Page images
PDF
EPUB

heurs, & qui caufa enfin leur ruine totale. Voici comment la chose se paffa.

Les Ifraëlites toûjours portez à s'encenfer euxmêmes, & à rapporter aux caufes fecondes les graces qu'ils recevoient immediatement du Ciel, le donnèrent moins de mouvement pour témoigner leur reconnoiffance à Dieu leur vrai Libérateur, que pour en marquer à Gédéon, qui n'étoit que l'inftrument de leur délivrance. Ce qu'il y eut de plus criminel encore, c'cft qu'ils offrirent de fortir de l'état de Théocratie où ils étoient, & de déferer la Couronne à ce Général. Gédéon eut horreur de cette propofition. Mais dans le tems qu'il témoignoit tant de délicateffe, il fuccomba peut-être lui-même à une tentation plus groffière que celle à laquelle il réfiftoit, du moins il fournit aux Ifraëlites l'occafion d'y fuccomber. Il ne voulut d'autre récompenfe du fervice qu'il venoit de leur rendre, que les bagues qu'ils avoient prifes fur les Ifmaelites. Ce terme syn, Ifmaelites, qui Juges eft employé dans l'Original, fe prend ici pour VIII. 24. les Arabes en général, qui font appellez Imaëlites, parce que les defcendans d'Ilmaël étoient les principaux habitans de l'Arabie. Il falloit que ces fortes d'ornemens fuffent plus en ufage parmi les Arabes que chez les autres peuples : puifque l'Hiftorien après avoir dit que les ennemis, que les Ifraëlites venoient de vaincre, avoient des bagues, il en rend cette raifon : C'eft Juges qu'ils étoient Ifmaëlites. On accorda fans peine ce préfent à celui, à qui l'on venoit d'offrir la Couronne. Le poids des bagues, qu'on lui donna, étoit de mille & fept cens ficles d'or, fans Ver. 26. y comprendre les colliers, les boites de fenteur, les habits d'écarlate, qu'avoient les Rois de

Bb 2

Madian,

VIII.24

Jug. VIII.

27.

Madian, ni les colliers, qui étoient aux cous de leurs chameaux.

L'ufage, que Gédéon fit de ce don, eft narré d'une manière concile & obfcure dans POriginal. Auffi a-t-elle été une fource de diverfité d'opinions aux Interprètes. Le Texte porte: Gédéon fit, du provenu de toutes ces chofes, un Ephod, qu'il mit à Hophra fa propre ville: tout Ifraël commit fornication après lui: ce qui tourna en piège à Gédéon & à fa famille.

Il n'eft pas aifé de marquer ce que c'étoit que cet Ephod: le mot Hébreu, 78, fignifie un habit. Il a particuliérement deux fens: quelquefois il fe prend pour une pièce des ornemens des Sacrificateurs, au fujet de laquelle on n'eft pas d'accord parmi les Savans. 3 J'indique au Lecteur plus d'Ouvrages fur cette matiére qu'il n'aura la patience d'en confulter. Quelquefois ce mot d'Ephod le prend dans un fens vague, & alors il fignifie tout un habit. Du moins c'eft la fignification, que lui donnent quelques Interprètes, dans le Chap. XV. du premier livre Verf. 27. des Chroniques. Mais comme l'Hiftorien n'a

point fpecifié de quelle manière étoit fait l'Ephod de Gédéon, qui pourroit remplir ce vuide? Il y a quelque probabilité dans la penfée de ceux qui croyent, qu'il faut attacher ici à ce terme la notion la plus étendue dont il eft fufceptible: n'étant pas vraisemblable qu'un

mor

32 Voi. JARCHI in Exod. XXVIII. 4. pag. 671. JOSEPH. Antiquit. lib. III cap. 6. pag. 113. ARIAS MONTANUS apparatus Biblic titul. Aaron. BRAUNIUS de veftitu Sacerdotum. lib. II. cap. 6. pag. 58.

33 DIODOR. SICUL. geftabat Prator in colle ex aurea catena dependens è lapillis Pratoris fimulacrum, cui ve

morceau de l'habit de ce Juge eût été d'un fi grand prix. Mais pour bien juger de la folidité de cette opinion, il faudroit favoir fi Gédéon ne mit point quelque pierre précieufe à son Ephod,& c'eft fur quoi il n'y a aucun moyen de s'éclaircir.

S'il eft difficile de déterminer la forme & la matiére de l'Ephod de Gédéon, il eft incomparablement plus difficile encore de marquer, quel fut le but qu'il fe propofa en le faifant. 33 Quelques-uns ont crû qu'il l'avoit destiné à marquer le grade, qu'il occupoit dans la République d'Ifraël: ils ont prouvé par des pasfages des Auteurs profanes, que les Anciens a voient certains ornemens diftinguez, qui étoient des fignes de l'éminence de leur rang. 34 Diodore de Sicile rapporte, que ceux, qui adminiftroient la juftice en Egypte, portoient des colliers. Si ç'a été le but de Gédéon, l'Hiftorien aura voulu, en parlant de cet Ephod, nous apprendre qu'au lieu d'accepter les marques de la Royauté, il fe contenta d'être distingué du refte des Ifraelites par un habit particulier, & cette opinion n'a rien qui ne foit vraifemblable, ni qui terniffe la mémoire de Gédéon.

35 Quelques autres Interprètes lui attribuent un but plus digne d'un homme, à qui Dieu venoit d'accorder des faveurs fi éclatantes: ils pré

ritas nomen, lib. I. pag. 68.

34 Vuiez ce fentiment rapporté & examiné avec plufieurs autres dans une Differtation de HABICKHORSTIUS, qui eft dans le prémier vol. du Thefaurus Theologico-Philologicus pag 526. Amftelod. 1701.

35 SALIAN. ad annum 2786. pag. 440.

prétendent que cet Ephod étoit un monument de fa reconnoiffance. Mais fi cette pensée eft glorieufe à ce Juge d'Ifraël, elle n'eft fondée fur aucune circonftance de l'Hiftoire: on ne fauroit alléguer un feul témoignage, par où il paroiffe qu'il fût animé d'un fi beau motif.

Auffi trouve-t-on de grands Hommes, qui ont été dans une extrémité tout oppofée; & qui ont crû que bien loin que cet Ephod fût une preuve de reconnoiffance, il fut fait par un principe d'ingratitude, & que Gédéon imita I'habit du grand Sacrificateur afin de rendre aux Idoles à Hophra le même honneur, qu'on rendoit au vrai Dieu dans le Tabernacle. C'eft en particulier la pensée du faux 36 Philon, qui dit que Gédéon fit des Idoles,& les adora. Quelque répugnance qu'on doive avoir à noircir la mémoire des faints Hommes, il faut reconnoltre que cette derniére interprètation, fi elle n'a pas plus de partifans que les deux premiéres, a plus de probabilité. Il eft dit expreffément dans les paroles, que nous avons citées, que tout Ifrael commit fornication après lui: c'eft-àdire, felon le ftyle conftant de l'Ecriture fainte, qu'il tomba dans l'idolatrie. J'avoue que ces paroles après lui font équivoques dans le Texte,qu'elles peuvent fe rapporter ou à Gédéon, ou à l'Ephod, & marquer ou l'époque

Ou

l'objet de l'idolatrie des Ifraëlites: on peut entendre que ce peuple commit fornication après Ephod, qu'il fe rendit coupable de ce crime après la mort de Gédéon. Mais cette équivoque

paroit

36 PSEUDO-PHILO in fcholiis. 37 SPENCER. de ritual. Mofaic. lib. III. cap. 3. fest 5. pag. 348.

paroit levée par ce qui eft ajoûté, que cela tourna en piege à Gédéon & à fa famille. Ces derniéres paroles femblent enveloper Gédéon lui- Juges même dans la conduite criminelle, qui eft at- VIII. 27. tribuée à tous les Ifraëlites, & dans les malheurs qu'elle leur attira. C'eft le fentiment 37 de Spencer.

Verf.

38 Mr. le Clerc a réfuté quelques-unes des raifons, fur lesquelles ce favant Homme avoit fondé cette dernière opinion. Il croit que cette phrase, faire un Ephod, peut fignifier dans les paroles que nous expliquons, établir un facerdoce. Il appuie cette explication fur ce qui eft dit dans le Chap. XVII. des Juges, que Mica eut une Maifon des Dieux, qu'il fit un Ephod & des Marmoufets, qu'il confacra un de fes fils, qui lui fervit de Sacrificateur. Le crime de Gédéon, felon ce célébre Auteur, fut, non d'avoir voulu rendre des honneurs divins à d'autres qu'à Dieu, mais d'avoir voulu former un nouveau genre de Sacerdoce, en méprifant celui, dont Dieu avoit revêtu lui-même Aaron & fa poftérité. 39 Quelques Interprétes, qui font dans la même penfée, ont crû que l'Ephod de Gédéon répondoit à l'Autel qu'il avoit bâti, & fur lequel ils prétendent qu'il immola lui-même celui des deux taureaux, dont nous avons parlé, & dont l'Hiftorien n'a pas marqué la deftination. Nous foufcririons fans peine à l'explication de Mr. le Clerc, s'il avoit allégué quelque preuve critique, par laquelle il parut que cette façon de parler commettre fornication se

/prend

38 Mr. LE CLERC fur Jug. VIII. 27. pag. 106. 39 ABARBANEL in Jud. VIII. 27. fol. 3. pag. 2.

« PreviousContinue »