Page images
PDF
EPUB

que ceux qui difent que Jephthé n'a

pas immolé fa Fille, parce que ces fortes de facrifices é toient contraires aux Loix Divines, mais qu'il l'a deftinée au célibat, n'évitent une difficult é que pour tomber dans une autre. Un père n'avoit pas plus de droit de condamner fa fille à une virginité perpétuelle, que de difpofer de fa vie. C'est ce que nous avions à dire fur la première Question.

Voici la feconde. Jephthé étoit-il fi instruit des Loix Divines, & fi fcrupuleux à les fuivre, qu'il n'y ait fait aucune infraction dans la conduite qu'il aura tenue à l'égard de fa Fille? La folution de cette Queftion peut contribuer beaucoup à nous faire juger fainement du Vou de Jephthé. Si ce Juge d'Ifraël a été un Saint du premier ordre, nous ferons portez à rejetter tous les fyftêmes, qui fuppofent, ou qui établiffent, que dans le temps même qu'il recevoit de Dieu une faveur fignalée, il est tombé dans une groffière ignorance, ou il a commis un crime atroce que fi nous fommes au contraire fondez à le regarder comme peu éclairé dans fes idées, & peu régulier dans fa conduite, nous aurons moins de répugnance à lui imputer une démarche criminelle, du moins à lui attribuer une piété fortable au défaut de fes connoiffances: nous reconnoitrons fans peine qu'il a été capable de faire un vœu téméraire, ce qui eft une action criminelle, & de l'accomplir ce qui eft une action beaucoup plus criminelle encore. Or il me femble qu'à juger de Jephthé, par ce que nous en difent les Auteurs facrez, nous ne devons pas avoir de peine à reconnoitre, que s'il fuivit fcrupuleufement le dictamen de fa confcience, dans le dévouement de fa Fille, en quoi il étoit

[ocr errors]

digne de, louange, il avoit du moins une confcience errante, en quoi il étoit digne de blâ

me.

1. Il vivoit dans des lieux éloignez du Tabernacle & des Miniftres, qui y vaquoient au fervice Divin. Il étoit membre d'une de ces Tribus qui étoient reftées en deçà du Jourdain, & dont la piété & le zèle n'étoient pas reveillez & entretenus par le culte public de la Reli gion. Je ne dis pas qu'il n'y eût aucun culte extérieur parmi ces Tribus, mais il n'étoit ni fi augufte, ni fi folemnel, que celui qu'on rendoit à Dieu au delà dù fleuve.

2 Jephthé vivoit dans un temps funefte, pendant lequel il pouvoit trouver à peine quel que trace de piété & de religion parmi les compatriotes: leur apoftafie étoit générale. Quelle qu'eût été avant ce temps-là leur corruption & leur idolatrie, ils avoient retenu du moins quel que connoiffancé & quelque crainte du véritable Dieu; leur crime avoit été moins d'avoir renoncé à fon fervice, que de l'avoir mêle avec celui des Idoles: mais dans le période, dont nous parlons, ils n'avoient confervé que le fervice des Idoles, & ils avoient entiérement. renoncé à celui du vrai Dieu. Cela paroit par les paroles, que nous avons déjà citées: & dans lesquelles l'Auteur facré dit expreffément, que Jug. x.6.les Ifraelites avoient abandonné l'Eternel ;& qu'ils ne le fervoient plus.

3. Le genre de vie, que menoit Jephthé avant que d'être appellé à la conduite du peuple d'Ifraël, nous femble peu propre à former ou à entretenir ces lumières & cette délicateffe de confcience, qui font le caractère des grands Saints. Nous avons vu qu'après avoir quité

la

la maison de fon père il s'étoit affocié avec une troupe de gens fufpects, & qu'il vivoit avec eux, peut-être de rapines & de brigandages. Je fais bien, que quelques Interprètes donnent un fens favorable au terme, qui eft employé dans l'Hiftoire fainte pour caracteriter les compagnons de Jephthé: mais fi l'on ne peut fans injustice refuser des louanges à l'inclination, que ces Interprètes ont eu de juftifier le genre de vie de ce Juge d'Ifraël, on doit reconnoitre ausfi qu'ils ont eu bien de la peine à la fatisfaire. Ils ont prétendu que le mot ip, rekim, qui eft dans l'Hébreu & qui fignific proprement vuide, ou vain, marque ici une grande indigen

& non une grande dépravation. C'est pourtant le même terme, dont l'Auteur facré s'étoit fervi pour défigner les fcélérats, qui avoient fomenté les concuffions d'Abimélech: Ce même titre eft donné à ceux qui fuivirent David dans le temps, que l'extrémité, à laquel le la perfécution de Saul l'avoit reduit, le forçoit d'ufer des moyens les plus violens pour fournir à fa fubfiftance. La Vulgate a traduit ce mot par celui de brigands: les Septante & le Paraphrafte Chaldaïque par celui de vain: l'Interprète Syriaque, des hommes oififs & voluptueux, & l'Arabe, des bandits, ou des vagabonds. Auffi 37 Grotius a-t-il rangé Jephthé dans la claffe de ceux, qui de Chefs de brigands, font devenus de grands Généraux.

4. 11 y eut de la cruauté dans la maniére, dont l'armée de Jephthé fe vangea de l'affront, que lui avoient fait les Ephraïmites. Ils s'étoient plaints

37 GROTIUS du droit de la P. & de la G. tom. II, lib. 3. chap. 3. fect. 3. pag. 754.

plaints à lui de ce qu'il ne les avoit pasappellez 1. &c. à la guerre, qu'il avoit faite aux Hammonites: foit que ce reproche fût fondé, foit que ce ne fût qu'un prétexte à leur jaloufie, ils menacè rent de mettre le feu à la maifon de Jephthé. Il fit fon apologie. Elle ne fut point écoutée : du moins elle ne fut pas reçûe. On en vint aux mains: les Ephraimites furent défaits. Jufques là nous ne pouvons imputer à Jephthé que d'avoir repouflé la force par la force, ce qui eft toûjours fondé fur le droit des Gens & de la Nature, lorsqu'il n'y a aucun Juge fupérieur à qui l'on puiffe avoir recours. Ceux des Ephraïmites, qui échapèrent à l'épée des Galaa, dites, cherchérent dans le mépris, qu'iis témoignèrent à leurs vainqueurs, & dans les injures qu'ils leur dirent, une confolation à leurs malheurs. Ils dirent aux Galaadites qu'ils n'étoient Jug. x11. que des Réchapez, ou des Deferteurs, d'Ephraïm &de Manaffé: un mélange confus de l'une & de l'autre de ces deux Tribus, mais qui n'étoit avoué d'aucune des deux. Galaad étoit pourtant XXVI 29. un vrai membre de la Tribu de Manafilé, puisJofué qu'il étoit fils de Machir, le petit fils de ce PaXVII. I. triarche, & tous les Galaadites étoient de vrais

Nombr.

&c.

Manaffites. Mais Jair Galaadite avoit conquis dix villes, qu'on appella les villes de Fair, dans lesquelles ceux de fa famille vivoient séparez des autres Tribus, ce fut peut-être ce qui donna lieu à ce reproche, que les Galaadites étoient des Réchapez d'Ephraïm & de Manaffe. Quoiqu'il en foit fur le fens précis de ce titre odieux, les Galaadites, que Jephthé commandoit, en tirè, rent une cruelle vangeance. Ils fe faifirent de: tous les endroits du Jourdain, par où les Ephraïmites, qui étoient échapez de la bataille, de

voient

froient paffer pour retourner dans leur païs, &
ils Jes pafférent tous au fil de l'épée. Et com-
me plufieurs de ces malheureux vouloient dé-
guler leur Patrie & leur Tribu pour fe déro-
Her à la fureur des Galaadites, ceux-ci uférent
de ce stratagême pour découvrir la rufe des E-
phraïmites: dès que quelcun fe préfentoit pour
paffer le Jourdain, ils lui demandoient s'il étoit
de la Tribu d'Ephraïm : quand il difoit qu'il
n'en étoit point, ils lui fefoient prononcer un
mot, dans lequel eft la lettre Hébraique w, qui
a le même fon que ch dans notre Langue : les
Galaadites connoiffoient à l'accent des paffagers,
'ils étoient de la Tribu d'Ephraïm, ou de quel-
que autre car les Ephraïmites prononçoient
le comme une fimple S: & au lieu de dire
nha, Schibbolet, (c'étoit le terme Hébreu * Ce mot
qu'on les obligeoit de prononcer) ils pronon-
fignific
çoient Sibbolet. Cet accent les trahiffoit: il fe- p
foit connoitre qu'ils étoient de la Tribu d'E-
phraïm,& on les immoloit incontinent à la
vangeance des Galaadites, qui tuèrent ainsi de
ens raffis, dans un feul jour, quarante-deux mille Jug. XII, `
Ephraïmites.

I.

L'Hiftoire fainte ne nous fait donc pas un portrait affez avantageux de Jephthé, pour que hous nous devions faire un fcrupule de l'accufer d'avoir agi contre les Loix de Dieu, fi de bonnes raifons nous y engagent. Je fai bien que Hebr. xx. St. Paul le range parmi les Héros, dont il verf. 32. ropofe la Foi pour modèle à tous les Chréiens. Mais fi Jephthé doit nous fervir de modèle en ce qu'il ajoûta foi aux promefles, que Dieu lui fit de délivrer les Ifraëlites par fon ministère; il ne doit pas pour cela être regardé omme un exemple dans toute fa conduite, Tom. 111. Ff

[ocr errors]

dont

[blocks in formation]
« PreviousContinue »