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le deffein de la mort d'Héglon avoit été formé dans une Affemblée juridique, & qu'Ehud n'agifloit que par l'ordre de fes Magiftrats: mais nous ne trouvons rien dans l'Hiftoire fainte, qui autorife cette pensée. Ehud fe munit d'une épée à deux tranchans, il la cacha fous fes habits, & il la mit fous fa cuiffe droite. Nous ne croyons pas devoir faire ici diverfion à notre narration, pour rechercher de quel côté on portoit anciennement l'épée : ceux qui voudront s'éclaircir fur cette Question peuvent recourir 25 aux fources que nous leur indiquons: mais comme l'Hiftoire range ici parmi les précautions, que prit Ehud pour couvrir fon deffein celle d'avoir mis fon épée fous la cuiffe droite il est probable qu'on la portoit alors du côté gauche.

Notre Héros partit avec quelques-uns des Benjamites, qui étoient chargez du tribut: il l'offrit à Héglon de la part de toute la Tribu de Benjamin: il s'en retourna avec ses compagnons de voyage jufques à Guilgal, qui étoit a l'extrémité orientale du Jourdain, & il feignit de vouloir repaffer le Jourdain avec eux pour aller rendre compte de fa commiffion.

Mais il rebroufla incontinent chemin: il retourna vers Héglon, & il lui témoigna qu'il avoit un fecret important à lui communiquer. Héglon le reçût favorablement, & avec ce genre d'imprudence, qui a fait dire aux 26 Payens, que Dieu ôte le fens à ceux dont il a réfolu la perte:

Le Texte Hebreu dit qu'Héglon étoit gras, les LXX. traduifent, fans que nous en puiffions favoir la raifon, ass, c'est-à-dire, poli, courtois.

25 Voi. la note de CALMET fur Jug. III. 16. pag.

perte: il ordonna à Ehud de garder le filence jufqu'à ce qu'ils fuflent fans témoins, & il commanda à tous les Affiftans de fe retirer.

Après qu'ils furent feuls dans une falle haute, Ehud fit tomber Héglon dans l'erreur, en ne lui déclarant que la vérité. Il lui dit qu'il venoit s'aquitter d'une commiffion, qu'il tenoit immediatement de Dieu même. Le Moabite Jug. 111; fut faili de refpect à l'ouie de cette déclaration: 20. P'Hiftorien dit qu'il fe leva de fon throne, probablement pour marquer fa vénération envers Dieu, de la part duquel Ehud venoit lui parler. Cette démarche, quoique faite par un Prince idolatre, n'a rien qui doive nous étonner, & dont nous ne trouvions d'autres exemples. Les Payens ne conteftoient point la Divinité au Dieu des Ifraëlites, ils ne lui conteftoient que l'unité, la prééminence & le pouvoir lu- Voi.Balak préme.

Nomb.

Alors Ehud prit avec la main gauche l'épée xx111.18. qu'il avoit fur la cuiffe droite, & il l'enfonça jufques à la garde dans les entrailles d'Héglon, d'où il ne pût la retirer, & par lesquelles les excremens fortirent. Il s'en alla incontinent après avoir fermé les portes de la chambre du Tyran, & il eut le temps d'arriver à * Guilgal, où il avoit laiffé fes compagnons de voya ge, & de fe retirer dans un petit lieu de la Tribu d'Ephraïm, fur la fituation duquel *7 les

Géogra

* Confrontez Jug. III. verf. 19 avec 27. où il eft parlé des Carriéres de Guilgal, on ne fait ce que c'étoit que ces Carriéres le mot Hébreu php fignifie auffi

des Idoles.

26 Quos vult perdere Deus hos dementat.
27 RELAND. Palaft. S. lib. III. pag. 998,

Tom. tit.

V

Verf. 26.

Géographes ne nous apprennent rien que d'in-
certain. Peut-être que le terme de l'Original
ne fignifie pas une ville, mais des broffailles:
c'eft une remarque de 28 Jarchi, & qui répond
au fens du Paraphrafte Chaldaïque & de l'A-
rabe.

Pendant qu'Ehud pourvoyoit à fa fureté, les ferviteurs d'Héglon attendoient vainement les ordres de leur Maitre pour entrer dans fa chambre. Nos Verfions portent qu'ils attenVerf. 28. dirent fi longtemps qu'ils en furent honteux. Cette traduction n'eft peût-être pas infoûtenable, mais il me femble qu'elle reveille ici une idée affez étrangère: le mot Hébreu eft susceptible d'un autre fens; il fignifie tarder extremément : ainfi que quelques 29 Interprètes Juifs l'entendent dans cet endroit, & ce me femble avec beaucoup de fondement.

Ehud fe prévalut de la confternation, que la
mort d'Héglon jettoit dans l'ame des Moabites:
il fonna de la trompette fur les montagnes d'E-
phraïm: il annonça aux Ifraëlites la défaite du
Tyran, il les exhorta à s'armer contre l'en-
nemi commun, & fe mit lui-même à la tête
de ceux qui voulurent concourir avec lui à
une fi glorieuse expédition. Il fut fecondé. Un
corps d'Ifraëlites defcendit de la montagne, &
alla fondre fur les Moabites, qui étoient dans
les plaines de Jérico, pendant qu'un autre corps
s'étoit faifi des endroits, où les ennemis de-
voient pafler le Jourdain pour aller dans leur
païs. Une attaque fi vigoureufe & fi imprévue
jetta

28 SALOM. JARCHI in Jud. III. 26. pag. 59.
29 Idem in Jud. III. 25. pag. 58.

30 GROTIUS du Droit de la Paix & de la Guerre
tom. I. liv. 1. chap. 4. fect. 19. pag. 199.

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jetta l'allarme dans l'Armée des Moabites, qui ne purent ni fe défendre, ni échaper : & qui furent taillez en piéces au nombre de dix mille hommes.

Nous ne rechercherons point fi le Droit de la Nature & des Gens, qui a tant de fois armé des Opprimez contre leurs Oppreffeurs, rendoit légitime l'action d'Ehud. La folution de cette Question dépend de diverfes circonstances, qui nous font parfaitement inconnues. L'on ne fauroit décider, c'eft une remarque de 3° Grotius, fi l'autorité du Roi des Moabites n'avoit point été légitimée par quelque convention. Nous avons une voie plus fûre & plus abrégée pour difculper ce Libérateur, c'eft l'ordre de Dieu qu'il avoit reçû, & qui condamnoit Héglon à ce genre de mort. Cet exemple eft donc au-deffus des règles communes: il ne peut fervir ni à ébranler les 3 divers fyftêmes, auxquels a donné lieu ce fameux & redoutable problême; eftil permis à des fujets de s'affranchir de la Tyrannie, en ôtant la vie à leur Tyran, & de revendiquer les terres, qui leur ont été ufurpées, en maffacrant l'Ufurpateur?

31 Voiez ce fujet debattu dans GROTIUS ibid. & dans PUFFENDORF du Droit de la Nature & des Gens lib. VII. ch. 8. sec. 6. pag. 301.

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308

DISCOURS XI.

La défaite de Jabin & de Sizera.
JUGES IV. & V.

L

2

A mort tragique d'Héglon & la défaite des Moabites procurérent une longue paix au païs d'Ifraël. Mais nous ne faurions déterminer combien dura ce période. Sa longueur eft exprimée par cette façon de parler, qui nous a parû fi obscure & fi équivoque Le pais fut en repos quatre-vingts_ans. Jacques Cappel, fuivi de Bochart, en rend même la léçon fufpecte: il veut qu'on life buit ans, au lieu de quatre-vintgs. Nous retenons la leçon ordinaire. Cette nouvelle grace fut une fource de rebellion: c'étoit le fruit ordinaire que les Ifraëlites retiroient des faveurs que Dieu leur fefoit. Ils avoient le malheureux art d'empoifonner leurs profpéritez. Il fallut qu'ils fuffent expofez à de nouveaux malheurs pour se rappeller leur devoir, & pour fentir leur dépendance. Ce n'étoit que dans les années, qui fuivoient immédiatement leur efclavage, qu'ils pou

1 & 2 BOCHART Hieroz. part. I. lib. 2. cap. 9. pag.

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