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Que voulez-vous ? fongez que rien n'eft plus mal-fain, Pour une fanté faible ainfi que vous l'avez, D'affronter, le matin, la crudité de l'air.

PORCI A.

Si l'air eft fi mal-fain, il doit l'être pour vous.
Ah, Brutus! ah, pourquoi vous dérober du lit?
Hier quand nous foupions, vous quittâtes la table,
Et vous vous promeniez, penfif et soupirant ;
Je vous dis: Qu'avez-vous? Mais en croifant les mains,
Vous fixâtes fur moi des yeux
fombres et triftes.
J'infiftai, je preffai, mais ce fut vainement.

Vous frappâtes du pied en vous grattant la tête. fans dire un mot,

Je redoublai d'inftance, et vous,

D'un revers de la main, figne d'impatience,
Vous fites retirer votre femme interdite.

Je craignis de choquer les ennuis d'un époux,
Et je pris ce moment pour un moment d'humeur,
(m) Que fouvent les maris font fentir à leurs femmes.

(m) C'est encore un des endroits qu'on admire, et qui font marqués avec des guillemets,

Non, je ne puis, Brutus, ni vous laiffer parler,
Ni vous laiffer manger, ni vous laisser dormir,
Sans favoir le fujet qui tourmente votre ame.
Brutus, mon cher Brutus, - Ah! ne me cachez rien.

BRUTU S.

Je me porte affez mal ; c'est-là tout mon fecret.

PORCI A.

Brutus eft homme fage, et s'il fe portait mal,
Il prendrait les moyens d'avoir de la fanté.

BRUTU S.

Auffi fais-je; ma femme, allez vous mettre au lit.

PORCI A.

Quoi, vous êtes malade, et pour vous restaurer,
A l'air humide et froid vous marchez prefque nu;
Et vous fortez du lit pour amaffer un rhume!
Penfez-vous vous guérir en étant plus malade ?
Non, Brutus, votre efprit roule de grands projets ;
Et moi par ma vertu, par les droits d'une épouse,
Je dois en être inftruite, et je vous en conjure.

Je tombe à vos genoux.

Si jadis ma beauté
Vous fit fentir l'amour, et fi notre hymenée
M'incorpore avec vous, fait un être de deux,
Dites-moi ce fecret, à moi votre moitié,

A moi qui vis pour vous, à moi qui fuis vous-même.
Eh bien, vous foupirez ! parlez; quels inconnus
Sont venus vous chercher en voilant leurs visages?
Se cacher dans la nuit ! pourquoi ? quelles raifons?
Que voulaient-ils ?

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Si vous étiez encor le bon, l'humain Brutus,
Je n'aurais pas befoin de me mettre à vos pieds.
Parlez; dans mon contrat est-il donc ipulé
Que je ne faurai rien des fecrets d'un mari?
N'êtes-vous donc à moi, Brutus, qu'avec réserve?
Et moi ne fuis-je à vous que comme une compagne,
Soit au lit, foit à table, ou dans vos entretiens,
Vivant dans les faubourgs de votre volonté ?
S'il eft ainfi, Porcie eft votre concubine, (n)
Et non pas votre femme.

BRUTU S.

Ah! vous êtes ma femme.

Femme tendre, honorable, et plus chère à mon cœur Que les gouttes de fang dont il eft animé.

PORCI A.

S'il eft ainsi, pourquoi me cacher vos fecrets?
Je fuis femme, il est vrai, mais femme de Brutus,
Mais fille de Caton; pourriez-vous bien douter
Que je fois élevée au-deffus de mon fexe,
Voyant qui m'a fait naître, et qui j'ai pour époux? (0)

(n) Il y a dans l'original, whore, putain.

(0) Corneille dit la même chofe dans Pompée. Cefar parle ainfi à Cornélie :

Certes, vos fentimens font affez reconnaître

Qui vous donna la main, et qui vous donna l'être;

Confiez-vous à moi, foyez sûr du fecret.

J'ai déjà fur moi-même effayé ma constance;

J'ai percé d'un poignard ma cuiffe en cet endroit ;
J'ai fouffert fans me plaindre, et ne faurais me taire !

BRUTU S.

Dieux,qu'entends-je?grands dieux, rendez-moi digne d'elle.
Ecoute, écoute; on frappe, on frappe; écarte-toi..
Bientôt tous mes fecrets dans mon cœur enfermés
Pafferont dans le tien. Tu fauras tout, Porcie ;
Va, mes fourcils froncés prennent un air plus doux.

SCENE I V.

BRUTUS, LUCIUS, LIGARIUS.

QUI

LUCIUS, courant à la porte.

UI va là ? répondez.

LUCIUS, en entrant et adreffant la parole à Brutus.

Un homme languiffant,

Un malade qui vient pour vous dire deux mots.

BRUTUS.

C'eft ce Ligarius dont Cimber m'a parlé.

(à Lucius.)

Garçon, retire-toi. Eh bien, Ligarius?

LIGARIUS.

C'est d'une faible voix que je te dis bonjour.

Et l'on juge aifément, au cœur que vous portez,
Où vous êtes entrée, et de qui vous fortez,

&c.

Il eft vrai qu'un vers fuffifait, que cette noble pensée perd de fon prix, en étant répétée, retournée; mais il eft beau que Shakespeare et Corneille aient eu la même idée.

BRUTUS.

Tu portes une écharpe ! hélas, quel contre-temps! Que ta fanté n'eft-elle égale à ton courage!

LIGA RIU S.

Si le cœur de Brutus a formé des projets
Qui foient dignes de nous, je ne fuis plus malade.

BRUTUS.

J'ai formé des projets dignes d'être écoutés,
Et d'être fecondés par un homme en fanté.

LIGARIUS.

Je fens, par tous les dieux vengeurs de ma patrie,
Que je me porte bien. O toi, l'ame de Rome !
Toi, brave defcendant du vainqueur des Tarquins,
Qui comme un (p) exorcifte as conjuré dans moi
L'efprit de maladie à qui j'étais livré,
Ordonne, et mes efforts combattront l'impoffible;
Ils en viendront à bout. Que faut-il faire ? dis.

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Je le crois bien auffi. Viens, je te dirai tout.

(p) L'exorcifte dans la bouche des Romains eft fingulier. Toute cette pièce pourrait être chargée de pareilles notes; mais il faut laiffer faire les réflexions au lecteur.

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