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que

la vie des Souverains fuffifoit pour autorifer Ehud à ôter la vie au Roi des Moabites, après Dieu lui en eût donné la commiffion Mais dans la mort de Sizera nous trouvons des circonftances, qui ne paroiffent pas d'abord pouvoir être approuvées par un Etre qui aime la juftice & la vérité. Il y avoit une cfpéce d'Alliance entre les Kéniens & les Cananéens : toute Alliance fuppofe une condition tacite, ou exprimée, de fe donner des fecours reciproques dans des befoins preffans: & jamais befoin ne fut plus preffant que celui où fe trouvoit Sizera, lorfqu'il entra dans la tente de Jahel.

XIX. 8.

Il y a plus encore, cette femme femble violer ce qui a toûjours été regardé, fur-tout dans les premiers Siècles du Monde, comme ce qu'on peut imaginer de plus facré, je veux dire les droits de l'Hofpitalité. L'Hiftoire fainte nous fournit elle-même des exemples du refpect qu'on avoit pour ces droits. Lot veut livrer fa fille aux brutales paffions des habitans de Sodome, Genef. plûtôt que de leur abandonner deux hommes, qu'il avoit retirez dans fa maison. L'Ephraïmite Verf. 24. de Guibha, dont il eft parlé dans le Chap. XIX. des Juges, fit la même offre dans un cas pareil pour défendre un Lévite, qui étoit dans fa maifon. Je n'entafferai point ici ce grand nombre de paffages des Auteurs profanes, qui contribueroient à rendre la difficulté plus presfante, en preffant les droits de l'Hofpitalité. La chofe parle affez d'elle-même. Comment fe

peut

cueilli, mais ils entendent ce que fe devoient les unes aux autres deux perfonnes en vertu d'un pacte, qu'elles avoient fait de fe recevoir reciproquement dans leur maison.

peut-il que Dieu ne condamne pas l'action de Jahel, qui viole ces droits d'une maniére fi criante, & qui affaffine dans fa propre tente un homme, qu'elle a elle-même invité à y venir

chercher retraite?

On ne fauroit répondre bien directement à cette Question, fans être éclairci fur certains faits, au fujet defquels l'Histoire fainte garde un profond filence.

Il faudroit favoir de quelle nature étoit l'Alliance, qu'il pouvoit y avoir entre Héber & Sizera. C'est une Maxime reçûe par les plus fages Jurifconfultes, qu'une convention plus étroite doit être obfervée au préjudice d'une convention moins étroite, lorfqu'il y a conflict entre elles, & qu'on ne peut les obferver toutes deux. Je me fers ici des termes de 2 Puffendorf: Si l'on ne peut exécuter en même tems deux conventions, dont l'une a été faite avec ferment, & Pautre fans ferment, celle-ci doit ceder à la premiére. Il fe peut que la convention des Kéniens avec les Ifraëlites étoit de ce premier genre, & que celle qu'ils avoient avec les Cananéens étoit du fecond. On peut faire diverfes fuppofitions pareilles, auxquelles il y a plus d'équité de recourir,qu'à condamner une action que le Saint Efprit a approuvée.

Mais fans faire ces fortes d'hypothéfes, il me femble qu'on peut trouver dans le caractére même de Jabin & de fes Miniftres l'apologie de Jahel. Jabin étoit un Tyran; Sizera étoit le principal fauteur de fes tyrannies. Les hommes les plus fourbes & les plus cruels ont

befoin

21 PUFFENDORFF. Droit de la Nature & des Gens lib. IV. ch. 2. pag. 454. &c.

befoin fouvent que leurs Alliez foient droits & bienfaifans. Mais devons-nous avoir de la bonne foi & de l'humanité pour ces perfonnes exécrables, qui n'exigent ces vertus de nous, que lorfqu'elles leur fourniflent les moyens de les violer eux-mêmes impunément, de manquer à leurs promeffes, de porter par-tout le fang & le carnage? J'avoue que je ne comprens pas fur quoi cette obligation feroit fondée. Il y a certains Monftres dans la Nature, à la perte desquels toute la Societé eft intereffée. Concourir à les conferver, refufer même de fe prévaloir des occafions qui s'offrent pour en purger la terre, c'eft (quelque liaison qu'on ait d'ailleurs avec eux) fous prétexte de fidélité envers un Allié, être perfide à ce qu'on doit à tous ces hommes, qui tôt ou tard deviendroient les victimes de fes concuffions & de fes barbarics. C'eft manquer à ce qu'on le doit à foi-même, & s'expofer à être immolé à ce Monstre, qu'on fe fera fait un fcrupule d'étoufer, pour arrêter le progrès de fes cruautez. Daigne la Providence ne nous faire jamais voir ni des Jabins, ni des Sizeras! Que fi pourtant fa juftice demande qu'elle nous vifite quelquefois de cès fortes de Heaux pour nous corriger, daignent fes miféricordes fufciter des Jahels qui nous en délivrent! Nous emprunterons alors des paroles, que le Saint Efprit a dictées: nous revétirons fans fcrupule des fentimens qu'il a infpirez. Nous chanterons dans les tranfports de notre joie le Cantique de Débora. Après avoir béni l'Auteur de notre délivrance, nous bénirons les mains, dont il s'eft fervi pour l'operer, & nous dirons fans fcrupule: Bénite foit fabel femme de Jug. v. Héber Kénien par deffus toutes les femmes ; qu'elle 24. 25. 26.

Tom. III.

X

foit

foit bénite par deffus les femmes qui fe tiennent dans les tentes. Il a demandé de l'eau, elle lui a donné du lait, elle lui a présenté du beurre dans la coupe des grands Seigneurs. Elle a avancé fa main gauche, & elle a pris un clou, & de fa main droite, pris le marteau des Ouvriers, elle a frapé Sizera, &lui a fendu la tête, elle a tranfpercé & traversé Jes temples.

aiant

Il faut examiner en finiffant ce Difcours le Cantique, d'où les paroles, que nous venons de citer, font tirées. Il eft, comme nous l'avons dit, de Débora, qui le compofa pour transmettre à la postérité le souvenir de la délivrance, que Dieu venoit d'accorder aux Ifraëlites, & pour être un monument de la reconnoiffance qu'elle en avoit eue. Ce Cantique n'eft pas feulement l'ouvrage de l'efprit humain : il doit être regardé comme émané d'une perfonne, qui avoit les dons prophétiques. Parmi ces dons il y en avoit peut-être un particulier, favoir celui de chanter dignement les louanges de Dieu. C'est ce quelques Docteurs Juifs ont conclu de ce qui eft dit dans le Chap. XXV. du

à

22 Voi. la note de S. JARCHI fur 1. Chron. XXV. 3. pag. 508. Voi. auffi la remarque du même fur i. Chron. XVI. 42. pag 481.

23 MAIMONIDES More Nevochim part. 2. cap. 14. pag. 317.

24 Prafat. in Pfalm. de la verf. d'AMBROISE JANVIER pag. 2. impr. à Paris in 4.

25 HIERON Prafat in EUSE B. Chronic. Quid Pfalterio canorius, quod in morem FLACCI noftri, & Graco · PINDARI, nunc Iambo currit, nunc Alchaico perfonat, nunc Sapphico tumet, nunc jemipede ingreditur. Cette Préface eft au commencement du Thefaurus temporum, publié par SCALIGER, Amfterdam 1658.

26 PHILO de vita contemplativa pag 894. 902. 27 MERCER. Neque defpero, fi quis diligenter attenderit, quin poffit metrorum ratio inveniri: id ego fi quando

du i. des Chroniques, que les enfans d'Afaph, Verf.6. ceux d'Idéman & ceux de Feduthun prophétifoient avec des violons, des mufettes, & des cymbales. 23. Maimonides appelle ce don le fecond degré de Prophétie, & le 24 Rabbin Kimchi le diftingue de celui qu'il appelle le Saint Efprit.

26

Nous n'examinerons point la cadence du Cantique de Débora. Nous reconnoiflons ingenûment, que dans tout ce qui nous eft connu touchant les mefures des vers Hébreux, nous n'avons rien trouvé qui ne foit au deffous de ce que les Savans, qui l'ont propofé, s'étoient promis en le publiant. 5 St. Jerôme, 6 Philon, 1 Mercer, 8 Meibomius, 9 Gomar, & quelques autres, qui ont crû donner des règles pour fcander ces vers, ont échoué dans ce deffein, & ont été folidement réfutez, par 30 Louis Cappel, par 3 Martinius, par 3 Samuel Bohlius, par 33 Vafmuth, par 34 Pfeiffer, & par quelques autres. Le dernier de ces Critiques a prouvé, que l'Oraifon Dominicale pourroit être réduite à une forme Poétique, fans qu'on y changeât un feul mot, &; feulement en fui

vant

per otium licuerit pervefligare conabor. Comment. in Jobi cap. III. pag. II.

28 M. MEIBOMII David. Pfal. XII.

29 GOMAR Davidis Lyra, dans le II. vol. de fes Oeuvres pag. 113.

30 LUDOVICI CAPPELLI Arcanum punctationis lib. 1. cap. 13. pag. 730. la derniére édition d'Amfterdam.

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34

MARTINIUS: voi. CALMET Differtation
fur la Poéfie des Hébr. au commencement du
vol. fur l'Exode, pag. 46.

SAMUEL BOHLIUS.

VASMUTH.

PFEIFFER differt. de Poifi Hebr. citez dans

Calmet ubi fupra.

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