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ces dix mille hommes, qu'ils euflent à defcendre fur les bords du Jourdain, & à y boire fans fe fervir d'aucun vaifleau pour porter l'eau à leur bouche. Cette dernière particularité, je veux dire celle de ne fe fervir d'aucun vaiffeau, n'eft pas rapportée dans le Texte: il femble pourtant qu'on eft en droit de la fuppofer. Eftil probable que parmi dix mille Ifraëlites il ne s'en fût trouvé aucun, qui eût quelque taffe, ou qui ne s'en fût pas fervi dans cette occafion?

Quand Gédéon eut obéi, Dieu lui ordonna encore d'envoyer tous ceux qui s'étoient courbez ou appuiez fur leurs genoux pour boire plus commodément, & de ne garder auprès de lui que ceux qui auroient pris de l'eau avec leurs mains, & qui l'auroient lapée comme font les chiens. Nous nous fervons du mot de laper: Jug. vii. c'eft ainfi que les Septante ont rendu celui de l'O- 5.6. riginal: il convient parfaitement à l'image qui eft ici employée, & qui eft prife de la manière, dont les chiens ont accoutumé de boire. 7 Arif tote dit, que les animaux qui ont les dents ferrées, tels que font les chevaux & les bœufs, fucent l'eau, mais que pour ceux, qui les ont en forme de fcies, ils la lapent: il fe fert du mot λare, d'où dérive naturellement le terme François laper, qui eft le même que celui de plufieurs Langues du Nord.

Mais d'où venoit la grande diftinction, que Dieu mettoit entre les Ifraëlites qui laperoient l'eau comme font les chiens, & ceux qui fe courberoient pour boire plus commodément ?

8 Quel

7 ARIS T. de Animalibus lib. VIII, cap. 6, pag. 386,

1

8 Quelques Juifs ont dit fans preuve, que ces derniers étoient idolatres; que les autres étoient adorateurs du vrai Dieu. Mais je demanderois encore comment il fe pût que précisément tous ceux qui fervoient Bahal, fe courbaffent fur leurs genoux, & qu'il n'y eût que les vrais Ifraëlites, qui fe ferviffent de leurs mains au lieu de taffe? C'eft à quoi les Juifs, ce me femble, ne font aucune réponse folide.

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9 D'autres ont crû, qu'il y avoit dans l'ordre donné par Gédéon une allufion à ce que fefoient les chiens lorsqu'ils buvoient dans le Nil, où il y avoit beaucoup de crocodiles: la crainte d'être dévorez par ces animaux ne leur permettoit de boire qu'avec précipitation: de la etoit venue, au rapport de Macrobe, cette façon de parler proverbiale: Le chien boit & s'enfuit. On s'eft pourtant beaucoup récrié contre les Interprètes, qui ont avancé cette penfée. On a demandé s'il étoit vraisemblable, que Dieu, qui avoit ordonné d'abord de renvoyer tout ce qu'il y avoit de lâches & de timides parmi les trente-deux mille hommes cût voulu renvoyer enfuite les plus courageux de ceux qui étoient reftez avec Gédéon? Quand il feroit arrivé à ceux qui fe félicitoient de fe fouvenir du paffage de Macrobe, que le plaifir de le.citer les auroient portez à l'appliquer ici hors de faifon, ce ne feroit pas la première fois que la tentation d'étaler de la Critique auroit fait commettre une faute contre la droiture du ju

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gement.

8 SALOM. JAR CHI Ita edotti erant Ifraelite ifti ui Incurvarent fefe coram Idolis, in Jud. VII. 5. pag. 76. 9 SIXT. AMAMA Antibarbarus lib. III. pag. 385. IO MACROR. Furius poft Mutinenjem fugam querentibus quid ageret Antonius, refpondiffe familiaris ejus fere=

gement. Il me femble pourtant que la pensée, contre laquelle on fe récrie, n'eft pas tout-à-fait infoûtenable. Le grand but de Dieu étoit de faire fentir aux Ifraëlites que la victoire, qu'ils alloient remporter, viendroit de lui uniquement. C'eft C'est pour cela qu'il ne fait affembler d'abord que trente-deux mille hommes: c'eft pour cela qu'il réduit ces trente-deux mille hommes à dix mille: c'eft pour cela enfin qu'il ne veut que la moindre partie de ces dix mille hommes. Mais de peur que cette précaution ne fût pas capable de rabattre ou de prévenir la présomption des Ifraëlites, de peur qu'on ne dit après la victoire, que c'étoit l'élite de ce qu'il y avoit de plus courageux en Ifraël qui Pavoit remportée, il ne choifit, dans ces dix mille hommes, que ceux qui en étant fur les rives du Jourdain avoient témoigné autant de crainte pour les Madianites, que les chiens lorsqu'ils boivent dans le Nil en ont pour les cro codiles; il ne choifit que ceux que la peur fe foit boire en courant comme des chiens, qui craindroient d'être dévorez s'ils buvoient avec moins de rapidité.

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Peut-être trouvera-t-on plus de folidité dans le fentiment de ceux qui prétendent, que les foldats, qui fe courboient fur leurs genoux, marquoient quelque forte de molleffe par cette pofture, au lieu que ceux qui buvoient en courant témoignoient de l'impatience d'en venir aux mains avec l'ennemi. Mais peut-être auffi, & j'avoue que c'est l'opinion pour laquelle je

me

batur, quod canis in Egypto bibit & fugit, quando in illis regionibus conftat canes raptu crocodilorum exterritos currere

bibere, lib. II. cap. 2. pag. 226. Voi. auffi Dous; THAUS Analecta S, excurfio 71. pag. 122. Aa

Tom. III.

me fens plus de panchant, peut-être faut-il re connoitre ici un figne purement arbitraire, dans lequel on ne doit chercher d'autre raifon, que la volonté de celui qui l'inftitue. S'il falloit abfolument propofer quelque chofe de plus particulier fur ce fujet, je dirois que dans le deffein, que Dieu avoit de ne retenir que le plus petit nombre des combattans, il falloit préferer ceux qui boiroient en courant, à ceux qui fe courberoient fur leurs genoux. Naturellement il devoit y avoir beaucoup moins de ceux qui boiroient d'une maniére fi peu commode, que des autres. C'eft du moins ce que vérifia l'événement. Parmi les dix mille hommes, qui étoient reftez à Gédéon, il n'y en eut que trois cens qui lapèrent l'eau avec leur langue: ce furent les feuls que Gédéon retint. Les autres fe courbèrent fur leurs genoux: auffi furentils renvoyez.

Il étoit à craindre que Gédéon ne fût effrayé de la foibleffe de fes troupes, & de la multitude innombrable de celles, avec lesquelles il alloit fe trouver aux prifes. Dieu voulut le raffurer contre ce nouveau fujet de frayeur. II lui apparut durant les ténébres de la nuit : il lui commanda de s'approcher du Camp des Madianites, & de ne prendre avec lui, dans une démarche fi hardie, que Purah, l'un de fes plus fidelles ferviteurs. Il obéit. La face de la terre étoit couverte de la multitude de ces Idolatres. Ils avoient auffi un grand nombre de chameaux leur païs en étoit rempli; " c'étoit même une partie des richeftes des Rois de Madian,

II Voi. BOCHART Hieroz. part. I. lib. II. cap. 2.

pag. 77.

Madian: & quand on vouloit donner une grande idée du pouvoir de ces Princes, on ne pas il a tant de revenus, mais il a tant de

difoit

chameaux.

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Gédéon s'approcha de l'avant-garde des ennemis, qui étoit peut-être compofée de cinquante hommes, du moins c'eft ce que femble marquer l'expreffion de l'Original. entendit un Madianite, qui racontoit à un de fes compagnons, qu'il avoit crû voir en dormant un pain d'orge parti d'un lieu éminent, & qui aiant roulé jufques aux tentes des Madianites, les avoit abatues. 12 Ceux qui ont écrit fur la creufe matiére des Songes difent que fonger qu'on mange un pain d'orge, c'est un figne favorable: mais que fonger d'en voir un qui renverfe une tente, c'est une marque finiftre. Quoique nous n'ayons pas le moindre panchant à admettre cette peniée, il eft certain que celui, à qui ce fonge fut raconté, en tira un augure funefte. Il dit, que ce pain d'orge fignifioit l'épée de l'Homme d'Ifraël, c'eft-à-dire, du Chef des Ifraëlites, comme l'on difoit 3 l'Homme de la Montagne du Temple, pour dire celui qui en avoit le commandement. Il ajoûta, que Gédéon alloit fondre fur l'armée de Madian, & la détruire comme ce pain d'orge avoit roulé contre les tentes des Madianites, & les avoit renversées.

Peut-être y avoit-il quelque allufion entre le mot on, lechem, employé dans l'Original pour

dire

12 Je ne fai où j'ai vû cette explication. 13 L'EMPEREUR in Cod. Middoth cap. 1. fect. zg pag. 7.

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