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un crime à une perfonne, qui pour fe dérober à un ennemi a recours à une rufe innocente? Sans dou te que fi la rufe, dont ufe cette perfonne, eft innocente, on ne fauroit lui en faire un crime, Mais quand nous adopterions ces principes, nous ne croirions pas devoir les appliquer au cas dont il eft ici queftion. Si les Ifraëlites avoient été des Brigands, qui fans aucun ordre du Ciel euffent porté leurs armes fanguinaires dans des païs, fur lefquels ils n'avoient aucun droit: fi les Gabaonites euffent ignoré qu'une Providence miraculeufe veilloit fur la conduite de ces Conquérans, j'avoue qu'en ce cas je re garderois comme innocente la fraude que nous avons racontée. Il me femble qu'il n'y a au cune loi, qui nous oblige de nous foûmettre, fous prétexte de fincérité, à des Incendiaires & à des Ufurpateurs impitoyables, qui viennent mettre nos villes à feu & à fang, & paffer au fil de l'épée nous & nos familles.

Mais le cas des Gabaonites étoit particulier. Ils Payoient dit eux-mêmes à Jofué, & s'ils vio loient les loix de la vérité dans leurs autres Jofué difcours, ils les obfervoient dans celui-ci : Vos $3.9 ferviteurs font venus à vous fur la réputation de PEternel votre Dieu, dirent-ils, fa renommée eft venue jufqu'à nous; nous avons appris toutes les chofes qu'il a faites en Egypte : & tout ce qu'il a fait aux deux Rois des Amorrhéens, qui étoient au delà du Jourdain, à Sihon Roi de Heçsbon, & à Hog Roi de Bafçan qui demeuroit à Hafçtaroth. Cette idée, qu'ils fe formoient du Dieu d'Ifraël, devoit les engager à de tout autres dé

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TO GROTIUS du Droit de la Paix, &c. tom. I.liy. 2. chap. 13. pag. 446.

marches que celle de fe dérober à fa juftice, par le déguisement & par le menfonge: ils devoient remonter, autant que l'obfcurité de l'œconomie, où ils vivoient, le pouvoit permettre, jusques à la caufe de cette rigueur, dont Dieu ufoit à leur égard: ils devoient reconnoitre, que leurs crimes leur attiroient tous ces fleaux, dont leur nation étoit ravagée; revêtir le fac & la cendre pour en obtenir e pardon; remettre le refte à la Providence; & fe convaincre que ce Dieu, qui avoit bouleversé la Nature & les Elemens pour punir des peuples coupables, fauroit bien trouver des moyens pour fauver des pénitens. C'eft la réponse à la premiére ques

tion.

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On demande II, fi les Ifraëlites étoient tenus d'avoir égard à des promeffes, qu'ils n'avoient faites que fur un faux exposé. 1 Grotius & "Puffendorf conviennent de ce principe, & il me femble qu'on ne peut pas le contester, c'est qu'un ferment n'oblige point, s'il eft certain que celui, qui a juré, supposoit alors un fait, qui ne fe trouve pas tel qu'il Pavoit crû, en forte que s'il eût fa la chofe comme elle eft, il fe feroit abftenu de ju rer: ce qui a lieu jur-tout,lorfque celui, à qui l'on à prêté le ferment, nous a lui-même jetté malicieufement dans Perreur. C'est le principe de ces deux grands hommes, qui eft conforme à l'or pinion de la plupart des Cafuiftes. Il eft vrai que Grotius & Puffendorf ne concluent pas de ce principe, que Jofué pût fe difpenfer de tenir la promeffe qu'il avoit faite aux Gabaonites, mais ils difent qu'il étoit obligé de la remplir

en

II PUFFENDORF du Droit de la Nature, &c. liv. IV. chap. 2. feet. 7. pag. 419.

&c.

verfets

du chap.

en vertu d'une circonftance particuliére où il fe trouvoit : c'eft que quand même il n'auroit pas été trompé par les Gabaonites, il auroit dû pourtant leur faire les promefles, & leur prêter le ferment qu'ils obtinrent par furprife: les Ifraëlites étant engagez felon eux à donner la vie même aux fept nations dévouées à l'interdit, pourvû qu'elles vouluffent fe foûmettre aux loix que Jofué impofa aux Gabaonites. C'est ce que nous allons examiner en traitant la troifieme queftion, que nous avons propofée. Les Gabaonites ne pouvoient-ils obtenir la paix des Ifraëlites fans déguiser leur nation: & ne leur auroit il pas fuffi de fe foumettre aux loix & à la Religion des Juifs, pour être admis dans leur alliance? Pour éclaircir cette queftion nous allons mettre, autant que nous le pourrons, dans toute leur force, les raifons des deux différentes opinions qu'elle a fait naitre.

Deuter. I. Quelques-uns ont crû que la loi d'exterXX. 10. miner les fept nations étoit abfolue, & ne foufVoi. auf- froit aucune exception. Ce fentiment eft prinfi les 8. cipalement appuie fur un paffage du Deuteropremiers nome, qui femble détruire entiérement l'opinion contraire: Quand tu t'approcheras d'une vilVII. du le pour la combattre, tu lui présenteras la paix, fi Deuter. elle t'ouvre fes portes, le Peuple qui s'y trouvera te fera tributaire, & te fervira. Que fi elle refufe de traiter avec toi, tu l'affiégeras. Et quand PEternel ton Dieu Paura livrée entre tes mains, tu feras paffer tous les mâles au fil de l'épee, en refervant feulement les femmes, les petits enfans, &c. Tu feras

12 my be. Voi. SELDEN. de jur. N. & G. cap. 12 pag. 764.

13 on nonho. Idem ibid. voi. auffi SCHICKARD.

1

feras ainfi à toutes les villes qui font fort éloignées de toi, & qui ne font point des villes de ces nations. Mais tu ne laifferas vivre perfonne qui foit des villes de ces peuples, que PEternel ton Dieu te donne en héritage. Tu ne manqueras pas de les détruire à la facon de l'interdit, (avoir les Héthiens, les Amorrbéens, les Cananéens, &c. comme l'Eternel te l'a commandé: de peur qu'ils ne vous apprennent à faire les abominations, dont ils ont accoûtumé d'ufer envers leurs Dieux & que vous ne péchiez contre votre Dieu. J'avoue qu'il feroit difficile d'imaginer des paroles plus énergiques pour l'opinion de ceux, qui croyent que la loi d'exterminer les fept nations étoit abfolue, & n'admettoit aucune forte d'exception. Dieu y diftingue clairement ce me femble deux fortes de guerres: celles que 1 les Juifs appellent de précepte, ce font celles dont le peuple d'Ifraël ne pouvoit fe difpenfer: & celles qu'ils appellent '3 volontaires, ce font celles dans lesquelles il leur étoit libre de s'engager. Les premiéres étoient contre les peuples éloignez, A l'égard de celles-ci, Dieu veut qu'on n'extermine les mâles qu'après leur avoir offert la paix: Tu feras ainfi à toutes les villes qui font fort éloignées de toi, & qui ne font point de celles de ces nations ces paroles font expreffes: mais à l'égard des autres guerres, à l'égard de celles que les Ifraëlites fefoient par l'ordre de Dieu aux nations qu'il leur avoit données en héritage, il eft commandé absolument & fans restriction de les détruire à la façon de l'interdit, &c.

II. Voi

de jure regio cap, 5. Theorem. 16. pag. 287. CUNEUS de Rep. Hebr. lib. 2. cap. 19.

II. Voici un fecond argument en faveur de la même thèse. Toute l'hiftoire du Traité des Gabaonites avec Jofué, femble avoir une réla tion intime avec cette loi expliquée dans le fens, que nous venons de lui donner. Car pourquoi les Gabaonites feignirent-ils d'être des peuples éloignez, & pourquoi ne déclarérent-ils pas avec franchife qu'ils appartenoient à une de ces nations, que l'Eternel avoit données en héritage aux Ifraëlites, fi ce n'eft parce qu'ils avoient appris, que la loi d'admettre dans l'alliance du peuple d'Ifraël ceux qui demanderoient la paix, ne regardoit que les peuples éloignez au lieu que les fept nations en étoient exclues, & qu'elles devoient être mises à l'interdit? Pourquoi les principaux d'Ifrael firent-ils d'abord cette objection aux Gabaonites, mais peut-être que vous babitez au milieu de nous, & comment traiterions-nous alliance avec vous? fi ce n'eft parce qu'ils craignoient de violer l'ordre exprès, qu'ils avoient reçû de mettre les fept nations à l'interdit, foit qu'elles demandaflent la paix, foit qu'elles ne la demandaffent point? Pourquoi P'Hiftorien remarque-t-il, que Jofué & les principaux ne confultérent point la bouche de PEternel, fi ce n'eft four marquer la faute qu'ils avoient faite de ne pas s'éclaircir en confultant P'Oracle, pour favoir fi les Gabaonites étoient en effet de ces peuples éloignez, avec qui il étoit permis de faire la paix, ou s'ils étoient, comme on en avoit eu quelque foupçon, de ces nations qu'il falloit traiter avec la derniére rigueur ? Pourquoi l'Affemblée murmura-t ellc, lorsqu'on cût

14 Voi. Gemar. Hierof. ad tit. Schebiith cap. 6. fol. 35. col. 3.

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