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Mais d'autres Interprétes ont crû, que ce fe roit faire violence aux expreffions de l'original, que de prendre pour de la grêle, ce qui eft dit des pierres qui tomberent fur les Cananéens. C'est ce qu'entr'autres favans Hommes a foûtenu avec force 15 Dom Calmet dans une Differtation pleine d'érudition fur ce fujet, qu'il a placée à la tête de fon Commentaire fur Jofué. Il faut reconnoitre que ce laborieux Auteur a renversé les prétenfions de ceux, qui voudroient faire regarder comme impoffible, que Dieu eût fait tomber de groffes pierres fur les Amorrhéens. Il croit même que Dieu n'a pas eu befoin de forcer les loix de la nature pour faire ce prodige, mais qu'il a dirigé les caufes naturelles pour la victoire miraculeufe, qu'il vouloit accorder aux Ifraëlites.

Pour prouver cette Théfe il emploie 1. des raifons phyfiques, 2. des faits incontestables.

Il fe peut que de groffes pierres ayent été formées ou tranfportées dans les airs par des caufes phyfiques. Des tourbillons & des vents impetueux peuvent détacher des rochers, & les transporter dans les airs. Des feux & des vents foûterrains, venant à fortir avec éclat, peuvent produire un même effet. De la pouffiére, du fable, élévez dans les airs & mêlez avec des parties fulphureufes, bitumineufes, huileufes, Vitrioliques, qui s'exhalent de la terre, & qui fe

15 DOM CALMET Differt. fur la pluie des pierres, pag. 21. à la tête du vol. fur Jofué.

16 MASIUS in Jofuam X. 11. pag. 1699, dans le fecond volume des grands Critiques.

17 DAMASCHus in lib. de Rglig. apud PLUTARCH. tom. I. in vita Lyfandri pag. 439. Comme je rapporte ici les citations de DOM CALMET, j'avertis qu'il y a

fe raffemblent dans une nuée, peuvent y former un corps combuftible, qui venant à prendre feu, tombe fur la terre, par l'endroit le plus foible de la nuée. Ainfi des raifons phyfiques fuffiroient pour former une pluie de pierres, fans qu'il fût néceffaire d'avoir recours ou à l'opération du Démon, comme l'a fait 16 Ma fius, ou à celle des Anges, comme l'ont fait quelques autres Interprètes.

Après que Dom Calmet a apporté des raisons phyfiques pour appuier fa pentée, il la fonde auffi fur des faits. Il en allègue un grand nombre, qui font très-favamment ramaffez, & trèsdignes de la curiofité des Lecteurs.

17 Plutarque rapporte l'Hiftoire d'une pierre de foudre, qui tomba autrefois dans le fleuve d'Argos; ce qu'il y a de plus fingulier, c'eft" que le Philofophe Anaxagore, qui croyoit que le Soleil eft un grand rocher enflammé, avoit prédit la chute de cette pierre, & prétendoit qu'elle s'étoit détachée du Soleil: Damascus difoit, qu'on l'avoit vûe pendant foixante & quinze jours dans les airs comme une nuée enflammée, & agitée tantôt d'un côté, & tantôt d'un autre, avant qu'elle fe précipitât: 18 Pline affûre, qu'elle étoit de la grandeur d'un chariot, & qu'on la confervoit encore de fon temps avec un fcrupule religieux.

19 Gaffendi raconte, que le 29. de Novem

bre

dans les preuves, qu'il allégue, deux fautes d'impresfion, à la lettre ƒ, & à la lettre h, il y a Platon pour Plutarque.

18 PLIN. lib. XI. cap. 59. pag. 103.

19 GASSENDI Oper. tom. I. Phyf. Seft, 14, lib. I' pag. 96.

bre l'an 1637. vers les dix heures du matin, pendant un jour fort ferein, deux perfonnes, qui étoient à la campagne, virent en l'air au deffus de la montagne de Vaffon une pierre enflammée. Ils ouirent comme des coups de canon. Il parut enfuite autour de cette pierre un cercle de diverles couleurs, & d'environ quatre piés de diamétre. Elle paffa à cent pas d'eux, élévée de terre d'environ dix toifes. Elle fefoit un fiflement pareil à celui d'un feu d'artifice, & rendoit une odeur comme de foufre Vbrulé. Elle tomba enfin. Plufieurs perfonnes accoururent à l'endroit où elle étoit tombée,& ils la trouvérent dans une foffe. Elle étoit grosfe comme la tête d'un veau, & on la conferve encore à Aix en Provence.

20 Cardan rapporte, qu'en l'année quinze cens dix il tomba dans la campagne voifine d'Addua, jufqu'à douze cens pierres, qui avoient la couleur du fer & l'odeur du foufre. y en avoit une de cent vingt livres, & une de foixante.

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* Diodore de Sicile dit, que les Perfes voulant aller piller le Temple de Delphes, furent diffipez par des pluies, qui tombérent avec une impetuofité extraordinaire: que la tempête, la foudre, & de gros carreaux de rochers détachez par la violence de l'orage, vinrent tout à coup fondre fur leur Camp, & leur tuérent un grand nombre de foldats. On trouve quelque

chole

20 CARDAN. tom. III. de várien. lib. XIV. cap. 72. pag. 278.

21 DIOD. SIC tom. II. lib. XI. Biblioth. pag. 12, 22 PAUSAN. lib. X. pag. 855.

23 JUSTIN. lib. XXIV. fub, finem':

chofe de femblable dans 22 Paufanias & dans 23 Juftin.

A ces faits, que Dom Calmet puife dans l'Histoire, il en ajoûte un, dont il a vû le monument de fes propres yeux. C'est une groffe pierre qui péfe environ 300. livres, que l'on conferve en Alface dans l'Eglife Paroiffiale d'Enfisheim, & que l'on dit être tombée avec de la grêle en l'année 1492.

On pourra trouver un plus grand nombre. de faits du même genre dans le Traité de l'Idolatrie de 24 Jean-Gerhard Voffius: il y en a un plus grand nombre encore dans un Ouvrage de as Conrard Lycofthenes. Il eft vrai que ce dernier Auteur n'eft pas exempt de crédulité & de fuperftition: il regarde la plupart des événemens extraordinaires qu'il raconte, comme des pronoftics des malheurs qui les ont fuivis; il le dit même au frontifpice de fon Livre, qu'il intitule de Prodigiis & Oftentis,&c. quod magnas viciffitudines in mundo portendit, &c.

Mais quoi que nous ayons lû la Dissertation de Dom Calmet avec plaifir, & que nous y ayons trouvé des traits d'Hiftoire, dont nous enrichiffons ce Difcours, nous ne faurions entrer dans fa pensée fur la pluie de pierres, dont il eft ici question.

Les raifons phyfiques, qu'il allégue, ne font tout au plus que des probabilitez, qui peuvent être combattues par d'autres probabilitez, &

peut

24 JOH. GHERARD. VOSSI U s de Idololatr. lib. IIL cap. 12. pag. 288.

25 CONRAD. LYCOSTHENES de Prodig. in ann. Mr. 3322. pag. 58. & ad ann. 3622. pag. 89. & in ann. 3749. pag. 114. & in ann. 3751. pag. 117. & paffim.

peut-être par de plus grandes vraisemblances. Il fe peut, je l'avoue, que des vents & des tourbillons détachent des parties de rochers, & les portent à une certaine hauteur: mais quels vents & quels tourbillons auroient jamais pû tranfporter une affez grande quantité de pierres pour tuer une Armée entière? Il fe peut que des feux foûterrains jettent des pierres: mais ces pierres, dont parle l'histoire des victoires de Jofué, venoient du ciel, c'est-à-dire, de l'air : fi elles avoient été jettées par quelque feu foûterrain, il faudroit qu'à une certaine diftance du lieu, où ces pierres tombérent, il y eût eu des gouffres affreux, qui fe fuffent ouverts, & qui eusfent fait de plus grands ravages fur la furface de la terre, que n'étoit la défaite des Amorrhéens ce qui n'eft pas vraisemblable. Il fe peut que des parties huileuses, nitreuses réunies, ayent formé des pierres, nous le reconnoiffons encore; mais il eft difficile de concevoir, que des nuages puiffent porter longtemps des maffes. de la groffeur, qui eft marquée dans l'endroit de l'Hiftoire Sainte, que nous expliquons..

Que doit-on donc répondre aux argumens pris de tous ces faits, que nous avons rappor tez, & auxquels on pourroit en ajoûter un fi grand nombre?

Nous répondons, qu'une partie de ces faits font fabuleux. Tel eft véritablement celui de cette pierre détachée du Soleil, & dont le Philofophe Anaxagore fe vantoit d'avoir prévu & prédit la chute. Il y en a de problématiques, comme celui que rapporte Cardan, & qui eft tout au moins douteux par cela feul, que c'eft lui qui le rapporte. Il y en a d'exagèrez, comme l'eft probablement celui de Diodore de Si

cile,

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