épris autant que personne de la beauté antique, ils crurent qu'ils pourraient concilier avec les enseignements traditionnels de l'Église les aspirations nouvelles des intelligences et ils poussèrent leur condescendance jusqu'aux dernières limites. Mal leur en prit loin de réussir à réfréner le naturalisme païen qui se donnait de plus en plus libre carrière, ils faillirent compromettre dans ces fréquentations l'Église romaine elle-même. Malgré les avertissements répétés des prédicateurs mendiants tels que saint Bernardin de Sienne et Savonarole, il fallut le cataclysme de la Réforme pour enlever l'Eglise aux séductions malsaines de la Renaissance.

A la fin du XIIIe siècle et même au XIVo, on n'avait pas le pressentiment de cet angonisme : papes, littérateurs et artistes regardaient l'avenir avec confiance et sans arrière-pensée. Comme la France après l'an mil, l'Italie se revêtait d'une éclatante parure d'églises ; chacune de ses puissantes cités voulait affirmer en de magnifiques cathédrales la solidité de sa foi et de ses richesses. En 1290, pour célébrer le miracle de Bolsène, on commençait le dôme d'Orvieto qui pendant plusieurs siècles, d'Orcagna à Signorelli, devait occuper une élite d'architectes, de sculpteurs et de peintres; en 1292, Bologne ordonnait la construction grandiose de San Petronio et en 1295, Florence édifiait Santa

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